8.5 - De Gaulle et les médias : un grand homme (mais hélas une sanglante et honteuse sortie du marécage Algérien)

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Ces années de plomb qui durent depuis1962

De Gaulle et l'Algérie sur France Culture

France Culture a diffusé dans la semaine du 15 août dernier, seize heures d'émission consacrées à De Gaulle à l'occasion du 50ème anniversaire de son retour au pouvoir. L'intention manifeste des réalisateurs était de mettre en lumière, une fois encore, la prétendue clairvoyance universelle du "grand homme".

Pour se limiter au seul drame de l'Algérie, on peut dire que la diffusion de documents d'époque a constitué l'intérêt essentiel de ces programmes. Ainsi, le célèbre discours du 4 juin 1958 prononcé au Forum d'Alger est transmis dans son intégralité, bien au-delà du trop fameux "je vous ai compris". On constate une fois de plus, qu'il n'y avait aucune ambiguïté apparente dans les phrases "livrées à la multitude", quoi qu'en dise l'auteur dans ses Mémoires d'espoir. Il est trop facile d'affirmer, comme c'est le cas dans la vulgate gaulliste, que la foule assemblée à Alger ce soir-là était assez naïve et immature pour ne comprendre que ce qu'elle voulait bien entendre. De même, à la fin des barricades, le 29 janvier 1960, lorsque le chef de l’État déclare à la télévision, à propos d'éventuelles négociations directes avec le seul FLN : "Cela je ne le ferai pas", il n'y a pas la moindre équivoque possible, même pour les lecteurs familiers de Machiavel !

Pour le reste, le contenu de ces émissions relève de la mythification et de l'hagiographie sans nuance. Pouvait-il en être autrement de la part des participants aux différents débats menés par Pierre Assouline ? Au fil des cinq matinées de diffusion, seuls deux historiens de stricte formation universitaire -Michel Winock et Jean-Pierre Rioux - sont intervenus sans rien dire de notable sur l'Algérie, au-delà de l'épisode du retour au pouvoir en mi-juin 1958. Parmi les autres invités : les écrivains Max Gallo et Régis Debray, l'ineffable Jean Mauriac, journaliste gaulliste inconditionnel et l'ancien ministre socialiste Jean-Pierre Chevènement. Rappelons que ce dernier était présent à Oran comme fonctionnaire stagiaire dans la préfectorale, à l'heure des évènements tragiques du 5 juillet 1962. Il y fait allusion, non sans cynisme, en présentant cela comme un épisode secondaire, retombée collatérale de cent trente-deux de colonisation ; et en rappelant sur un ton totalement dénué d'émotion, qu'il était allé négocier à Tlemcen, avec l'entourage de Boumedienne, la libération d'une vingtaine de personnes enlevées. Seul l'ancien ministre Hervé Gaymard, tout en s'affirmant de tradition gaulliste, a clairement affirmé qu'il regrettait et condamnait l'improvisation et l'inhumanité avec lesquels avaient traitées les Pieds Noirs et les Harkis. On remarquera à ce propos, la tendance plus que perverse avec laquelle d'autres intervenants se sont efforcés de désolidariser le drame des harkis et celui des Pieds noirs.

On l'aura compris, il ne fallait pas attendre de ce genre de production une relecture objective de ces moments honteux, dans notre mémoire nationale, que furent les derniers temps de l'Algérie française. Quant à la supposée prémonition gaullienne en tous domaines, il est judicieux de citer Jean-François Revel qui écrit, dans Le style du Général : "Nul ne peut dire (.....) que sa laborieuse, lente et sanglante sortie du marécage algérien constitue une prouesse dans l'art de la politique".

N'en doutons pas, l'Histoire authentique finira, comme toujours, par s'imposer à terme : on verra alors à quel point l'Algérie constitue la page la plus sombre de la prétendue épopée gaulliste.

Jean-Pierre Pister
Agrégé de l'Université - Professeur de Chaire supérieure au lycée H. PoincaréA de Nancy.
Enseignant l'Histoire en khâgne.
Membre du Cercle algérianiste "Reims-Grand-Est".

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