6.3 - Au cœur de la fusillade - Plateau des Glière - Grande Poste

VI - Les témoignages - Grande Poste les blessés, leur famille et amis

Au cœur de la fusillade - Plateau des Glières - Grande Poste

1 - Aicardi Étienne
2 - ALCAYDE Gilbert
3 - Badin André  
4 - Ferrandis Monique
5 - Francine Dessaigne
6 - Ferrandis Annie France
7 - Martinez Nicole épouse Mari
8 - Pons Daniel 
9 - Ponsetti Pierre
10 - Siben Jean-Louis
11 - Sudry père
12 - Sudry Roger
13 - Uzel Josyane
14 - Varendji Pierre 

 

1 - Aicardi Étienne 48 ans : Témoignage de son fils Alain Aicardi : "mon père s'est fait un garrot à la jambe gauche avec son mouchoir blanc" Paris Match n° 178

Bonjour Madame,

Monsieur ALDEGUER Gabriel était un ami intime de mon père AICARDI Étienne.
Tous deux travaillaient au Service comptable de la Mutuelle d’E.G.A. (électricité et gaz d’Algérie, rue Denfert Rochereau, où mon père était chef comptable.

Ils avaient décidés avec des copains d’aller à la manifestation du 26 mars 1962 pour soutenir le quartier de Bab el Oued. Lors de la fusillade qui a suivi, devant la Grande Poste, mon père a été grièvement blessé à la jambe.

Quant à Monsieur ALDEGUER il a été blessé au dos par une rafale de mitraillette. Transporté, paralysé, à l’hôpital Mustapha, il est décédé deux ou trois jours après.

Moi-même, avec des amis, avions passé le barrage de militaires arabes (enrôlés dans l’armée française), situé devant le Crédit Foncier à l’angle de la rue d’Isly et de la Grand Poste. Nous étions déjà arrivés devant l’entrée de la rue Bab Azoun, où nous avons été stoppés par des C.R.S., lorsque la fusillade a été déclenchée.

Je pense que Monsieur ALDEGUER était natif de Guyotville. Il habitait le quartier d’Hydra où ont eu lieu ses obsèques, auxquelles mon frère et moi avons assisté. Je sais qu’il avait une fille dont j’ai perdu la trace. Elle était âgée comme moi d’une vingtaine d’années à cette époque-là. J’ai su que Madame ALDEGUER, après le rapatriement en France, s’était remariée.

La photo de mon père et de son ami figure sur l’édition du Paris Match n°178 du 7 avril 1962 :
Mon père est sur cette photo, sur la partie gauche, couché sur ses avant-bras, sur une autre personne, qui est Gabriel Aldeguer, contre le trottoir. Il a des lunettes, porte un costume sombre, et s’est fait un garrot à la jambe gauche avec son mouchoir blanc.
Gabriel Aldeguer, est couché sur le ventre le long du trottoir protégé par le corps de son ami. Il est déjà grièvement blessé. Il porte un pantalon de couleur sombre et un un imperméable de couleur claire
.

 

01

 

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Les tirs se sont produits de part et d'autre du 1er cordon de soldats donc en direction de la rue d'Isly  et en direction du plateau des Glières devant les marches de la Grande Poste et dans le boulevard Laferrière

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2 - Alcayde Gilbert - 37 ans - Les éclats métalliques provoquant de très nombreuses perforations intestinales, ce qui pose la question du type de munitions utilisé pour mitrailler des civils.

Extrait de son témoignage paru dans "Un crime sans assassins" de Francine Dessaigne page 168-170 et dans la revue" L' Algérianiste" mars 1992.

La mise en place d'une nasse
Je faisais partie d'un des petits groupes de civils qui, vers 13 h 30, descendaient la rue Michelet en direction de la place de la grande poste. Des troupes en armes 
stationnaient à l'entrée du tunnel des facultés, du côté du boulevard Saint Saëns. Devant l'université, occupée par l'armée, un groupe de militaires sous les ordres d'un commandant barrait la rue à la hauteur du grand portail menant à la Bibliothèque : des fils de fer barbelés ne laissaient qu'un passage étroit le long du mur opposé. Une jeune femme qui remontait la rue se fit refouler par l'officier qui disait avoir reçu des ordres pour interdire la circulation dans ce sens..... Elle était sortie pour acheter du lait ... et elle rentrait chez elle où elle avait laissé son bébé. Après une vive discussion entre l'officier et les civils présents, elle fut autorisée à franchir le barrage. (Lire aussi

... Le plus gros du cortège étant passé, je m'apprêtais à m'engager dans la rue d'Isly lorsque des hommes de troupe, tous musulmans reformèrent le barrage. Ils étaient visiblement très tendus et leurs visages étaient blêmes : les civils, toujours calmes, tentaient de les convaincre de les laisser circuler......

Un feu d'enfer
Dès les premiers coups de feu, la foule se dispersa et les gens s'éloignèrent du barrage en courant mais la mitraille s'intensifiant de nombreuses personnes se jetèrent au sol; pour ma part je me trouvais allongé à une vingtaine de mètres au plus des tireurs, la tête en direction de la poste et les jambes coincées par le corps d'un sapeur pompier en tenue qui était tombé sur moi en travers. J'apercevais de nombreuses personnes dont des femmes et des enfants qui tentaient de se mettre à l'abri dans l'embrasure de la porte d'accès au Crédit Foncier s'ouvrant dans l'angle formé par la rue d'Isly et la rampe Bugeaud : c'est sur elles que le feu se concentra tout d'abord et les corps tombèrent les uns sur les autres jusqu'à ne plus faire qu'un amas sanglant. Les corps sans vie continuaient d'être secoués par les balles qui les atteignaient. La vision était effroyable.

... Les premières victimes ont été les personnes qui cherchaient à s'abriter dans les embrasures de portes ou les encoignures et celles qui tentaient de fuir en courant. Le feu fut ensuite dirigé vers celles qui étaient couchées sur la chaussée et sur les trottoirs ..... Quelques instants plus tard, je ressentis un choc très violent au niveau des cuisses et du bassin suivi peu après par une douleur intense. Je venais d'être atteint par une rafale d'arme automatique tout comme le sapeur pompier .....

Un spectacle affreux
.... entre les corps ensanglantés des morts et des blessés étendus sur la chaussée et sur les trottoirs, on apercevait des vêtements, des chaussures, des sacs à main abandonnés. Puis les cris et les gémissements des blessés se firent entendre. J'essayais de me redresser mais en vain, car mes jambes me refusaient leur concours: je baignais dans le sang. .... On me mit d'abord à l'abri dans le hall d'entrée du premier immeuble de la rue d'Isly puis on me chargea sur la plate forme d'un camion de l'armée avec d'autres blessés et des morts. Le voyage jusqu'à l'hôpital de Mustapha fut effroyable : à chaque coup de frein, dans chaque virage, les corps roulaient les uns sur les autres et les blessés hurlaient de douleur. A l'hôpital le nombre de lits de la salle de tri étant insuffisant, les premières victimes étaient déposées sur des brancards puis les suivantes à même le sol. J'étais allongé à côté d'une jeune fille d'une vingtaine d'années qui avait sous le menton une petite blessure qui ne saignait pas. Elle était très pâle et visiblement apeurée. Je lui dis que les choses allaient s'arranger puisqu'elle était prise en charge par les médecins. Elle eut un pauvre sourire et mourut quelques instants plus tard ...

Admis en première urgence dans le service du professeur Ducassou, je fus immédiatement examiné par une équipe médicale très efficace. On crut tout d'abord que j'avais été blessé, non seulement par des balles, mais également par des éclats de grenade car les radiographies révélaient la présence de très nombreux éclats métalliques dans l'abdomen. En réalité, j'avais reçu trois balles qui avaient pénétré au niveau des cuisses. L'une était ressortie à la partie supérieure de la hanche après avoir fracturé le grand trochanter du fémur gauche, une seconde logée dans la gouttière vertébrale à la hauteur des omoplates ne put être retirée car son enveloppe s'était largement ouverte; la troisième s'était fragmentée dans l'abdomen. Les éclats métalliques provoquant de très nombreuses perforations intestinales, ce qui pose la question du type de munitions utilisé pour mitrailler des civils.Si la douleur physique me réveille de temps à autre, elle n'est que passagère. La douleur morale, elle, est permanente.

 

Notes de Francine Dessaigne

1 - J'ai demandé à Monsieur Alcaydé quelle était la position du premier tireur. Il le situe approximativement devant l'agence Havas soit au 57 rue d'Isly

2  -La balle qui s'est fragmentée en multiples éclats dans l'abdomen n'avait touché aucun os. Les radiographies prouvent l'existence de ces éclats
."Je suis une preuve vivante"

Notes de  Simone Gautier

1- Ce témoignage est à rapprocher de celui de Michèle Gola-Malaterre : descendant d'El Biar, rencontre avec des militaires arabes en tenue d'opération obligeant les voitures à descendre vers le centre ville  Lire : ICI

2 - Témoignage de Monique Ferrandis qui témoigne de la balle qu'elle a reçu dans la fesse s'est fractionnée en une multitude d'éclats à l'intérieur de l'abdomen, sans avoir touché aucun os. Les radiographies en font foi  Lire : ICI

0011


 

3 - Badin André  - ... des tirailleurs musulmans;  ceux-ci au nombre de sept ou huit se trouvaient à la hauteur de l'Agence Havas

A un moment donné, sans aucune sommation, ni par tambour, ni par clairon, ni par haut-parleur ou par voix, des coups de feu d’armes automatiques ont été tirés sur  cette foule pacifique, par des tirailleurs musulmans : ceux-ci au nombre de sept ou huit se trouvaient à la hauteur de l’agence Havas.

J’étais, en ce qui me concerne, sur le trottoir de la rue d’Isly, longeant l’agence du Crédit Foncier d’Algérie et de Tunisie. J’ai été blessé par la première rafale  et suis tombé à terre. Un couple, (mari et femme) a également été blessé à côté de moi, et alors, qu’ils se trouvaient tous les deux à terre, le mari a reçu une balle dans la tête. J’ai vu sa femme lui soulever la tête et lui dire de lui répondre. Lorsque cette personne s’est rendu compte que son mari était mort, elle a poussé des cris atroces qui retentissent encore dans ma tête.

