3.2 - L'exil et le silence

I - Une journée historique - L'exil ou la patrie perdue.

3 - Série de documentaires. « Les pieds-noirs : histoire d’une blessure ». « Les années romantiques » réalisée par Gilles PEREZ et Karine BONJOUR - Article de Jean-Claude Guillebaud

Une remarquable série sur l’histoire de ces exilés trahis en leur temps par leur patrie, la France, et oubliés depuis ou presque : les pieds-noirs.

45 ans après, le temps serait-il enfin venu d’écouter cette souffrance-là ? Elle fut si longtemps refoulée. Ou niée. Je parle de celle des pieds-noirs, ces Français d’Algérie que la métropole n’accueillit que du bout des lèvres en 1962, quand ils durent choisir entre « la valise ou le cercueil », et quitter leur pays, leurs maisons et leurs cimetières. Pendant des décennies cette souffrance-là n’eut pas très bonne presse. Ne s’agissait-il-t-il pas de ces « colons » ? De privilégiés ? D’exploiteurs ? N’était-elle pas-comme celle des harkis-, surtout montée en épingle par l’extrême droite méridionale ?

Alors, ces Pieds-Noirs, on accepte bien par la suite, de célébrer la réussite, leur intégration métropolitaine et leur bonne humeur, mais à condition qu’ils fassent à peu près silence sur le reste. D’accord pour écouter Guy Bedos, Enrico Macias ou Marthe Villalonga ; d’accord pour lire les romanciers venus de « là-bas » se souvenir des déchirements d’Albert Camus, mais pas davantage. La France, en somme, ne s’intéressa jamais vraiment à l’histoire de cette turbulente communauté faite d’Espagnols, de Juifs Séfarades, de Maltais, d’Italiens ou d’Alsaciens-Lorrains que l’Algérie avait fondus en un peuple français véritable. Avec ses naïvetés. Avec son goût du bonheur et son attachement à la patrie métropolitaine, qu'on venait défendre en traversant la Méditerranée, via la campagne d’Italie et en chantant « C’est nous les Africains ».

Si la France n’en a pas encore fini avec sa mémoire algérienne, si l’obligation lui est faite de regarder ce passé en face, on aurait tort de croire que seules les souffrances algériennes et musulmanes sont concernées. Il y a aussi celles des pieds-noirs, menu peuple de Bab-el-Oued, de Constantine ou d’Oran qui fut bel et bien berné par le régime gaulliste. Et abandonnée à son sort : l’exil et le silence.

C’est cette histoire-là alors, que le réalisateur Gilles Perez a entrepris de rapatrier pour de bon (si l’on peut dire) dans la mémoire nationale, par le truchement de ces trois épisodes, tous les trois bouleversants. Le romantisme des origines, c’est celui de l’édification d’un pays et de la création d’une manière de peuple créole, mais plus français que les gaulois eux-mêmes. Les années dramatiques se sont celles qui vont de 1954 à 1962 : un rêve se brise, l’horreur prend le dessus. Les années mélancoliques, enfin, ce sont celles des « événements » (on ne disait pas la guerre), des meurtres de masse, des enlèvements d’européens à Oran, de la fuite des pieds-noirs vers la métropole, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne leur tendait pas le bras.

En écoutant parler, murmurer plutôt, quelques rescapés de la fusillade de la rue d'Isly en 1962, qui vit l’armée française tirer sur une foule désarmée et faire (officiellement) 56 morts et 150 blessés ; en entendant ces hommes et ces femmes dirent leur horreur et expliquer pourquoi ils se sentirent -a jamais !- trahis , on se pose mentalement une question troublante. Celles-ci : au cours des 45 années passées, avait-on déjà pris la peine, dans les grands médias, d’écouter aussi attentivement cette douleur ravalée ? Probablement pas. Ou si peu. Et si mal. Il faut regarder, enregistrer et revoir encore ces trois épisodes.

Jean-Claude Guillebaud

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