2.10 - Monument aux morts d'Alger Novembre 1928 : Paul Landowski

III - Histoire et récits - De 1830 à 1954 les réalisations

2 - Le  Pavois, Monument aux morts d'Alger 1921 - 1928 - Journal de Paul-Maximilien Landowski : extraits 

Extrait des extraits du journal de Paul Landowski relatifs au monument aux morts d'Alger.
Transcrit et annoté par Catherine GIRAUDON.
Paul Landowski : Un artiste emblématique

12 février 1921 La Turbie
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Je crois pourtant avoir envoyé à Bigonet, pour le concours d'Alger, des idées heureuses. Mon idée de faire comme groupe central, quatre figures équestres portant le mort, pourra donner quelque chose de très bien.
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28 février 1921
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Je crois que cette idée de faire porter le mort par des figures équestres, trois cariatides équestres, peut plaire. En tout cas, même sur la toute petite esquisse que j'ai faite, l'effet en est grand. L'idée de faire de la figure centrale une Victoire ailée à cheval, donne de la solidité à tout l'ensemble, les ailes formant un point d'appui solide. Cela a tout à la fois un caractère somptueux et héroïque qui doit faire bien sous le soleil d'Afrique
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9 novembre 1921
Je commence l'esquisse d'Alger.

2 décembre 1921
Chez Maurice Gras, travaillé au socle du concours d'Alger. Ce socle est presque trouvé. Il n'en faut d'un rien qu'il ne soit tout à fait bien. Il s'en faut de beaucoup plus que le groupe le soit aussi. Je suis de moins en moins emballé. C'est un croquis, une fantaisie. À l'étude en grand, de grosses difficultés apparaissent presque insurmontables. Et puis j'aime de moins en moins ces figures symboliques ailées. Mais, c'est commencé. Il faut aller jusqu'au bout.
Bouchard à dîner avec sa femme. Madame Bouchard revient d'Allemagne. Elle a été surtout frappée des divisions intestines du pays. Socialistes ou nationalistes. Pas de milieu.
Etudié avec Bouchard le Monument d'Alger. Solution à trouver pour les têtes de chevaux. Pas trouvé. Il faut que je la trouve pour la semaine prochaine.

20 décembre 1921
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Lundi, travaillé encore à Alger.
Aujourd'hui, toute la journée encore Alger. J'en ai assez de cette esquisse. Je voudrais ne travailler qu'aux Fantômes.
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30 décembre 1921
L'esquisse d'Alger est sortie du plâtre. Le groupe fait très bien. Je puis en être vraiment content. Mais lorsqu'il fut sur le socle, il a perdu. Le socle est d'un tiers trop haut. Camille Bellaigue qui était là et dont le goût est sûr a été tout à fait de cet avis. Tant pis. Le sort en est jeté. On emballe et on expédie demain.

Les dessins chez Monestès sont bien venus. Un peu noirs. Il aurait dû les rendre avec un crayon bistre.

18 février 1922
Je me suis trompé dans mon pronostic pour le concours d'Alger. C'est notre projet qui a le prix. Me voilà donc avec une nouvelle formidable histoire sur les bras.

13 mai 1923
Passé la matinée à rédiger de manière définitive le devis pour le monument d'Alger.

26 juin 1925
J'ai commencé tout de même la maquette d'Alger (4).
(4). Il s'agit du monument aux morts d'Alger ou le Pavois. Le concours a été remporté en 1922 par les architectes Maurice Gras, Edouard Monestès et les sculpteurs Landowski et Charles Bigonet
.

5 novembre 1926 J'ai complètement chamboulé le groupe arrière du monument d'Alger. Deux arabes formeront l'arrière plan. Une sorte de guerrier du sud. Le groupe principal sera formé d'une femme française et d'une femme arabe dans les bras l'une de l'autre. Effet commence à être excellent.
Le mort est moulé. Il est bien. Évidemment c'est d'une taille un peu petite pour passer à l'exécution définitive.
Mais je ne crois pas que j'aurai de surprise. Enfin tout dépendra du temps qui me sera indiqué pour la pose des pierres.

8 novembre 1926
Je modifie bien le groupe arrière du monument d'Alger. Les deux femmes, l'Européenne et l'Arabe, s'embrassant fait bien.
Les deux figures du fond aussi. C'est mieux que ces éternels poncifs bons pour sculpteurs de nos villes de province.

16 novembre 1926
Enfin j'ai trouvé l'arrangement du groupe du dos du monument d'Alger. Unité de sentiment. Les deux femmes s'embrassent. Les deux vieillards, l'Européen et l'Arabe s'appuient l'un sur l'autre. L'unité de sentiment a conduit à l'heureux effet plastique. Repris la Victoire. Diminué la tête. En cette taille sa petitesse semble exagérée. En grand ce sera bien. Les chevaux ne vont pas très bien. Un peu ronds et monotones d'accent. Il faut de la nature là dessus.