A été hospitalisé à la clinique Lavernhe

André BADIN
Colonel honoraire d’Infanterie
Commandeur de la Légion d’honneur
Croix de guerre 14-18 ; 39-45
Avocat à la cour d’appel d’Alger
6 boulevard Laferrière à Alger

 

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Le Crédit Foncier

02

La Nasse

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Plan détaillé
Souligné en rouge l'Agence Havas et en face le Crédit foncier
En rouge les lignes de tirs
Les petites  flèches en pointillé  indiquent le déplacement des tirailleurs qui poursuivent les manifestants
Les flèches noires représentent les armes des tirs
Les traits indiquent les tirs de part et d'autre du barrage


 

4 - Ferrandis Monique : ... et tout à coup, j'ai vu sortir d'une arme des flammèches bleues ... après j'ai entendu le bruit de tonnerre qu'a fait l'arme
Ma sœur n'est pas morte d'un coup, elle m'a dit ...

Témoignage dans "Un crime sans assassins de Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey  pages 176-181

Je m'appelle Monique Ferrandis. J'ai été blessée le 26 mars 1962 et je vais essayer de vous raconter ce que j'ai vécu.

A la télé, Christian Fouchet avait dit ce jour-là: "la manifestation est interdite et sera réprimée par tous les moyens."

En effet, ils ont mis tous les moyens pour nous réprimer. Ils ont osé donner ordre à l'armée française de tirer sur la population, sur des femmes, sur des enfants, sur des hommes qui n'avaient rien fait, qui venaient simplement soutenir le quartier de Bâb el Oued, assiégé par les forces de l'ordre. Ils ont osé en effet tirer sur des innocents : ma sœur Renée, 23 ans, a été tuée de deux balles dans la tête, ma sœur Annie, 17 ans, a été blessée d'une balle dans le ventre et moi-même j'ai été blessée grièvement puisque j'ai reçu trois balles, je n'avais que 19 ans et demi.

Il y avait de nombreux barrages mais aucun ne nous a fait de difficultés pour nous laisser passer, bien au contraire puisqu'en riant ils nous disaient "Oh si vous forcez le barrage, on vous laissera passer!". Mais il n'y avait même pas besoin de le faire, les barricades s'ouvraient et on passait. Tout au log du chemin cela a été comme ça ... ils ne nous ont rien dit. Nous avons monté la rue Charras. Au début de la rue d'Isly, à la hauteur de la banque du Crédit foncier, il y avait un cordon de militaires, en kaki, avec le casque comme s'ils étaient en guerre avec le filet par-dessus. Il n'avait pas de signe distinctif donc je ne peux pas dire de quelle arme ils faisaient partie. Nous étions à cet endroit-là et ma sœur Renée a commencé à discuter avec un jeune officier ou sous-officier du cordon de police. C'est la dernière fois que je l'ai vue. Nous étions donc à hauteur du Crédit foncier, en bordure du trottoir. J'ai commencé à regarder autour de moi à la recherche de mon amie Jacqueline Cazayous avec qui j'avais rendez-vous. Malheureusement le lendemain j'ai appris, qu'elle aussi avait été tuée.. la pauvre. Elle n'avait pas 20 ans. Mon regard alors parcouru le cordon de militaires, et tout à coup, j'ai vu, d'une arme sortir des flammèches bleues ..... ça avait suffi pour que je comprenne qu'ils avaient osé tirer. Après j'ai entendu le bruit de tonnerre qu'a fait l'arme.

Les gens se sont mis à courir et à ce moment-là j'ai entendu d'autres armes  comme une réponse à ce qui venait de se passer. J'ai regardé d'abord si je voyais mes sœurs Renée et  Annie. Ne les ayant pas vues j'ai pensé qu'elles s'étaient mises à l'abri. J'ai couru avec les autres en direction de la banque et je me suis jetée à plat ventre sur le trottoir. Il n'y avait pas longtemps que j'étais allongée, je sentais les balles qui passaient au-dessus, qui s'enfonçaient dans le mur, et j'ai été touchée, j'ai senti une brûlure atroce dans la fesse gauche, une brûlure qui s'est irradiée dans mon ventre, qui m'a fait énormément souffrir immédiatement. J'avais le bassin pris dans un étau... lourd avec une brûlure. J'ai appris plus tard que c'était une balle explosive [1]. J'ai d'ailleurs toujours des éclats dans le bassin. J'ai rampé un peu vers le mur, à plat ventre, en essayant d'avancer pour me mettre un peu plus à l'abri. J'ai été blessée à ce moment-là, de la deuxième balle qui m'a fait exploser le pied droit. La balle est rentrée sous le pied et, en répercutant par terre, elle a fait exploser le pied qui n'était plus que de la charpie, une bouillie atroce. Je me suis retournée sur le dos, je ne voulais pas mourir comme ça, je voulais regarder le soleil, le ciel, avant de ... parce que j'étais persuadée que j'allais mourir. Et puis je me suis dit :"c'est bête, c'est bête, tu n'as pas 20 ans, tu ne verras pas la fin de la guerre d'Algérie .." " Pendant que je me retournais, des personnes à côté de moi m'ont dit de ne pas bouger, sinon ils allaient m'achever. Et j'ai attendu, j'ai attendu que la fusillade cesse. Ça a duré pour moi une éternité parce que comme ça, d'entendre les détonations j’avais une peur ... j'étais angoissée, j'étais, comment dire paniquée, paniquée par ce qui se passait, par ce qui nous arrivait, je n'aurais jamais imaginé qu'une chose pareille puisse survenir, que l'armée nous tirerait dessus.

J'ai entendu des voix qui criaient :"arrêtez, arrêtez ! ne tirez  plus"  plusieurs fois. Mais malheureusement ça continuait. J'avais pratiquement la tête contre le mur du Crédit foncier et je regardais ces impacts de balle s'enfoncer dans le mur. Et puis d'un seul coup la fusillade a cessé comme elle avait commencé.  Des gens se sont ... ceux qui n'étaient pas blessés naturellement, se sont levés, ils sont partis en courant. Moi, malheureusement  je n'arrivais pas à bouger, j'étais ankylosée. Je regardais encore mon pied, vraiment il n'avait plus ... forme humaine. Tant bien que mal en m'agrippant au mur, j'ai réussi à me soulever. Je me suis redressée sur mon pied gauche, la jambe pendante. J'ai oublié de vous dire que j'avais reçu une troisième balle toujours dans cette même jambe, la jambe droite et cette balle avait cassé le fémur en traversant la jambe. J'avais réussi à me redresser et j'ai essayé de me sauver. Malheureusement je n'avais pas beaucoup de force, mais j'en avais quand même assez pour sauter par-dessus les cadavres, par-dessus les personnes qui avaient été tuées, il y en avait beaucoup contre le Crédit foncier. A  un moment donné, je me suis arrêtée parce que j’avais vu une femme avec les cheveux blonds courts, avec un manteau blanc et cette femme , je ne sais pas pourquoi , je n'ai pas eu le courage de sauter par-dessus. Elle était à plat ventre elle ne bougeait pas. Je l'ai contournée en sautant toujours sur un pied et je me suis dirigée vers l'entrée de la porte de Crédit foncier.

Il y avait déjà des personnes agglutinées donc je ne pouvais pas me mettre à l'abri, j'ai continué à sauter en me dirigeant vers le centre de tri. Arrivée à hauteur du boulevard. Arrivée à hauteur du boulevard Bugeaud, il y avait un cordon de CRS ou de gardes mobiles. (Il s'agit plus probablement du barrage de tirailleurs Bugeaud). Quand je les ai vus, j'ai pris peur , j'ai voulu courir, j'ai posé mon pied droit par terre, enfin ce qu'il en restait. Mon pied a glissé et je me suis affalée. Je n'avais plus de force, il m'a été impossible de me relever. Je me suis assise avec difficultés j'ai tourné le dos au cordon de police, car j'avais peur de les regarder, je ne voulais pas voir s'ils me tiraient dessus, donc je leur tournais le dos. J'ai entendu la voix de ma sœur qui m'appelait. je lui ai répondu en lui disant où j'étais. De l'endroit où elle se trouvait (à hauteur du Crédit foncier), elle m'a crié :"Ils ont tué Renée, Renée est morte! Elle ne bouge plus". J'ai cru à ce moment-là que tout s'obscurcissaient, tout devenait gris,  quelque chose me tombait dessus. On dit souvent bêtement qu'on a l'impression que le ciel nous tombe sur la tête, c'est ce que j'ai éprouvé, une oppression énorme, une angoisse encore plus insupportable. Et puis j'ai eu mal, très mal, j'ai eu l'impression que ma vue même s'obscurcissait. J'ai dit à ma sœur de venir près de moi, ce qu'elle a fait, je lui ai dit "tu es sûre, tu es sûre qu'elle ne bouge plus ? tu es sûre?" Elle m'a répondu :"oui, je l'ai secouée, je l'ai appelée, elle ne m'a pas répondu." Alors je lui ai dit :"va te mettre à l'abri, ils vont encore peut-être tirer". "Mets-toi à l'abri". Elle m'a répondu que si je ne bougeais pas, si je ne venais pas, elle resterait avec moi. A ce moment-là, des jeunes gens qui venaient porter secours aux blessés sont passés, ils m'ont transportée jusque dans le centre de tri où ils m'ont installée sur des sacs postaux.  Je perdais mon sang en abondance, je me sentais de plus en plus faible, j'avais froid, j'avais mal partout. J'ai demandé un garrot à la jambe droite au-dessus de la blessure du fémur et quelqu'un l'a fait avec sa cravate. Ensuite un monsieur est venu, il avait un pull genre jacquard, il s'est installé près de moi, il m'a prise dans ses bras et m'a serrée contre lui, et il m'a gardé comme cela, comme pour me protéger, jusqu'à l'arrivée des pompiers.

Ma sœur Annie était près de moi et nous avions été rejointes par deux amies à elle, Geneviève et Babette, des jumelles dont l'une vit été blessée. Ensuite un camion est venu, un camion bâché, on m'a mise sur une civière, cette civière sur le plancher du camion et puis les blessés sont montés ou ont été aidés. On nous a transportés jusqu'à l'hôpital de Mustapha. Pendant tout le trajet  je souffrais atrocement, je fermais les yeux et à chaque fois ma sœur Annie disait :"Monique ouvre les yeux".

