1.6 - Le 5 juillet à ORAN - Les témoignages

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Le 26 mars… Le 5 juillet… les massacres continuent


3 - Témoignage du Lieutenant Rabah KHELIF

Commandant la 4ème compagnie du 30ème Bataillon de Chasseurs Portés
ACTION  EXCEPTIONNELLE  D’UNE  UNITÉ  MILITAIRE  FRANÇAISE

ORAN le 5 juillet 1962

Des ordres écrits, qu’ils avaient du signer, leur enjoignant de ne pas bouger de leur cantonnement, avaient été donnés aux officiers qui commandaient les 12 000 soldats, gendarmes et C.R .S. répartis dans chaque quartier de la ville d’ORAN. Le Lieutenant KHELIF et sa compagnie étaient stationnés dans le secteur d’ORAN ce 5 juillet 1962.
Dans son livre, (Editions Fayard 1993) Mohand HAMOUMOU, écrit :" De rares officiers violèrent les ordres pour aller porter secours à une population civile terrorisée".  Le cas du  lieutenant KHELIF reste exceptionnel, il témoigne:

« Le 5 juillet 1962, des renseignements alarmants me parviennent de la ville d’ORAN, me disant qu’on est en train de ramasser les pied-noir, les musulmans francophiles et c’est effectif. On les embarquait dans des camions, on les emmenait vers ce que l’on appelait « les petits lacs », qui se trouvaient entre ORAN et l’aéroport et là, on les fusillait comme faisaient les SS, puis on les jetait dans le petit lac. (Il paraît que maintenant on a cimenté le petit lac).

Je demande donc des ordres à mon chef de bataillon, le général KATZ, qui commandait à ce moment-là en Algérie, et qui avait donné des ordres pour que les troupes françaises, quoi qu’il arrive, ne sortent pas des cantonnements. C’était un ordre écrit (que nous avions, d’ailleurs, tous émargé). L’adjoint au commandant me dit : « Mon garçon tu connaîs les ordres, le général KATZ a dit de ne pas bouger ».

J’étais le seul officier musulman commandant de compagnie à l’intérieur du bataillon. Je téléphone à mes camarades commandants de compagnies, tous européens, je leur explique ce que j’ai appris, ils me disent avoir les mêmes renseignements, mais qu’ils ne peuvent pas bouger vu les ordres. « Mais enfin ce n’est pas possible leur ai-je dit, on ne va pas laisser les gens se faire trucider comme ça sans lever le petit doigt. Moi je ne peux pas, ma conscience me l’interdit ».

Je téléphone à l’échelon supérieur, au colonel commandant le secteur. Je tombe sur son adjoint et lui explique mon cas, il me répond : « Écoutez mon garçon, nous avons les mêmes renseignements que vous, c’est affreux, faites selon votre conscience, quant à moi je ne vous ai rien dit ». En clair, je n’étais pas couvert.

J’embarque l’équivalent de quelques sections dans les camions dont je pouvais disposer et je fonce sans ordres sur Oran. J’arrive à la préfecture, il y avait là une section de l’A.L.N. (Armée de Libération Nationale), des camions de l’A.L.N. et des colonnes de femmes, d’enfants et de vieillards dont je ne voyais pas le bout.

Plusieurs centaines en colonnes par 3 ou 4 qui attendaient là avant de se faire zigouiller.

J’avise une espèce de planton devant la préfecture et lui demande où se trouve le préfet, il me dit :" Mon lieutenant regardez, c’est ce Monsieur qui monte ». En 4 ou 5 enjambées, je rattrape ce gros Monsieur avec une chéchia rouge. Je crois lui avoir dit : « Monsieur le Préfet je vous donne cinq minutes pour libérer tous ces gens-là, sinon on fera tout sauter ». Il ne m’a pas répondu, il a descendu l’escalier, s’est dirigé vers le responsable de la section A.L.N.. Ils ont discuté quelques minutes et la section A.L.N. est partie.

Le Préfet est venu et m’a dit : « C’est fait mon lieutenant », et a dit aux gens : « Mesdames, Messieurs vous êtes libres, vous pouvez rentrer chez vous ».
Je reverrai toujours cette scène hallucinante de femmes d’enfants et de vieillards  qui pleuraient, poussaient des cris hystériques, courant, tombant les uns sur les autres…Quelqu’un est venu me trouver et m’a signalé qu’il y avait des gens blessés. Je les ai fait mettre à l’abri pour les faire soigner.

Puis j’ai installé des patrouilles sur les axes routiers qui menaient au port ou à l’aéroport, car j’ai appris qu’on arrêtait  les gens qui fuyaient, qu’ils soient musulmans ou européens d’ailleurs. C’était la population ou des gens armés ne faisant même pas partie de l’A.L.N., qui les arrêtaient, les volaient, les tuaient.

J’ai donc mis des contrôles pour éviter cela et je les arrachais littéralement aux mains de la population. Au risque de ma vie, souvent, je les escortais jusqu’au port, parfois seul dans ma Jeep, avec simplement mon chauffeur et mon garde du corps.

J’ai fait cela en ayant le sentiment de ne faire que mon devoir.

En transgressant les ordres et en déployant ses hommes sur plusieurs kilomètres le lieutenant KHELIF a sauvé de très nombreuses vies. Pour cela il a été SANCTIONNE :
Le général KATZ, qui l’a convoqué, lui dira : « Si vous n’étiez pas arabe, je vous casserais. » Le lieutenant KHELIF  a été  immédiatement muté et rapatrié en métropole.

ORAN était la seule grande ville d’Algérie qui comptait plus d’européens que de musulmans. Le 5 juillet sur 220 000 Oranais pied-noir,  il ne restait plus que 20 000 à 25000 européens.  En ce mois de juillet 62 c’est plus de 3000 civils qui ont été enlevés et qui pour la plupart, n’ont  jamais été retrouvés, sauf ceux qui atrocement mutilés jonchaient les rues ou étaient pendus par la gorge à des crochets de  bouchers.


Rabah KHELIF

 

Voici le récit fait par le lieutenant Rabah Kheliff, officier français à avoir désobéi aux ordres criminels de sa hiérarchie et sauvé des centaines de vies humaines en obligeant par la force à libérer des malheureux Français prisonniers du FLN et promis à une mort atroce.
Ne mérite-t-il pas de figurer parmi "les Justes"

Manuel GOMEZ - Journaliste - Écrivain

 

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