27 décembre 1926
La Victoire pour le monument d'Alger devient épatante. Elle prend une allure énorme depuis que je traite les bras audacieusement avec un modèle homme
.

9 janvier 1927
Figure du colon au monument d'Alger.

 28 octobre 1927 Alger, Hôtel Oasis
J'ai quand même vu les pierres du monument (11). Le brave Attenni va avoir de quoi bûcher. L'emplacement est magnifique.
(11). Lettre de P. L. à Lily, du 28 octobre 1927 : "L'emplacement du monument est parfait. Il sera imposant, malgré une certaine complication de l'arrangement architectural. L'arrivée également manque de grandeur. J'ai fait aussitôt commencé le déballage du groupe, sous la direction d'Attenni. Le travail à faire est formidable. Tu ne peux imaginer la masse de pierre qu'il y a là.".

18 août 1928
Après-midi au Bouclier.
L'encadrement est complètement trouvé dans sa proportion juste. Tout à l'heure je par s pour le Brusc. Ce n'est pas très raisonnable. Je n'y resterai pas longtemps, hélas! Cette foi-ci. Le monument d'Alger (22) me complique rudement l'existence...

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(22). P. L. s'est déjà rendu à Alger, 5 jours en février (18-22) et 8 jours du 27 juin au 5 juillet. Lettre du 19 février : Je travaille en ce moment tout en haut du gisant. Pour me rendre compte de ce que je fais, il faut d’abord que je descende mes 14 mètres d’échelles, puis une cinquantaine de marches pour aller voir en bas, mon effet. Et je remonte… Ce mort couché, porté à bout de bras en plein ciel…ça fait vraiment bien." Le 5 juillet : "On avait critiqué ce gisant tout en l'air sous prétexte qu'on ne le verrait pas. Il se voit parfaitement de partout et je suis sûr que  ce serra d’un grand effet. Je vais avoir un  graveur arabe avec qui je vais faire tout autour du bouclier une inscription en arabe. »

10 septembre 1928 Alger
Il fait pas mal chaud. Mais c'est supportable. J'ai, dès ce matin, pris mes dispositions pour la démolition de la baraque. On commence demain. Nous allons être en plein soleil, mais c’est nécessaire. Ce travail sur échafaudage est bien fatigant, surtout maintenant. Pour ne pas être gêné par les traverses et les bois, on s'arrange comme on peut. Alors tout le corps est instinctivement tendu. J'espère demain soir en avoir fini avec la Victoire tête, ailes, bras et même les deux têtes de ses compagnons.
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11 septembre 1928
Commencement du démolissage de la baraque. Impression bonne. Têtes Victoire, soldat français, soldat arabe presque terminées. Des simplifications à apporter dans les ailes, le bras droit [de la] Victoire, à terminer et tout le haut sera terminé.
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12 septembre 1928 Alger
Ce soir, au soleil couchant, le monument en partie débarrassé des échafaudages avait grand aspect. La masse compacte de la Victoire avec ses deux grandes ailes, les vides sous le pavois, les silhouettes des deux cavaliers cariatides, ce mort élevé dans le ciel, tout cela très clair, avec de puissants contrastes, impression réellement monumentale, dramatique
. Mais je pense toujours à ma pauvre Sainte Geneviève.

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17 septembre 1928 Alger
Les échafaudages sont presque entièrement enlevés. Effet d'ensemble excellent. Exécution un peu lâchée, vue de près. D'en bas, l'impression est grande
.

9 novembre 1928 Alger
De loin, très bonne impression. Les abords sont terminés. À l'hôtel, on nous donne deux belles chambres qui donnent sur lui. On le voit en plongeant. Le défaut architectural de l'escalier apparaît bien nettement. Ce trou de verdure est absurde. Les architectes sont gens bien compliqués. La plupart ne savent pas se servir de la sculpture. Les deux que nous avons eus sont particulièrement médiocres.
Aussitôt installés, nous redescendons et allons voir de près. J'ai de gros regrets. Il y a notamment une patte droite avant du cheval cavalier français qui est bien mal préparée! Ces Attenni ne travaillent plus consciencieusement du tout. Mais peut-être suis-je seul à voir.
Arrivée des architectes. Oui, vraiment médiocres. Ces deux qui ne sont, ni l'un ni l'autre venus une seule fois à Alger, durant tout le cours du travail, rejettent sur les autres les fautes émises. Ils sont très contents de leur "tapis de verdure" et prétendent que le mauvais effet vient de la façon dont la terre est mise! Monestès me dit que le gisant a l'air de travers. Il critique un tambour dans les bas-relief de Bigonet. C'est tout ce qu'il a trouvé à dire de la sculpture. Gras, rien du tout.

 

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Paul-Maximilien Landowski

 

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