8.9 - Les Français en Algérie manquent des garanties les plus élémentaires - Le Figaro 12 novembre 1964 par Yves Cuau

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Ces années de plomb qui durent depuis1962 

Le Figaro 12 novembre 1964 – ALGER – Yves CUAU

Les Français, en Algérie, manquent des garanties les plus élémentaires

Expulsions injustifiées, arrestations sans motif connu, disparitions : obstacle majeur à une vraie coopération.

Alger 11 novembre (de notre envoyé spécial permanent).

« L’Algérie et la partie étroite des relations de la France avec tout le tiers-monde » déclarait récemment Monsieur de Broglie secrétaire d’État chargé des affaires algériennes. Il est vrai que par certains côtés, la politique de coopération représente une réussite assez extraordinaire et que la persistance de rapports privilégiés entre la France « puissance …? », et l’Algérie révolutionnaire, constitue une expérience fascinante à plus d’un titre.

Mais il reste en Algérie une colonie française importante qui se trouve privée, au fil des mois, des garanties juridiques les plus élémentaires.

Cette situation n’affecte guère apparemment les rapports d’État à l’État. Tout au plus les pleure-t-on à Paris dans les débats parlementaires. À Alger les autorités françaises paralysées par les impératifs de la « grande politique » observent à ce sujet en silence frustré. On s’efforce de faire libérer discrètement les Français arbitrairement alternés. On effectue des démarches présentées « qui sont d’ailleurs souvent couronnées de succès » jusqu’à présentation de nouveaux dossiers.

Mais il faut admettre une évidence : n’importe qui peut disparaître n’importe quand en Algérie et il faudrait des mois pour retrouver sa trace et obtenir éventuellement sa libération. Quant à la protection des biens elle est parfaitement inexistante. La colonie française en Algérie qui est encore l’une des plus importantes dans le monde est aussi la plus mal protégée.

Les cambriolages diminuent mais…

Le problème de la protection des biens probablement celui qui revient le plus souvent dans les conversations entre Français d’Algérie. Ne parlons pas des cambriolages et des vols en régression assez sensible depuis quelques mois. Mais le nombre de ressortissants étrangers chassés de chez eux alors qu’ils occupaient régulièrement un appartement en vertu d’un titre délivré en bonne et due forme par le service des biens vacants est extraordinairement élevés. Nous connaissons personnellement de nombreux Français qui après quelques jours de vacances ou simplement une après-midi de promenade ont trouvé leur logement occupé en vertu de l’adage bien connu « qui va à la chasse perd sa place ». Il est inutile dans ce cas d’essayer de récupérer ses affaires personnelles. Il est également classique de voir arriver une équipe de déménageurs chargés d’enlever les meubles d’un appartement biens vacant, loué, meublé et régulièrement occupé. Ces «… ? », ces expulsions, ces portes enfoncées à coups de hache font partie de la vie quotidienne en Algérie.

… Il y a plus grave

Mais il y a définitivement plus grave un homme de soixante-treize ans, Monsieur Thiers est interné depuis le début de l’année à la maison d’arrêt de Bérrouaghia. Aucune inculpation ne lui a été signifiée et il n’a même pas été présenté à un juge d’instruction. Cinq enseignantes françaises ont été arrêtées au début de septembre en Kabylie. Trois d’entre elles sont toujours détenues, sans qu’aucune précision n’ait été fournie sur leur sort. Un père blanc arrêté par la sécurité militaire a disparu depuis deux mois.

Monsieur Jean-Marie Tine, l’un des hommes les plus en vue de la colonie française à Alger a été gardé 17 jours au secret par la sécurité militaire avant que l’ambassade de France - au prix de quelles concessions ? - n’obtienne qu’il soit examiné par des médecins. Six ressortissants français ont été libérés la semaine dernière d’un pénitencier. Ils ont pris le lendemain l’avion pour la France. Ils n’avaient jamais été entendus par un juge d’instruction. Nous citons là, un nombre limités de cas mais vérifiés dans les moindres détails.

Un nombre important de nos ressortissants n’a pas le droit de quitter le territoire algérien. Et cette mesure draconienne peut s’expliquer dans certains cas pour des vérifications de comptabilité, ou des arriérés d’impôts. On peut se demander à quel titre la caissière de l’hôtel Saint-Georges, nationalisé depuis le mois d’août, est refoulée depuis deux mois à l’aérodrome de Dar el Baïda. [1] chaque fois qu’elle tente de prendre un avion à destination de la France. Les services de Monsieur …? l’avaient autorisée à partir la semaine dernière. La police aérienne des frontières qui n’étaient pas au courant de cette décision lui a barré le passage une fois de plus avant-hier encore.

Brimades et sévices

La mauvaise coordination entre les différents services de police algériens est très souvent à l’origine de brimades dont sont victimes les Français d’Algérie. Il est certain, d’autre part, qu’un petit nombre de nos compatriotes n’a pu résister à la tentative de se mêler des affaires intérieures algériennes. Cela ne suffit pas à expliquer les disparitions, les internements administratifs qui se prolongent plusieurs mois et dans certains cas les sévices dont sont victimes les détenues internées à Bouzaréah ou à la « villa Poirson » de sinistre réputation.

L’absence presque totale de garanties juridiques pour les citoyens français résidant en Algérie ne peut être considérée comme une simple « bavure » de la coopération. C’est un problème grave qui ne peut suffire à masquer le flot des bonnes paroles et des « représentations » discrètes.

Yves CUAU

[1]  Maison blanche (littéralement traduit par Dar Beïda)

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