Elle avait peur que je meurs, elle ne voulait pas me voir les yeux fermés. Nous sommes arrivés à l'hôpital, on m'a donné les premiers soins. Je sentais la vie partir, j'avais de plus en plus froid, je savais que c'était grave. On m'a fait une perfusion, on m'a mis des couvertures pour me réchauffer mais il n'y avait rien à faire. On m'a transportée aux urgences et là on m'a fait des transfusions ... et j'ai vu arriver mes parents. C'est un moment atroce, ils ne savaient pas que nous étions blessées, ils avaient entendu dire que ma sœur Renée, elle, avait été blessée et ils la recherchaient. En la cherchant ils étaient tombés sur Annie et moi. Maman en larmes a dit :"Comment vous aussi ? Et Renée ?"Je n'ai pas eu le courage de leur avouer que ma sœur Renée n'était plus là, qu'ils avaient perdu une de leurs filles. J'ai répondu "je ne sais pas". J'avais trop peur, j'avais une peine immense et de mon côté j'avais trop de chagrin pour pouvoir affronter le leur.

Pendant que mes parents partaient dans d'autres services nous avons été dirigées vers le centre Pierre et Marie Curie pour être opérées de toute urgence car tous les blocs opératoires à Mustapha étaient occupés. On nous emmenées directement au bloc opératoire et on m'a endormie immédiatement pour m'éviter de trop grandes souffrances. Ma sœur Annie se trouvait dans le bloc opératoire à côté. Mon opération a duré plus de quatre heures. Le lendemain matin, quand je me suis réveillée, j'étais surprise de me trouver là. J'étais persuadée la veille que si je ne mourais pas, je serais au moins amputée.

Or j'avais toujours mon pied droit. Les chirurgiens m'ont avertie que cela pouvait n'être malheureusement que provisoire car on ne savait pas l'évolution que cela aurait et que de toute façon l'amputation pouvait se produire. Pendant plusieurs jours j'ai vaincu dans cette angoisse-là, avoir le pied amputé à peu près jusqu'à la moitié du tibia. Et puis ça s'est rétabli, sauf qu'une partie de mon pied était nécrosé, il a fallu quand même m'amputer du deuxième orteil et j'avais perdu sous le choc de la balle plusieurs os (métatarses). Depuis d'ailleurs j'ai le pied complètement déformé.

Quelques jours plus tard, quarante-huit heures, je crois, la police est venue me poser des questions, me demander ce que j'avais vu. Alors je leur ai dit la vérité, j'avais vu un homme tirer, il faisait partie du barrage, il était de l'autre côté, à hauteur d'un bar qui se trouvait face au Crédit foncier (note: c'est le Derby). Ce militaire je l'ai vu, je le vois encore, je leur ai dit :"je l'ai vu tirer!" Ils ont essayé de me faire avouer qu'il y avait des hélicoptères  qui passaient et que le bruit des pales aurait pu faire croire que c'était un bruit de tir ... et que le militaire affolé aurait pu tirer... j'ai certifié que non, il n'y avait rien à ce moment-là, c'était délibérément que le militaire avait tiré. Je pense qu'il avait des ordres pour ne pas me croire. De toute façon, ils n'avaient pas l'air du tout convaincus de ce que je disais. Pourtant je sais ce que j'ai vu et je sais que c'est ce militaire-là qui est responsable de tout. Bien sûr il avait des ordres  mais les ordres, on n'est pas obligé de les exécuter, surtout pour tuer des innocents.

J'ai demandé ensuite au chirurgien qui m'avait opérée de me donner les balles qui m'avaient touchée. On m'a répondu que cela avait été saisi par les enquêteurs  et que je ne pouvais pas les avoir. Je pense qu'on voulait effacer toute trace prouvant que les militaires étaient responsables, que la France avait osé. Ça je ne peux pas oublier, je ne peux pas pardonner à ces gens-là. Comment peut-on! Comment un pays civilisé peut-il arriver à tirer sur sa population? Comment au nom d'une idée de fou, parce que je crois que c'était un fou qui nous dirigeait à cette époque-là, comment peut-on obéir aveuglément à des ordres ...

A partir de ce moment notre vie a été complètement bouleversée. Maman a été perdue dans son chagrin. Elle venait tous les jours nous voir, elle s'asseyait entre les deux lits, elle nous tenait la main, elle ne nous parlait pas. Elle était figée dans sa douleur, absente, les yeux au loin, tous les jours se passaient comme cela. Elle ne s'occupait même plus de ma petite sœur Nicole qui était restée à la maison et qui n'avait rien eu. Elle était incapable d'assumer quoi que ce soit. C'est mon père qui a tout pris en charge. Mon père ... qui a réussi, non pas à surmonter, mais à cacher le chagrin qu'il avait. Je l'ai vu pleurer, ça fait mal de voir pleurer son père, mais il a eu un courage surhumain, il a continué à s'occuper de tout.....

Voilà ... depuis ma vie a été une assez longue souffrance, je suis toujours en soins, j'ai toujours des problèmes, j'ai été réopérée récemment. Des blessures comme celles que j'ai reçues on les garde toute sa vie, elles sont autant morales que physiques.

..Pas plus que je n'ai oublié le chagrin de mes parents ils ont été brisés à jamais.

Je voudrais dire aussi que ma sœur Renée n'est pas morte sur le coup. Elle a été ramassée avec les autres blessés et elle aurait dit à quelqu'un :"Tu diras au revoir à Maman pour moi". Donc elle a su qu'elle allait mourir. A Mustapha on a essayé de la sauver par tous les moyens. Elle a été opérée. Malheureusement elle st morte sur la table d'opération. C'est surtout pour elle que je voudrais qu'on sache la vérité. Pour elle je voudrais que tous les blessés, tous les morts soient vengés.

"Un crime sans assassins"
Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey
page 176

[1] Lire sur l'article suivant l'analyse de Madame Dessaigne.

01

Monique FERRANDIS a témoigné dans le documentaire de Christophe WEBER 
"Le massacre de la rue d'Isly - Le grand silence"
Pour France 3 et Planète.
En remerciant Bab el Oued Story.

02
Crédit Foncier

 

03

En bleu le Crédit Foncier et en face le café "Le Derby"
En rouge la Grande Poste et le plateau des Glières traversé par le boulevard Laferrière
Les petites flèches en pointillés indiquent le déplacement des tirailleurs poursuivant les manifestants
Les grosses flèches noires indiquent les armes des tirs
Les traits indiquent les tirs de part et d'autre du barrage


 

5 - Francine Dessaigne

"Un crime sans assassins" de Francine DESSAIGNE et Marie-Jeanne REY page 181 (Lire également page 532 Nombre de cartouches tirées par le 4° R.T.  Tableau ci-dessous)

Notes de Francine DESSAIGNE :
Lors d'une conversation téléphonique, j'ai demandé à Monique FERRANDIS de préciser au mieux la position du premier tireur. Elle se souvient d'avoir eu le bar du Derby dans son champs de vision, elle ne saurait dire vraiment si le tirailleur était juste devant ce café ou un peu plus loin mais, elle en est sûre, il se trouvait sur le même trottoir, celui des numéros impairs de la rue d'Isly.

Monique FERRANDIS signale que la balle qu'elle a reçue dans la fesse s'est fractionné en une multitude d'éclats à l’intérieur de l'abdomen, sans n'avoir touché aucun os. Les radiographies en font foi.

A quelques mètres de là, ALCAYDE recevait une balle qui se fragmentait aussi dans l'abdomen sans n'avoir touché aucun os... Même axe, sous l'horloge de la Poste, des agents de Police constataient que les coussins de leur voiture étaient criblés de petits trous et ils en concluaient que des balles explosives avaient été employées. Sans être spécialiste en armement, on peut penser en effet, qu'un tirailleur au moins était en possession de munitions assez "spéciales".

Rien ne nous autorise à affirmer que ses chefs l'avaient doté de ces balles, il avait pu se les procurer lui même pour des motifs qu'il ne nous appartient pas d'analyser... Le fait est qu'il les a employées contre des innocents sans défense.

Un état des munitions consommées figurent dans les pièces officielles. J'ai toujours été étonnée par la précision extrême de ce décompte.

En tout cas, il est fort peu probable que deux des balles qui ont blessé Monique FERRANDIS et Gilbert ALCAYDE ainsi que celles qui ont atteint la voiture garée sous l'horloge de la Poste, aient été comptabilisées.

"

En bleu le café le Gerby entre les numéros impairs 59 et 57 et en face le Crédit Foncier
En rouge la Grande Poste
Les petites flèches en pointillés indiquent le déplacement des tirailleurs poursuivant les manifestants
Les grosses flèches noires indiquent les armes des tirs
Les traits indiquent les tirs de part et d'autre du barrage

 

01


02


 

6 - Ferrandis Annie France (épouse Garnier) 17 ans  : ... Une balle était entrée dans la fesse et s'était logée dans le ventre.

Témoignage recueilli par Marie-Jeanne Rey  "Un crime sans assassins" page 173.

Je m'étais rendue, accompagnée de mes sœurs, à la manifestation du 26 mars. Peu après avoir quitté notre appartement dans le quartier du Champ de manœuvres, nous avions rencontré un premier barrage.

Des camons militaires stationnaient en travers de la route mais un espace suffisant pour passer était laisser libre, et les militaires n'avaient rien fait pour nous inciter à revenir sur nos pas. Nous avons rencontré d'autres barrages ensuite, sans y prêter aucune attention, car tous nous laissaient un espace suffisant. En passant par la rue Charras nous rejoignîmes le plateau des Glières sans encombre.

Les évènements de l'époque étaient tristes mais il faisait si beau, et il y avait tant de joie de vivre en nous ... nous avions l'impression de participer à une kermesse. Sans se connaître les gens se parlaient familièrement et s'adressaient aussi aux soldats.

Nous arrivons devant l'entrée de la rue d'Isly quand des militaires nous barrèrent le chemin. Je voyais s'éloignait les gens qui nous précédés auparavant. Nous étions donc au premier rang, à ma droite un pas devant moi, ma sœur aînée Renée, à ma gauche, une dame, puis ma sœur Monique. Cette dame pleurait :
"Laissez-moi passer, mon mari et mon fils sont enfermés à Bâb el Oued".
Elle faisait peine à voir, je posai mon bras sur ses épaules , disant,
"ne pleurez pas, ils vont nous laisser passer".

