6.9 - Plainte contre le politologue Thomas Guénolé pour "amalgame honteux" par la Fédération des Cercles algérianistes - Paris - 2013

- Correspondance échangée entre Danielle et Jean-Pierre Pister et Thomas Guénolé

Monsieur,

Nous avons entendu hier, au journal de 13h de France-Inter, l’analyse que vous avez faite des propos tenus par Christian Estrosi, sur les « gens du voyage » présents dans sa ville.

Nous respectons votre liberté d’expression à partir du moment où elle repose sur des faits concrets et sur des arguments juridiques. Nous ignorons, en revanche, sur quoi vous fondez votre affirmation péremptoire, lancée avec une arrogance qui balayait à l’avance les protestations de ceux qui pourraient se sentir blessés : « Dans le Midi, la parole raciste se trouve libérée à cause de la présence de nombreux Pieds-Noirs. » Ainsi assénée, elle relève de la diffamation pure et simple et elle témoigne d’un a priori de nature raciste, car elle revient à réduire toute une communauté à un essentialisme que vous refusez, non sans raison, de voir appliqué à toute autre communauté.

Un instant auparavant vous condamniez tout propos stigmatisant, en rappelant que, dans l’entre-deux-guerres, les préjugés antisémites librement exprimés avaient été à l’origine de la Shoa. Pourquoi alors alimenter, aujourd’hui, à l’égard des Pieds-Noirs, une haine pouvant éveiller des vocations exterminatrices chez quelques nazillons ?

Votre discours déshonore le titre universitaire que vous portez et décrédibilise tout propos prétendument scientifique de votre part. Sans compter que la gratuité d’une telle insulte dévoile une grande lâcheté intellectuelle : les Pieds-Noirs n’ont jamais bénéficié d’une quelconque protection juridique spécifique et, depuis plus de cinquante ans, on a pu les traîner impunément dans la boue. Au mieux dans l’indifférence générale, au pire en générant de nouvelles attaques contre eux.

Vous discréditez vous-même, Monsieur, la cause que vous prétendez défendre.

Danielle Pister-Lopez
Agrégée de Lettres modernes, Maître de Conférences honoraire, Université de Lorraine
Vice-Présidente du Cercle algérianiste de Reims

Porte-parole de l’Amicale des Pieds-Noirs de la Moselle

Jean-Pierre Pister
Agrégé d’Histoire-Professeur de Chaire supérieure honoraire, Lycée H. Poincaré-Nancy
Secrétaire du Cercle algérianiste de Reims

Réponse de Thomas Guénolé

Madame, Monsieur,

Le journaliste m'interrogeait sur les raisons d'un racisme plus fort dans le sud de la France qu'ailleurs. J'ai avancé comme élément d'explication la présence bien plus forte des exilés pieds-noirs dans cette partie du pays.

En effet, le racisme à l'encontre des Arabes étant très nettement plus présent chez les Pieds-Noirs, il est logique que les discours politiques de ce type trouvent plus facilement un écho dans le sud de la France.

Pour autant, je vous prie de bien noter qu'en aucun cas je n'ai affirmé que tous les Pieds-Noirs sont racistes : ç'aurait été dire une pure sottise. On peut d'ailleurs facilement trouver des exemples de Pieds-Noirs célèbres qui n'avaient pas ces idées : je pense notamment à Albert Camus.

Merci donc de ne pas assimiler mes propos, de façon totalement abusive, à une insulte faite aux Pieds-Noirs.

Je reste à votre disposition pour en discuter plus en détail par courriel si vous le souhaitez.

Cordialement,

T.G.

Réponse de Danielle PISTER

Monsieur,

Je vous remercie pour la célérité de votre réponse qui, cependant, ne saurait effacer l’impact de votre propos : il aura été reçu par tous les auditeurs de France-Inter, qui s’en tiennent généralement à la vulgate répandue par les médias depuis des décennies, comme une réitération et une confirmation de toutes les accusations lancées contre les Pieds-Noirs, seuls responsables de tous les malheurs de l’Algérie, avant et après l’indépendance de celle-ci. Vous nous gratifiez, en plus,  d’un rôle  pour le moins surprenant : être la cause des difficultés rencontrées par d’autres  populations qui n’ont rien à voir avec leur histoire. La coupe est pleine.

Au-delà des problèmes niçois actuels, vous confirmez, par écrit, ce que je pointais dans votre propos oral : vous justifiez votre accusation intolérable par le fait que « le racisme à l'encontre des Arabes éta[i]t très nettement plus présent chez les Pieds-Noirs » ! Par rapport à qui ? Par rapport à quoi ? Affirmation fondée sur quelle preuve ? Vous pensez prouver votre bonne foi en avançant l’exemple d’Albert Camus. Vous confirmez votre ignorance de la sociologie pied-noire : Camus appartenait au « petit peuple », comme au moins 80% de l’ensemble des Pieds-Noirs, que certains sectaires continuent de présenter comme des nantis bourrés de fric volé aux Arabes. En ville, ils vivaient dans les mêmes quartiers, allaient dans les mêmes écoles et travaillaient dans les mêmes entreprises ; à la campagne, ils travaillaient, côte à côte, dans les champs.

Je ne nie pas des différences sociales : elles étaient décidées par les lois de la France. Comment étaient traitées, à cette époque, ces mêmes populations sur le territoire métropolitain par les « bons » Français ?

Deux éléments posent au moins question : comment expliquer que lorsque des Pieds-Noirs retournent en Algérie (cela a été mon cas), ils sont reçus à bras ouverts ? Pourquoi, après l’indépendance, des Algériens, au sens nationaliste du terme, restés ou immigrés en France, soient allés, quand ils en avaient la possibilité, vers des entrepreneurs Pieds-Noirs, car ils étaient mieux compris et mieux respectés par eux que par les patrons « métropolitains » ?

Je le dis, je le répète, il est intolérable de continuer à diffuser des préjugés « racistes » (terme qui demanderait une définition précise, alors qu’on l’emploie à tort et à travers, et toujours à l’encontre des mêmes), contre une communauté qui n’a cessé d’être stigmatisée par les politiques français et algériens, afin que le les deux pays puissent établir un semblant d’entente, aux dépens des « sans voix » que sont devenus les P-N : ils n’ont ni gaz ni pétrole à vendre et ne pratiquent pas le terrorisme. On les a renvoyés dans les ténèbres extérieures de l’histoire. C’est très commode pour dire n’importe quoi sur eux.

J’ai une certitude : l’Histoire finit toujours par dire, sinon la Vérité (idéal hors de portée humaine), du moins par rétablir plus objectivement les faits.

Je caresse un espoir : que toute insulte, stigmatisant notre communauté, soit condamnée pénalement, comme c’est déjà le cas pour ce qui concerne les Harkis.

N’en déplaise à certains, nous sommes des humains comme les autres, avec nos qualités et nos défauts, ni plus, ni moins. Mais avec une douleur à laquelle personne ne veut compatir et que trop de monde s’acharne à augmenter à plaisir.  On ne saurait les en remercier. Je souhaite, pour terminer qu’à l’initiative de nos associations, vous ayez à répondre de vos propos infamants devant les tribunaux.

Danielle Pister-Lopez
Agrégée de Lettres modernes, Maître de Conférences honoraire, Université de Lorraine
Vice-Présidente du Cercle algérianiste de Reims
Porte-parole de l’Amicale des Pieds-Noirs de la Moselle

Sincéres remerciements à Danielle et Jean-Pierre PISTER
Simone Gautier

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