13.7 - MOLTO Patrick : Fascinante mémoire collective que la mémoire de ces pieds noirs

VI - Les témoignages - Les enfants d'hier et d'aujourd'hui

"Date de naissance ?"
"8 décembre 1961"
"Où ça ?"
"Alger en Algérie"
"Vous êtes de nationalité française ?"

Et voilà, voilà encore et encore pour la énième fois de ma vie que l'on me repose cette question. M'aurait-on posé cette question si j'avais répondu né à Bastia ou à Pointe à Pitre ?

Tout le drame de l'incompréhension des Pieds noirs pourrait être résumé par cette itrenculture. Cette désinformation volontaire et ce mépris que suscite cette tranche de l'histoire de France.

Je m'appelle Patrick MOLTO. Je suis né à Alger dans le quartier populaire de Bâb el oued, à Alger quand cette ville à qui on avait donné ce surnom magnifique d'Alger-la-Blanche était la deuxième ville de notre pays derrière sa capitale Paris.

Je suis retourné dans cette ville où j'ai vu le jour pour quelques heures seulement mais j'ai l'impression de le connaître, cet Alger, que les Algérois aiment tant, qu'ils se souviennent presque 50 ans plus tard des noms des rues, des places, des noms des cinémas et des commerces... Fascinante mémoire collective que la mémoire de ces pieds noirs d'Algérie, un peu comme si le temps s'était arrêté quand on les a privés de leur terre en 1962.

Après avoir été des algérois heureux, l'histoire va à apprendre aux pieds noirs un nouveau mot, un mot terrible synonyme de larmes et de déchirement ... le mot : "rapatrié". L'histoire terrible de leur communauté, ces pieds noirs d'Algérie l'ont souvent masquée derrière un folklore pittoresque presque caricatural, mélange savoureux de joie de vivre, d'esprit de famille et d'amitié hors du commun et puis lentement le temps a passé, année après année, cette douleur s'est transformée en colère puis en nostalgie. Cinquante années plus tard ces pieds noirs sont tous habités par la même mélancolie quand ils parlent, quand ils pensent ou quand ils se souviennent de leur terre, cette Algérie où ils étaient heureux ensemble.

Quand j'étais écolier, à mes camarades stupéfaits de ce lieu de naissance, hors de la carte dessinée en cours de géographie et à qui je pardonnais cet étonnement, je répondais sûr de moi :"vous comprendrez bientôt", certain d'étudier à coup sûr cette Guerre d'Algérie dans mon programme scolaire. Mais l'Etat français qui avait lâchement et honteusement abandonné les rapatriés, n'a pas davantage su enseigner cette histoire-là à leurs enfants. Alors j'ai étudié les égyptiens et les romains, les gaulois et les croisades, la révolution, les guerres mondiales et l'holocauste mais rien ou presque sur ces années de feu et de sang. Rien pour expliquer aux petits écoliers de Paris, de Toulouse ou de Strasbourg pourquoi ils avaient dans leurs classes des petits copains nés en Afrique du Nord, qui ne parlaient pas un mot d'arabe et qui pourtant leur ressemblaient. Bien sûr, je me posais moi aussi des tas de questions sur le sujet. Alors il m'a fallu, auprès des miens, chercher les réponses à ces interrogations, et, loin du relativisme déplacé et des partis pris du corps enseignant, ma famille et surtout mon père  m'ont expliqué les pourquoi et les comment de ces évènements qui changèrent à jamais la vie de milliers de français.

J'ai compris alors leur colère et leur révolte, leurs chagrins et leurs amertumes. Le temps a passé depuis. De l'autre côté de la Méditerranée, il y a cette Algérie où ils n'iront sans doute plus car plus rien ne subsiste du pays qu'ils ont tant aimé. Aussi les Pieds noirs préfèrent vivre dans le souvenir de cette Algérie à jamais perdue. Cette Algérie où sont enterrés tant de leurs morts dont mes deux grands-pères que je n'ai pas connus.

Leurs corps reposent au cimetière de Saint Eugène que les Algérois connaissent bien pour y avoir conduit beaucoup des leurs. Mes deux grands-pères y sont enterrés, eux qui avaient payé leur part de patriotisme envers une France qui plus tard va les trahir : Campagne de Tunisie pour mon grand-père paternel, Campagne d' Allemagne pour mon grand-père maternel, prisonnier de l'ennemi durant cinq longues années, tué tragiquement le 23 mars 1962, dans son appartement durant le siège de Bâb el Oued par les forces gaullistes (ma jeune tante âgée seulement de 15 ans grièvement blessée au cours du même assaut). Deux hommes qui croyaient à la France et qui aimaient leur pays , deux citoyens dont le dévouement et le patriotisme ont été bafoués. Pour toutes les familles qui ne peuvent se recueillir sur les tombes de leurs proches, quelles propositions les gouvernements successifs ont-ils mis en place pour envisager un rapatriement des corps ? Aucune. La moindre des choses aurait été pour l'Etat français de prendre à sa charge ce  rapatriement mais ce gouvernement qui n'a de cesse de ne pas blesser ou offenser certaines communautés privilégiées, se moque éperdument des rapatriés d'Afrique du Nord.

Enfants, petits-enfants de Pieds noirs, c'est à nous désormais de continuer à transmettre cette culture qui au-delà des clichés anisette-couscous, reste avant tout une culture de famille, d'honneur et d'amitié.

Ne comptons pas sur les soi-disant célébrités nées en Algérie, en Tunisie ou au Maroc (et Dieu sait qu'elles sont nombreuses) pour rendre hommage à leur terre natale, ces artistes ou ces politiciens de tout poil, préférant la plupart du temps éclipser le sujet un peu comme si elles s'excusaient d'être nées là-bas. Personnellement, n'en déplaise à certains, je suis pied noir et fier de l'être et je sais que lorsque le temps sera venu, j'expliquerai à mon tour à mes enfants l'histoire de mes racines, l'histoire de ma famille et celle de la ville où je suis né. Mais il est encore un peu trop tôt, le temps viendra assez vite. En attendant c'est à nous de continuer ce travail de mémoire que nos familles ont entrepris dès que leurs pas ont foulé le sol de cette métropole qui ne les a pas beaucoup aidés à défaut de les comprendre.

Faisons-le pour nos parents et pour tous nos ancêtres car nous le leur devons bien.

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Patrick MOLTO

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Alicante 5 et 6 Octobre 2012

 

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