Je regardais le militaire qui me faisait face. C'était un très jeune homme, plutôt blond avec une petite moustache claire. Il me semble que je le revois encore. Ce garçon était beau, il me paraissait charmant et, dans ma naïveté de jeune fille, j'espérais qu'il allait nous comprendre et nous permettre de continuer notre route. Pendant que je parlais , je me rends compte qu'un grand silence s'était fait, plus aucune conversation , un silence étrange. J'eus l'impression que ma voix, pourtant faible résonnait très fort et que tout le monde allait m'entendre.

A ce moment, je vis juste à côté de ce soldat, un militaire, musulman à mon avis, faire un pas en arrière, armer son fusil et se mettre à tirer dans notre direction. Je ne saurai dire si son arme était un F.M. ou un P.M. car je ne m'y connaissais pas. Des flammes bleues sortaient du canon. Et ce canon n'était pas dirigé vers le ciel. J'étais absolument certaine qu'aucun tir n'était parti des fenêtres, cela je peux le jurer.

Une panique générale s'ensuivit. Je dégageais mon bras comme le le pus et je courus, courbée pour ne pas être atteinte par les balles, vers le trottoir du côté du Crédit foncier. Ma sœur Renée courait devant moi, je l'appelai, elle tendit la main en arrière vers moi, je la rattrapai par son manteau et nous nous jetâmes ensemble au sol sur le trottoir devant le Crédit foncier. Je ne voyais plus Monique ni la dame que j'avais tenu par le bras, je ne sais pas si celle-ci a échappé à la tuerie.

Le temps me parut interminable. J'étais affolée .... Il y eut un arrêt, j'entendis : "Halte au feu" puis cela recommença. C'est alors que je ressentis une brûlure et je compris que j'étais blessée. Une balle entrée dans la fesse, s'était logée dans le ventre. Les balles sifflaient au-dessus de ma tête, je ne bougeais plus, me cachais le visage dans le manteau de ma sœur pour ne pas voir la mort.

Le feu cessa enfin. Tout d'abord personne ne bougea, il y eut le silence. Un homme remua près de moi, de plus en plus. Je luis dis :"Ne bougez pas, ils vont nous achever".
"Je suis blessé, j'ai mal ! "
" Moi aussi, j'ai mal, répondis-je". Un Monsieur, blessé, s'agrippant au mur de la banque, essayait de se remettre sur ses jambes, les militaires ne tirèrent pas. Cela me donna le courage de me relever. Voulant porter secours à ma sœur, je la soulevai. A cause de ma propre blessure et, parce qu'elle n'avait hélas plus aucune réaction, elle me paraissait terriblement lourde. Je parvins à la mettre sur les genoux. Sa tête retomba en arrière. Les yeux de Renée étaient de couleur noisette. A ce moment-là, sans doute le ciel, s'y reflétait-il, je les vis grands ouverts et très bleus. Ce dernier regard m'impressionna plus que tout.

J'appelai  l'homme qui était près du mur pour qu'il m'aide à soutenir Renée et qu'il m'aide à l'emporter. "Qu'est-ce qu'elle a demanda-t-il ?"
"Elle est morte".
"Alors il faut la laisser et vous sauver".
Je ne pouvais me résoudre à abandonner ma sœur, morte dans la rue. Je regardais autour de moi, éperdue; sur le trottoir, sur la route, partout des morts! Les militaires s'étaient repliés sur l'autre trottoir. Je hurlais vers eux :
"Pourquoi, vous l'avez tuée ? Elle ne vous avez rien fait ! Elle voulait rester française !".
Je leur dis encore :
"Vous êtes tous des assassins!".
On aurait cru qu'ils ne me voyaient même pas, qu'ils ne m'entendaient pas, pourtant ils regardaient dans ma direction. Je cherchai Monique des yeux sans pouvoir me résoudre à abandonner ma sœur Renée et je la trouvais couchée un peu plus loin sur la place de la Poste. Je lui criai : "ils ont tué Renée!. Je ne sais pas si elle comprit, elle voulait que je vienne la relever, gravement blessée aux jambes, elle ne pouvait plus bouger. Je m'étais approchée d'elle, péniblement car ma blessure me brûlait le ventre. Au même moment, plusieurs hommes arrivèrent, la prirent dans leurs bras et l'emmenèrent. Au fond de l'impasse de la Poste il y avait un dépôt fermé par un rideau de fer. Le rideau se souleva, ils hissèrent Monique à l'intérieur. Je suivis. Au loin, on entendait des explosions. On nous avait installées sur des sacs postaux, le temps passait. Il y avait plusieurs blessés à cet endroit  et aucun infirmier, aucun médecin. Monique perdait tout son sang et j'avais peur de la voir mourir elle aussi. Je demandais à un homme de la soigner, il ne savait comment s'y prendre. Je luis dis de faire un garrot avec sa cravate. Deux hommes soutenant un pompier blessé entrèrent. Le pompier nous expliqua que les militaires avaient tiré sur eux. Enfin un camion bâché se gara devant l'ouverture du dépôt et on nous transporta à l'intérieur. Nous fumes emmenées à l'hôpital.

Là c'était affreux. Il y avait des blessés partout. On m'avait mise sur un lit de camp à côté de Monique. Mes parents arrivèrent. Bien sûr, ils cherchaient Renée. Comment avouer ? Je prétendis que nous nous étions perdues dans la foule. Ils partirent la chercher dans d'autres salles. Je dis à un voisin qui les accompagnait  : "je vous en supplie, ne laissez pas seuls".

Mon père trouva le corps de ma sœur à la morgue, dans la soirée. Il n'eut pas la force d'annoncer à ma mère tout de suite la terrible réalité et attendit le lendemain. Maman était restée toute la nuit à genoux devant une statue de la Vierge.
Il ne se passe guère de jours sans que j'y pense. Cette journée marquée au fer rouge dans ma poitrine ne pourra jamais s'effacer. Quelquefois, souvent même, je repense également à ces militaires qui me faisaient face quand je leur hurlais ma douleur, mon incompréhension.
Pourquoi ? ... Pourquoi ont-ils tiré ??...
Le temps a passé, moi j'ai toujours mal.
Eux, s'en souviennent-ils ? Se souviennent-ils de la jeune fille qui les regardait ? Se souviennent-ils de ce jour horrible où ils ont détruit des vies ? Il y a eu des morts, des handicapés à vie et il y a eu des gens pour qui la vie n'a plus eu de sens depuis ce 26 mars 1962. On continue à vivre parce qu'il le faut, parce que Dieu nous a donné la vie et que lui seul a le droit de nous la reprendre.
J'espère que Dieu pardonnera à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à cette tuerie, parce que moi je ne pardonne pas.
Rien ne fera revenir nos morts mais si par nos témoignages le voile du silence était levé, alors là peut-être aurais-je l'impression d'avoir mis un léger baume sur cette blessure qui saigne encore



01
Annie France FERRANDIS a témoigné dans le documentaire de Christophe WEBER 
"Le massacre de la rue d'Isly - Le grand silence"
Pour France 3 et Planète.
Tous nos remerciements à 
Bab el Oued Story.



02Crédit Foncier

 

03

Le Crédit Foncier - en face le café Le Derby
Le lieutenant Daoud Ouchène s'était réfugié au 57 de la rue d'Isly
Les petites  flèches en pointillés indiquent le déplacement des tirailleurs qui poursuivent les manifestants
Les flèches noires représentent les armes des tirs
Les traits indiquent les tirs de part et d'autre du barrage


 

7 - Martinez Nicole épouse Mari - 23 ans

Témoignage de Monsieur Martinez - Bagès le 12 juin 2015

Mon épouse a été gravement blessée, principalement au ventre, le 26 mars 1962 devant la Grande Poste. Elle a été sauvée avec 4 de tension, par le professeur Garès à l'hôpital de Mustapha. En tout elle a subi 5 laparotomies  (intervention chirurgicale consistant en l'ouverture de l'abdomen S.G.)

Moralement très affectée par ces épreuves douloureuses, ma femme n'a jamais voulu être interviewée par qui que ce soit et n'adhérer à aucune organisation. Elle s'est battue seule pour obtenir une indemnisation de l'armée de 80%

Témoignage de César  SIX publié dans "Un crime sans assassin" de Francine Dessaigne pages 110 - 112

Extrait concernant sa collègue Martinez :

(César Six se trouvait lui aussi en haut de l'avenue Pasteur au moment de l’ouverture du feu. Francine Dessaigne)

Bien avant 14 heures je m'étais rendu de la Cité des Fonctionnaires, au Fort l'Empereur, à la rue Marceau pour garer ma voiture devant mon bureau où je comptais retrouver des collègues devant se rendre à la manifestation.
.. Devant moi à l'entrée de la rue d'Isly il y avait comme un bouchon, ça n’avançait plus. Me faufilant sur la gauche, du côté de la Maison de la Presse, j'apercevais le tête du groupe qui discutait avec un officier de tirailleurs ... qui finit par laisser le passage et le cortège bon enfant, familial, s'engouffra dans la rue d'Isly.

... Le gros du cortège étant passé, je m'approchai du barrage constitué de 7 ou 8 tirailleurs algériens, de deux gradés européens et du lieutenant

.... Le tireur FM était le plus résolu..... Traversant la rue Chanzy elle m'apparut vide, quand au bout de la rue, côté Rampe Bugeaud , je vis deux ou trois militaires traverser en courant, comme si ils cherchaient à se cacher. Dès lors mon idée était faite, nous étions pris dans un piège, nous allions être pris dans une nasse . Je décidai de rebrousser chemin.

... Le barrage rue d'Isly s'étant renforcé, je traversai vers TAM pour emprunter l'avenue Pasteur.

...J'avais dépassé le square Laferrière et arrivais à la rue Ballay lorsque la fusillade éclatât

.... Je rejoignais la rue Charles Péguy et revenais vers la Poste. Des gens refluaient vers la rue Michelet, couraient, criaient, colportaient la fusillade, le massacre

... Je cherchais des visages connus, demandais des nouvelles d'amis, je cherchais fébrilement ma sœur dont je me souvenais tout à coup qu'elle devait participer à la manifestation

... On me dit qu'elle n'avait pu rentrer rue d'Isly et a fait demi-tour ... Il faut que je sache, donc rejoindre El Biar où elle réside avec ma mère.

Dieu soit loué ! Elle est là, tout va bien. Elle s’inquiétait à mon sujet. Pleurs et embrassades.
Retour à Alger.

Une jeune collègue de bureau, Martinez, a été salement touchée, Une balle rentrée par la fesse a labouré l’intestin. Elle a dû être tirée à terre ...

Mais pourquoi ? Pourquoi ? Et ceux qui ne m'ont pas écouté quand j'ai crié que c'était un piège ...

Rencontre avec César SIX en mars 2008 - domicilié à Nice.

 

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8 - Pons Daniel  - 18 ans : Tout a commencé par une rafale de Mat

Témoignage paru dans le Livre blanc - le livre interdit de Francine Dessaigne page 54

J’ai été blessé à 15 heures, sur le trottoir de la Grande Poste. J’ai été blessé alors que j’étais couché dans la rigole du trottoir. Je m’y étais jeté dès l’ouverture du feu.

Tout a commencé par une rafale de Mat semblant provenir de la rue d’Isly. Le tir a dû durer cinq minutes.

Après que le tir eut cessé, j’ai pu voir en pleine conscience des gens se relever et sur lesquels on a tiré à nouveau, en particulier deux jeunes filles passèrent devant moi les bras en l’air, et elles furent mitraillées.

Daniel PONS
2 rue Rigodit – Alger.

 

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FM24/29

01

Cette arme était très appréciée par les hommes de l'armée française qui l'emploieront durant la seconde guerre mondiale puis la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie. Retirés du service vers 1965, les FM 24/29 deviennent un armement collectif de réserve pour la Police Nationale. - Calibre 7.5 mm - Chargeur 25 Cartouches - Tir par rafale ou au coup par coup- Puissance de tir : 500 coups / minutes.
(Source Alain AVELIN - Retraité de la Police Nationale)

AA52

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L'Arme automatique transformable modèle 1952 ou AAT-52 ou AANF1 remplaça le Mac  24/29 et diverses mitrailleuses étrangères, alors en service dans l'armée française au début des années 1960 dont le FM BAR.Elle peut tirer avec un bipied ou un trépied, mais, quand le trépied est utilisé pour un tir continu, la mitrailleuse est équipée d'un canon lourd, donc plus long à chauffer, ce qui permet des tirs plus soutenus. Calibre : 7,5 mm - Capacité du chargeur : bandes de 200 cartouches - Cadence de tir : 900 coups / minute
(Source Alain AVELIN - retraité de la Police Nationale)

Mat 49

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Les pistolets mitrailleurs de divers types en service vont être également remplacés par le nouveau pistolet mitrailleur réglementaire français le PM  MAT 49 (ce remplacement s’effectuera sur plus de dix ans). Arme à forte remontée vers la droite en rafale, imprécise en longue rafale - Calibre de Guerre 9 mm - chargeurs de 20 cartouches - Cadence de tir: 600 coups / minute
Remplacée en 1990 par le Beretta PM 12.
(Source Alain AVELIN - retraité de la Police Nationale)

MAS 49

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Le MAS-49 est une arme à fonctionnement semi-automatique. Il utilise les cartouches de conception française de 7.5mm. Le chargeur amovible utilisé sur les MAS 49 et 49/56 contient dix cartouches. En outre, des clips de cinq cartouches de MAS-36 peuvent également être employés pour le rechargement. Vers 1970, la Police nationale reçut quelques centaines de MAS 49/56 modifié pour tirer la 7,62 OTAN. Capacité du chargeur : 10 cartouches - Cadence de tir : 24 coups/minute.
(Source Alain AVELIN - Retraité de la Police Nationale)


 

9 - Ponsetti Pierre - 45 ans : Je reçus deux balles qui traversèrent le mollet gauche

Témoignage recueilli par Marie-Jeanne Rey "Un crime sans assassin"  page 167-168

Monsieur Ponsetti était très connu en tant que footballeur de talent et entraineur d'une équipe .

Il avait été décidé cet après-midi là, d'une manifestation pacifique e faveur de nos parents ou amis bloqués par représailles des autorités, dans le quartier de Bab el oued.
Ainsi avais-je pris rendez-vous avec des collègues de travail devant la Maison de l'Agriculture , boulevard Baudin en début d'après-midi.Je je l'y ai pas rencontré et je partis donc seul pour me joindre à la manifestation, boulevard Laferrière, plutôt vers la fin du cortège qui se dirigeait vers la rue d'Isly. 
Tout se passait pacifiquement et nombreux étaient femmes et même enfants qui participaient à cette manifestation, je me répète, pacifique.

Tout à coup, à hauteur de la Grande Poste, je ressentis un blocage, nous n'avancions plus et brusquement cela commença à tirer  dans tous les azimuts. Je me trouvais avec d'autres à hauteur de l'impasse située derrière la Poste vers laquelle nous courûmes avant de jeter à terre. Entre temps je reçus deux balles qui traversèrent le mollet gauche sans trop en souffrir sur le moment.

Une très petite accalmie me permit de me réfugier dans l'encoignure d'une petite porte de la poste, toujours dans l'impasse et de soulever ma jambe pour éviter une trop forte hémorragie. Une dame allongée sur le sol, près de là, me jeta un foulard avec lequel je me fis un garrot.

Puis la fusillade cessa enfin grâce, semble-t-il à l'officier qui commandait ce détachement de soldats indigènes. J'entends encore ses appels de "haltes au feu" non immédiatement suivis d'effet. Ce sont des sapeurs pompiers qui nous conduisirent ensuite à l’hôpital de Mustapha mais il y avait hélas bien des morts autour de nous ...

Cette description ne vous apportera pas beaucoup d'éléments nouveaux. Je peux pourtant témoigner des faits suivants :
1) C'était une manifestation pacifique avec la participation de femmes et enfants
2) On a subitement constaté un blocage à l'entrée de la rue d'Isly. Peut-être a-t-on voulu passer quand même et la fusillade a commencé. La sanction était  tout à fait disproportionnée et la quasi totalité du cortège était déjà largement engagée rue d'Isly.
3 ) Pourquoi des soldats algériens non aguerris dans une situation absolument inhabituelle pour eux ?
4 ) Une de mes connaissances, avocat en rapport avec la Préfecture pour son activité professionnelle, m'a confié qu'il m'aurait tout à fait déconseillé de participer à cette manifestation s'il m'avait rencontré avant so déroulement. Il en savait certainement davantage que nous

Son  ami André Dechavanne témoigne -" je me trouvais sur la terrasse d'un immeuble qui surplombait la fusillade...
Voir son témoignage : 
ICI

Parmi les blessés se trouvait l'un de mes camarades Pierre Ponsetti blessé au mollet gauche. Il était un footballeur de talent. Entraîneur du R.S.A.
Entretien avec André DECHAVANNE en juillet 2008 - domicilié à Menorca - Baléares

 

 ponsetti1

Le gros trait rouge indique le découpage de l'armée les croix sont des barrages
Les ronds en pointillés indiquent l'emplacement des victimes civiles
Le gros trait bleu indique l'impasse dans laquelle il y eut toutes ces victimes, les armes sont juste en face indiquées par des flèches


 

10 - Siben Jean-Louis : Partout les soldats sont en tenue de combat, casque lourd, mitraillettes et F.M. avec chargeur engagé, le visage dur

- Témoignage de Jean Louis SIBEN Témoignage recueilli par Marie-Jeanne Rey "Un crime sans assassins" pages 163-165
- Entretien avec Jean-Louis Siben  - mars 2007 - Nice  S. Gautier

Jean Louis SIBEN nous indique entre guillemets, en plus de son propre témoignage, les renseignements qu’il a recueillis personnellement auprès des autres témoins.

Vers 10 heures : dans toute la ville circule rapidement un mot d’ordre de grève générale à partie de 14 heures et de manifestation à partir de 15 heures. Des tracts sont bientôt répandus invitant la population à se rassembler à 15 heures au Plateau des Glières (Place de la Grande Poste) pour défiler vers Bab el Oued : sans aucune arme et en silence. Le but est de montrer que toute la ville est solidaire de Bab el Oued. ( A ce moment ce quartier est isolé depuis trois jours, ravitaillement en pain assuré par l’Armée de six heures à huit heures le matin, aux femmes seulement. Les vivres collectés en ville samedi et dimanche ont été pris par les « Forces de l’Ordre » et ne sont pas parvenus à la population - Aucun enlèvement des morts ni des blessés – Evacuation des enfants de moins de dix ans interdite, car des familles d’autres quartiers avaient demandé à en héberger – Les hommes de 14 à 70 ans emmenés de chez eux sans aucun bagage pour être triés au Camp du Lido et au Stade de Saint Eugène : 3.000 sont alors en cours de tri, parqués sans nourriture ni abri, battus – Après vérification de leur identité, ils sont relâchés, mais en ville et ne peuvent regagner Bab el Oued qui est bouclé – Sous prétexte de fouille, les gendarmes cassent, pillent appartements et magasins. Ils tirent au canon de 37 et à la mitrailleuse 12,7 sur tout ce qui bouge ou fait du bruit – Les volets sont clos en permanence)

A partir de 14 heures, la foule afflue vers la Place de la Poste, un piétinement régulier, sans précipitation, sans un cri – La place est encerclée par l’Armée, des barrages coupent les rues, constitués pour la plupart de camions joints – Les facultés sont occupés militairement.

Les groupes parviennent à la Poste malgré les barrages, en contournant les infranchissables – rue Michelet un cordon de soldats laisse passer un filet mais boulevard Baudin les C.R.S. ne se laissent pas franchir et les gens des quartiers Est (Belcourt) sont obligés de faire le tour par le haut de la ville ou les quais.

Vers Bab el Oued à partir de la Grande poste :
*Boulevard Front de mer...................barrage de camions
*Rue Alfred Lelluch...........................barrage de camions
*Boulevard Bugeaud..........................barrage de camions
*Rue d’Isly.......................................barrage de soldats en cordon

Les voies sont toutes barrées, mais la dernière moins fortement, c’est elle qu’empruntera le cortège.

Partout les soldats sont en tenue de combat, casque lourd, mitraillette et F.M. avec chargeur engagé, le visage dur.

« Depuis le matin, les terrasses des immeubles bordant la Place de la Poste sont occupées par l’Armée : sur certaines des mitrailleuses de 12,7 sont en position – A partir de 14 heures 30, les soldats envahissent les appartements de ces immeubles et se postent au balcon ». (journalistes Suisse et Américain).

Vers 14heures 30, la foule (10. 15.000 personnes) se met en marche vers Bab el Oued par la rue d’Isly derrière un drapeau français tenu par un ancien combattant arabe, entourée de jeunes arabes – La foule est serrée, silencieuse, marchant lentement – Des jeunes commencent à scander des slogans mais leurs voisins les font taire : il faut une manifestation de masse, digne, calme, résolue – Des femmes nombreuses, des enfants, des vieillards – Mains vides ; de vieilles personnes s’appuient sur des cannes. « Le cordon de soldats placé à l’entrée de la rue d’Isly laisse passer le cortège et se place le long des magasins au début de la rue, entre Cook et Havas : une dizaine d’hommes dont 2/3 musulmans » (voisin de lit à l’hôpital). Le cortège progresse rue d’Isly et passe un deuxième cordon de soldats, placé à environ 50 mètres du premier. Mais là, « un lieutenant nous adjure de rentrer chez nous les larmes aux yeux – lorsque nous lui disons que nous sommes Français, nous n’avons pas d’armes et manifestons calmement notre solidarité pour Bab el Oued, il répond que ses hommes ont reçu l’ordre de tirer » (une cousine – 50 ans)

Le cortège passe pendant 10 – 15 minutes, et tout à coup les soldats referment le barrage en tronçonnant le défilé : pointant leur mitraillette sur le ventre des manifestants, ils les empêchent d’avancer – Il est 14 heures 50 » (voisin de lit) 14 heures 50 ; c’est l’ouverture du feu, par des rafales de mitraillette sans qu’il y ait eu, au préalable, un cri, un coup de feu, une sommation – le tir à bout portant.

« Les première rafales sont tirées du carrefour boulevard Pasteur – rue d’Isly par des soldats postés devant Havas (appartenant au premier cordon) et en face (appartenant au deuxième cordon) – Le tir arrose la foule rue d’Isly et vers la Grande Poste » (journaliste américain)

Les manifestants tombent, se couchent ou courent se protéger – « Ceux qui refluent rue Chanzy sont pris sous le feu de soldats placés boulevard Bugeaud et tirant vers la rue d’Isly » (journaliste américain). Beaucoup se planquent sur le trottoir de la rue d’Isly opposé au boulevard Pasteur, les plus heureux plongent dans les couloirs d’immeubles – La rue d’Isly étant bordée de magasins, les vitrines sont cassées et on verra « à l’hôpital de nombreux blessés par verre, tendons sectionnés » (infirmière du Service de l’hôpital) D’autres, comme moi, refluent vers la Grande Poste en courant : ils sont fauchés par le feu ouvert par le barrage placé boulevard Bugeaud (PM et surtout FM) . Je suis touché à la base de l’épaule gauche par une balle entrée de ¾ arrière et ressortie devant sous salière gauche).

Du coup plus personne ne court, tout le monde est à terre – le tir est général, au PM, au FM, provenant des soldats placés rue d’Isly et boulevard Bugeaud. « A cette heure le service d’ordre tire aussi du boulevard Bugeaud, vers la rue Alfred Lelluch (parallèle en contrebas), Place de l’Opéra (ouest de la ¨Poste 800 mètres à vol d’oiseau), aux facultés vers la rue Michelet (Est 400 mètres), au carrefour de l’Agha (Est 500 mètres), au Champ de Manœuvres (Est 3 kilomètres) sans tuer trop de monde car il n’y avait pas de manifestants à ces endroits…. » (des riverains venus rendre visite aux trois blessés que nous étions dans la chambre d’hôpital).

Sur la « placette de l’horloge » chaque vivant se fait le plus petit possible, car les tirs continuent sur les gens couchés. A ma place, sur le trottoir de la Grande Poste, les pieds tournés vers le boulevard Bugeaud, je suis un peu surélevé, rien ne me protège mais je puis observer toute la placette, de Cook au carrefour Pasteur-Isly. J’entends dans mon dos les départs de FM, du barrage Bugeaud qui tire sans arrêt – La placette est jonchée de corps, certains entassés dans les caniveaux – A ma gauche, assis dans l’encoignure de la porte de l’ancien local des chèques postaux, un vieux monsieur blessé légèrement se blottit et attend – A gauche, devant gît un homme, baignant dans une mare de sang, la mâchoire inférieure arrachée, mort – A droite, dans le caniveau, un homme de 50 ans est couché, le visage tourné vers moi, les yeux fermés, paisible : il a la tempe gauche traversée, sa femme crie : « mon mari est mort, mon mari est mort ! » , elle est couchée à côté de lui et l’entoure de son bras, elle veut se lever pour chercher du secours, mais je l’exhorte à ne pas bouger – En effet des bras ensanglantés se lèvent, des gens hurlent de « cesser le feu » » nous sommes Français comme vous, arrêtez », des blessés tentent de se soulever : tout début de mouvement déclenche immédiatement des rafales – A 1 mètre 50 de moi, sur ma gauche, le mur de la Grande Poste est criblé de balles à moins de 40 centimètres du sol. Je suis dans une position parallèle à ce mur, les balles me frôlent, souvent après avoir ricoché sur le trottoir, qui est tout écaillé (l’une m’atteint au sommet de crâne et m’entaille le cuir chevelu jusqu’à l’os).

Mon voisin de lit, qui se trouvait alors couché 7-8 mètres devant moi (dans le même sens que moi) est atteint au pied par une balle de FM – Bugeaud, qui après avoir ricoché, pénètre entre deux orteils et va se loger près de la cheville – Ses Voisins de droite et gauche avec qui il s’entretenait sont tués presque en même temps, l’un d’une balle dans l’arrière de la tête, l’autre d’une balle dans le dos.

De ma place, je vois les militaires postés entre Cook et Havas arroser les gisants au PM et au FM : ils vident chargeurs sur chargeur, ce sont des musulmans faisant des gestes obscènesAu carrefour Pasteur –d’Isly, un gradé (quelque chose brille sur ses épaulettes) se dandine d’un trottoir à l’autre du boulevard Pasteur, la mitraillette en sautoir, les mains dans les poches. Les rafales continuent de partout : il y a au moins 10 minutes que le feu a été ouvert. Dans le lointain, j’entends une corne de pompiers, c’est une camionnette qui s’arrête à 10 mètres devant moi, je fonce.

Jean-Louis SIBEN Président de l’Union des Anciens et Anciennes des lycée d’Algérie - Lycée Fromentin - 56 avenue Emile Bieckert 06 000 Nice.

 

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Association « Souvenir du 26 mars 1962 »


Témoignage d Monsieur Jean-Louis SIBEN lors du pèlerinage à Lourdes les 24 et 25 mars 2001

Alger, lundi 26 mars 1962 –

Les accords d’Evian sont signé depuis une semaine, censés redonner la paix à l’Algérie meurtrie depuis sept ans.

Depuis trois jours, l’armée isole le quartier populaire de Bâb el Oued pour y chercher des commandos OAS, en vain d’ailleurs : c’est une fouille musclée, une opération de guerre qui écrase la population, on casse, on vole en fouillant.

Dans la matinée, un mot d’ordre se propage : grève générale après-midi et rassemblement Place de la Poste à quatorze heures pour former un cortège avec drapeaux, qui marchera vers Bâb el Oued en silence, pour manifester la solidarité de toute la ville avec les malheureuses familles captives.

A partir de midi tout se ferme dans la ville, magasins, administrations, cafés, et bien avant quatorze heures des groupes d’hommes et de femmes, d’enfants, en famille, se dirigent vers le centre avec des drapeaux : ils sont filtrés vers la rue d’Isly par des barrages des forces de l’ordre, CRS et gendarmes mobiles, nombreux et serrés, visages durs, qui laissent passer et pas revenir.

A la Poste, le cortège vite formé, s’ébranle par la rue d’Isly, seule issue – à peine barrée par un mince cordon de tirailleurs qui se replient après quelques discussions : ils se placent le long du trottoir, sur le bord, face à la Grande Poste.

D’autres soldats sont postés le dos aux vitrines des magasins et sur les terrasses. Ils portent le casque lourd, mitraillette et fusil-mitrailleur à la hanche, chargeur engagé.

Le cortège poursuit son chemin, drapeaux en avant, en silence : on n’entend que le piétinement des milliers de marcheurs.

La tête est déjà loin, au-delà de la place Bugeaud, quand, d’un coup, les soldats alignés place de la Poste, ouvrent le feu à bout portant, sans aucun avertissement, à quatorze heures cinquante : le vacarme éclate, assourdissant, infernal.

Les gens se couchent ou courent vers le moindre abri, une façade, une encoignure, un caniveau, les rafales les atteignent inexorablement, des mares de sang se forme partout : les plaintes, les cris sont couverts par les détonations, des blessés seront achevés, des sauveteurs tués. Je suis à plat ventre sur le trottoir de la Poste, devant la petite porte des chèques postaux, déjà blessé, entouré de corps, je ne peux plus rien tenter pour sauver cette vie que Dieu m’a donné ; je la remets entre ses mains avec une courte prière pour ma femme, notre fils, mes parents : une paix bienfaisante m’envahit, je souris au ciel bleu, la seconde balle frappe le crâne sans le perforer.

Les soldats en face de moi rechargent et tirent sans arrêt pendant douze à quinze minutes, comme des fous, certains avec des gestes obscènes, puis s’arrêtent enfin quand plus rien ne bouge : on comptabilisera 2 000 douilles.

Spectacle hallucinant de centaines de morts et de blessés, pauvres corps tombés pêle-mêle, qui bougeaient, priaient, vivaient il y a seulement quelques minutes : 80morts et 200blessés annoncés.

Sentiment de désarroi : est-ce bien l’armée, notre Armée si chère qui nous assassine ? Sommes-nous encore des Français ?

Une camionnette des pompiers arrive, sous le feu, qui m’embarque pour l’hôpital de Mustapha.

Après l’enterrement des victimes, bénies par un seul prêtre pour toutes les religions, ce sera l’exode massif des Pieds-noirs en trois mois, ce que le FLN n’avait pas obtenu par ses attentats horrible en sept ans.

Monsieur Jean-Louis SIBEN est Vice-Président de l’association «  Souvenir du 26 mars 1962 »

 

SIBEN FERRANDIS

 

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11 - Sudry - Roger Sudry témoigne pour son père.  Courrier avril 2008 : Les FM placés à l'entrée de la rue d'Isly tirent dans le dos des gens

Et c’est en véritable miraculé que papa me fait le récit de son après-midi.
Arrivé devant la Grand Poste, il se trouve devant un barrage constitué simplement de 7 ou 8 tirailleurs algériens, casqués, têtes de montagnards frustres, de vrais chaouias du djebel. Ils sont agressifs, très nerveux, visiblement affolés sous la pression de la foule. Commandés par deux gradés dont un jeune lieutenant – le lieutenant OUCHÈNE – ils laissent passer des dizaines de manifestants qui prennent la direction de la rue d’Isly.et nombre d’entre eux brandissent des drapeaux tricolores.

Au lieu de continuer comme eux dans cette direction, papa se dirige vers les marches qui donnent accès aux portes monumentales de la Poste ; c’est là qu’il a rendez-vous avec ses amis. Alors qu’il arrive sur le dernier palier, près de la porte centrale, la fusillade se déclenche brutalement. Il est 14 heures 50. C’est un feu nourri où les rafales sèches des pistolets mitrailleurs se mêlent à celles plus fournies des FM AA52. Les F.M. placés à l’entrée de la longue ligne droite de la rue d’Isly, des 2 côtés, tirent dans le dos des gens. Beaucoup se sont plaqués contre les magasins à la recherche d’une sécurité illusoire mais les balles ricochent contre les marbres des façades, brisent les vitrines et les glaces tombent en débris coupants et mortels.

Dès les premiers tirs papa se jette au sol, restant immobile pendant ces minutes qui n’en finissent pas. Dans le fracas des armes, il entend distinctement les appels « HALTE AU FEU MON LIEUTENANT » que lancent des manifestants lucides. Des militaires fusillent les gisants au P.M. et au F.M. ; ils vident chargeurs sur chargeurs, quelquefois même à bout touchant, faisant aussi des gestes obscènes … Lorsque les coups de feu s’estompent enfin, papa s’aperçoit que l’homme allongé devant lui reste immobile, baignant dans une mare de sang, le crâne éclaté. Il lui a certainement sauvé la vie en le protégeant de son corps. L’ami qui accompagne mon père, notre voisin du 3ème étage, se relève groggy, une grosse estafilade sanguinolente sur la tempe. Papa a reçu un éclat de projectile de FM dans le mollet gauche ; à cet instant précis il pense avoir été piétiné. Le fragment métallique lui sera retiré deux jours plus tard par un médecin qui, l’ayant vu boiter, l’examinera et décèlera immédiatement l’origine de la trajectoire. Dans le chaos qui l’entoure la douleur ne l’empêche pas de se précipiter vers la petite porte du central téléphonique qui se trouve sur le côté droit de l’édifice. Avec l’aide d’un manifestant, il défonce cette porte et pénètre dans le bâtiment ; aussitôt derrière lui, plusieurs rescapés choqués ou blessés s’engagent … En débouchant dans la salle des transmissions bien insonorisée, les manifestants surprennent les standardistes qui protestent de cette intrusion … Rapidement mis au courant du drame elles vont se mettre à leur disposition et chacun pourra prévenir les siens en les rassurant sur son état de santé.

Sur le lieu du drame, des manifestants devenus secouristes improvisés, des pompiers dont certains ont été pris pour cible par les tireurs déchaînés, des agents de police , commencent à charger les cadavres dans les GMC. Des ambulances emportent les blessés vers les hôpitaux et les cliniques.

Ce soir nous sommes effondrés : * Pourquoi tous ces barrages facilement poreux qui ont canalisé la foule … la contraignant à entrer dans une véritable NASSE ? * Pourquoi le barrage de la Grande Poste, en plein milieu de la manifestation, n’était-il composé que d’un si faible nombre de soldats armés jusqu’aux dents et de surcroit essentiellement MUSULMANS ? * Qui a donné l’ordre de tirer dans le périmètre d’où aucune provocation d’aucune sorte n’est partie ? Pour tirer il faut obéir à un ordre sinon c’est un MASSACRE … et c’est justement un massacre précédé d’un GUET-APENS qui s’est produit.

Nous sommes certains que les Autorités VOULAIENT CE DRAME et qu’elles l’ont soigneusement organisé. IL FALLAIT BRISER NOTRE RÉSISTANCE, ATTEINDRE NOTRE MORAL ET NOTRE DÉTERMINATION. IL FALLAIT NOUS DÉTRUIRE … L’AGONIE DE L’ ALGÉRIE FRANÇAISE COMMENCE.

 


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"Papa est allongé "

"Fin de la fusillade papa s'est relevé, il a de la chance"
La flèche rouge indique la position de mon père.
Il était le dernier Président de l'Union des Zouaves d'Algérie et  territorial d'honneur de la Ville d'Alger

 


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Position de l'armée au moment du déclenchement du tir

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Roger Sudry - Rencontre  Nice 20 février 2013  - Se souvient ..

La fusillade vient de cesser.
Alors que j'ai quitté les lieux du massacre après en avoir reçu l'ordre de mon patron (le docteur Perez) comme tous les membres du BCR (bureau central du renseignement) l'une des deux branches de l'ORO (organisation du renseignement et des opérations), mon père qui était couché sous les rafales, sur le dernier palier des marches de la Grande Poste, s'est relevé. Par miracle il n'est que légèrement blessé à une jambe.
Il se précipite sur le côté droit de l'édifice - comme on peut le voir sur la photo centrale parue dans le PETIT LIVRE BLANC édité quelques jours plus tard par le corps médical d'Alger (cf. photo).

Avec l’aide d’un autre manifestant il va forcer une porte latérale de la Poste pour se mettre à l’abri. Cette porte va le mener – comme nombre de rescapés qui le suivent – dans le central téléphonique, pour la plus grande surprise des standardistes qui n’ont rien entendu de la fusillade puisque ce local est parfaitement insonorisé.

Elles vont se mettre à la disposition des manifestants qui pourront appeler leurs familles sans aucune restriction.

Les années passent mais le souvenir demeure


Roger Sudry


 

12 - Sudry Roger  - 22 ans: Ce n'était pas des grenades lacrymogènes qui étaient larguées au-dessus de nos têtes c'étaient des bombes ! Témoignage avril 2008 -

Témoignage reçu par courrier

Roger Sudry était alors étudiant en médecine.

Par tracts, la population est invitée à venir manifester, dans le calme, sa solidarité avec les compatriotes de Bab el Oued, toujours encerclés dans leur quartier.
Vers midi, nous entendons à la radio, un communiqué de la Préfecture de police : « La population du Grand Alger est mise en garde contre les mots d’ordre de la manifestation mis en circulation par l’organisation séditieuse.

Après les évènements de Bab el Oued, il est clair que les mots d’ordre de ce genre ont un caractère insurrectionnel marqué. Il est formellement rappelé à la population que les manifestations sur la voie publique sont interdites. Les forces de maintien de l’ordre les disperseront, le cas échéant avec toute la fermeté nécessaire. ».

Pour mon père, pour mes amis, pour moi, cette manifestation n’a vraiment rien d’insurrectionnel. Il s’agit tout simplement d’une action de compassion envers ceux de nos concitoyens qui crient encore plus fort que nous leur attachement à l’Algérie française. Ce qui est singulier et même troublant c’est l’annonce même de ce communiqué inutile, car depuis des années, les manifestations sont interdites et on ne nos le rappelle pas à chaque occasion … alors pourquoi aujourd’hui ? La conclusion du Préfet de police qui nous promet « d’user de toute la fermeté nécessaire » me met toutefois mal à l’aise, surtout après les évènements tragiques de ces derniers jours. Finalement, après avoir mûrement réfléchi, papa me dit qu’il faut s’attendre à une réaction bien plus musclée des forces de l’ordre : en plus des coups de crosse habituels, des grenades lacrymogènes traditionnelles, ils utiliseront en force leurs fameuses motopompes et sûrement des grenades offensives … Dans ces conditions, il ne sera pas question de nous rendre à la manifestation en compagnie de Maman et de Marie-France (ma sœur alors âgée de 16 ans). Avant de partir, nous assistons depuis nos fenêtres entrebâillées à l’installation de chevaux de frise au pied de notre immeuble, il est 13 heures.

Les gendarmes mobiles, casqués, armes à la bretelle, bardés de sacs contenant vraisemblablement des grenades lacrymogènes et offensives paraissent très nerveux. Nous gardons en mémoire leur comportement odieux, l’après-midi du 24 janvier 1960, quant au même endroit – et bien avant le déclenchement du drame – ils avaient matraqués avec hargne des habitants du quartier qui voulaient simplement regagner leur domicile.

Vers 13 heures 15, papa me quitte (- Papa fut le dernier Président de l’importante association d’Anciens Zouaves d’Alger de 1947 à 1962). Il se rend vers le Plateau des Glières où il a rendez-vous avec ses amis anciens combattants. De mon côté, évitant les barrages édifiés boulevard du Télemly et ceux qui sont plus bas vers le forum. Je gagne la rue Charles Péguy en empruntant les escaliers qui s’étagent à partir des rues d’Estonie et Duc des Cars vers la rue Berthezène et mon lieu de rendez-vous avec mes amis étudiants.

Je vais devoir, malgré tout, franchir des barrages filtrants de militaires casqués, de gendarmes, de C.R.S. Partout des gens se hâtent vers la Grande Poste, lieu central de la manifestation. Certains d’entre eux sont même venus avec des filets remplis de provisions avec l’espoir de les porter tout à l’heure vers Bab el Oued. De nombreux balcons sont pavoisés de tricolores avec des crêpes de deuil car hier, à Oran, le Général Jouhaud a été arrêté. Alors que j’ai retrouvé mes camarades et que nous préparons à rejoindre le parvis de la Grande Poste, nous recevons l’ordre de ne pas rester en première ligne de la manifestation pour des raisons de sécurité. Il ne faudrait pas nous faire repérer par des agents des services spéciaux en civils et les barbouzes et compromettre bêtement notre réseau. C’est presque en rechignant que nous obtempérons et nous décidons alors de nous rendre chez l’un d’entre nous, rue Denfert Rochereau, quand tout à coup les premières détonations de la fusillade se font entendre. Immédiatement, je pense à des tirs d’intimidation mais les nombreux manifestants qui refluent affolés infirment cette hypothèse : une véritable tuerie a été déclenchée par les militaires qui ont ouvert le feu de toutes leurs armes, P.M., F.M., AA52, …sur la foule désarmée.

Arrivés quelques minutes plus tard au domicile de notre camarade, nous apprenons l’ampleur du désastre grâce aux flashs d’information diffusés en continu. Tous quatre, étudiants en médecine, décidons de nous rendre sans plus tarder à l’hôpital Mustapha pour nous mettre à la disposition du Corps médical. Nous venons tout juste de passer devant l’église Saint Charles, lorsque d’un hélicoptère surgissant au ras des toits, tombe une bombe lacrymogène d’un calibre impressionnant. Elle explose pratiquement sur nous et un nuage jaune très toxique nous enveloppe. Le plus exposé, j’inhale une grande quantité de gaz et suis immédiatement aveuglé par la puissance du produit qui n’a rien de comparable avec celles des traditionnelles grenades… que j’ai déjà expérimenté ! J’apprendrai plus tard par un officier du Génie qu’un dérivé d’ypérite [1 et 2] rentrait dans la composition de ces fameuses bombes !!! Réfugiés dans un hall d’immeuble avec mes amis moins atteints, l’angoisse me gagne quand un civil apparaît et nous demande d’où nous venons. D’abord sur nos gardes, pensant avoir affaire à quelque barbouze, nous sommes soulagés d’apprendre que notre interlocuteur n’est autre que le docteur BEAUVE, ophtalmologue, qui a son cabinet au premier étage. C’est une chance incroyable … un véritable miracle. Totalement aveugle, le médecin me prodigue les soins d’urgence que mon état nécessite. Grâce à ce traitement, je recouvre la vue deux heures plus tard. Sans cette providentielle rencontre je risquai une cécité plus ou moins partielle. …

Nous reprenons enfin le chemin de l’hôpital. A l’arrivée, un spectacle affreux nous attend lorsque nous passons devant l’entrée de la salle qui sert de morgue… partout des civières surchargées des corps ensanglantés, percés, déchiquetés par les rafales d’AA52… Bien qu’ habitués à nous rendre dans cet endroit sinistre où j’ai vu de trop nombreux cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants sauvagement martyrisés par les tueurs du FLN, aujourd’hui je me sens défaillir car le comble de l’atroce est atteint avec ces dizaines et ces dizaines de corps percés cette fois de balles françaises. Les différentes équipes de médecins et le personnel hospitalier resteront mobilisés plus de douze heures d’affilée. Dans les cliniques de la ville, à Lavernhe, à Solal, la même atmosphère fébrile va régner.

La ville étant un véritable champ de bataille, je regagne mon domicile en empruntant le boulevard du Télemly, n’ayant que deux barrages de militaires à franchir sans trop de difficultés. Après ce que je viens de vivre et surtout ce que j’ai vu à l’hôpital, je me retiens de justesse de cracher au visage de cet abruti qui détaille ma carte d’identité avec une attention aussi soutenue qu’imbécile. Et, pour me faire peur, certains militaires manœuvrent les culasses de leurs armes dans mon dos pour me faire croire à un éventuel tir … ………..

Je vous adresse aujourd’hui les quelques pages extraites de mon recueil de souvenirs et qui relatent cette tragédie.

Sur les clichés joints au compte-rendu que je vous ai adressé au nom de mon père,  j’ai fléché sa position sur les marches de la grande Poste. Mon père était le dernier Président de l’importante association d’Anciens Zouaves d’Alger. Il fut blessé au mollet par un éclat de projectile au fusil mitrailleur.

Roger SUDRY
31 rue Clément Roassal
06000 Nice.
Nice 8 mai 2008.


Quartier du Plateau Saulière au dessus de la Grande Poste
En noir, la rue Denfert Rochereau .

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[1] L'ypérite est un liquide huileux (Sulfure d’éthyle deux fois chloré) utilisé comme gaz de combat, suffocant, lacrymogène et vésicant. Gaz mortel, nommé également gaz moutarde utilisé durant la première guerre mondiale à partir de 1917. Ce gaz toxique a été utilisé pendant la grande guerre 14-18 à Ypres en Belgique d'où son nom. C'est un gaz vésicant qui attaque n'importe quelle partie du corps provoquant de graves brûlures. Sous sa forme liquide un demi-milligramme suffit à provoquer sur la peau une cloque de la taille d'une noisette et la même quantité projetée sur l’œil conduit à la cécité.  A cause d'une grande persistance, en plus du masque à gaz, les soldats devaient porter des vêtements de protection imperméables. Dès son apparition, l'ypérite est devenu le principal gaz de combat. S.G.

[2] Précisions sur ce dérivé d'ypérite communiquées par Roger Sudry
Nice 20 février 201
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Les gaz lacrymogènes utilisés par l’armée française le 26 mars 1962 à Alger

Dans mon livre de souvenirs (« Mon Alger tricolore », tome 2) j’avais évoqué l’intervention d’un hélico de l’armée, dès la fin de la tuerie de la rue d’Isly, d’où étaient larguées des grenades lacrymogènes sur les rescapés de la fusillade…

Victimes de cette attaque alors que j’arrivais au niveau de l’église Saint Charles, rue Denfert-Rochereau, sévèrement atteint et miraculeusement secouru et soigné sur place par le Docteur Beauvais, ophtalmologue, je suis aujourd’hui – 50 ans plus tard  - en mesure de confirmer avec plus de précision encore ce qu’un capitaine du Génie me confiait à l’époque à Alger :

Ce n’étaient pas des grenades lacrymogènes qui étaient larguées sur nos têtes mais des bombes lacrymogènes de combat utilisées jusque-là par l’armée pour exterminer les fellouzes dans les grottes qui leur servaient de refuge dans le djebel…

Des militaires de haut rang, amis de longue date, m’ont remis tout récemment une documentation édifiante sur la dangerosité du  chlorobenzylidène  manonitrile ou gaz CS  composant ce type de munition à très forte concentration.

Je cite les conclusions de cette étude sans en changer la moindre virgule :

Effets sur l’organisme

Les voies respiratoires et le système digestif sont les premiers touchés en l’espace de 20 à 60 secondes. Dès l’exposition, on assiste à une activation intense des voies lacrymales, une irritation des voies respiratoires et des nausées accompagnées de vomissements selon la dose. La salivation est accentuée. À forte dose, il peut provoquer des hémorragies internes, des œdèmes pulmonaires et une détresse respiratoire qui peut être fatale. Le foie, le cerveau et les reins sont particulièrement vulnérables. Les substances produites lors de la dégradation du CS  par le métabolisme comme le cyanure sont très toxiques. Les effets à long terme sont moins connus mais le CS peut induire des bronchites, de l’asthme, des maladies du foie et des reins ainsi que des troubles neurologiques comme l’épilepsie.

Il faut savoir que ce gaz a été employé aux USA lors de l’assaut  mené contre le repère de la secte de David Koresh à Waco (plusieurs victimes) ainsi qu’en Irlande, à Londonderry contre l’IRA ; après enquête officielle lancée sur les effets médicaux du CS, l’armée britannique a cessé d’utiliser ce type de munitions.

Le pouvoir politique français n’a pas eu autant de scrupules à notre égard… Il fallait nous réduire par tous les moyens…  Pour nous, pas de repentance, mais l’obligation d’oublier et de nous taire.

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13 - Uzel Josyane  18 ans : Des femmes dont la poitrine n'était que sang...

 Témoignage paru dans le Livre Blanc - Le Livre interdit  de Francine Dessaigne page 35 et 49

Arrivés devant le barrage composé de deux Européens et sept ou huit Musulmans ai niveau de la deuxième vitrine de la chemiserie "Atlas" et le "Crédit Foncier" , nous nous sommes arrêtés à quelques mètres d'eux..
Mr et Mme M... m'ont fait remarquer que les soldats musulmans, extrêmement énervés, excités, refermant le barrage,  portaient une bande verte sur le casque.

Josyane Uzel chez Monsieur et Madame Martinez 14 avenue Fourreau-Lamy - Alger               

La fusillade étai interminable. Sous la terreur, je sentis que je baignais dans mon sang. J’avais à ma droite un homme blessé lui aussi. Les balles crépitaient de toutes parts. J’avais la tête du côté droit, le bras droit et le dos atteint, je ne voyais plus la fin. Cela dura environ dix à quinze minutes. Je ne pensais qu’à ma mère et priai Dieu de faire cesser cet assassinat, cet enfer … !

Une minute d’accalmie, je me relevais. M. et Mme M … me prirent par le bras, nous nous sommes réfugiés en haut des escaliers de la Grand Poste. C’était une horreur indescriptible. Une femme implorait, suppliait un homme d’aller chercher son mari mort déchiqueté sur la route. Des femmes dont la poitrine n’étaient que sang, des trous, du sang partout

Josyane UZEL
14 avenue Fourreau-Lamy - Alger

 

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14 - Varendji Pierre   : Il reçoit une nouvelle giclée de balles et se remet à l'abri

"A les jambes couvertes de sang. A reçu une balle en séton dans la fesse. Il se trouvait avec Yves Amiset, angle rue d'Isly - rue Chanzy, devant la vitrine de Setamil, magasin de sous-vêtement. Ils étaient plaqués au sol

"Je sens comme un choc et une forte chaleur sur la jambe gauche. J’imagine un instant que quelqu’un a été blessé derrière moi et s’est jeté sur moi en me faisant mal. Mais je me rends vite compte que j’ai été blessé moi-même à la jambe gauche en sentant le point d’impact se mouiller ; je porte ma main à ma jambe et je sens des trous dans le pantalon. Je retire ma main pleine de sang.

Le feu continue toujours. Presque en face de moi, sur les marches du cinéma « Midi-Minuit » un jeune sous-lieutenant et un autre militaire français. Autant que mes forces me le permettent, je crie à plusieurs reprises à l’officier : "Faites cesser le feu.

On tire sur les gens à terre, hommes femmes et vieillards. C’est de la folie, c’est un massacre ».

Il quitte son abri, se met dans la rue et agite les bras pour faire cesser le feu. Il reçoit une giclée de balles tirée des militaires se trouvant côté boulevard Bugeaud  et se remet à l’abri.

Il revient quelques secondes après et siffle pour faire cesser le feu.

Il reçoit une nouvelle giclée de balles et se remet à l’abri.

 

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Le point rouge indique sa position

Pierre VARENDJI
5 rue Lacepède – Alger.

 

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