6.5 - Place Bugeaud

VI - Les témoignages - Grande Poste les blessés, leur famille et amis

Place Bugeaud

1 - BERRET André

1 - BERRET André - 18 ans: Je tombe sous le poids de la vitre, cela me sauvant peut-être je protège mon visage et mes bras

-  Extrait de son témoignage paru dans "Un crime sans assassins" de Francine Dessaigne pages 127-128

... Avec toute la famille nous partons. Les rues sont remplies de gens silencieux au visage tendu. Je pense à mes grands-parents enfermés à Bab el Oued depuis plusieurs jours. Les rumeurs les plus folles circulent..... Nous descendons du GG puis arrivons devant la grande poste.

Nous y rencontrons un premier barrage de l'armée. Je souris car ces soldats débordés semblent bien impassibles voir débonnaires, funeste erreur. En vérité c'est le premier acte du piège qui vient de tomber. Je note que certains de ces soldats sont arabes. Je m'en étonne.

La foule est immense, serrée dans toute la largeur de la rue d'Isly. Le silence est impressionnant: pas de slogan, pas de banderoles. Nous avons pour consigne de marcher sur le blocus de Bab el oued. Sans armes, ce que déplore mon père, inquiet.

Avec ma famille nous arrivons à la hauteur du Milk Bar, et soudain, c’est l'horreur qui éclate avec les premiers coups de feu. Sans aucune sommation. Ils semblent jaillir de toute part. Qui tire ? D'où ? Pourquoi ?

J'entends crier "halte au feu" - sans succès.Toutes ces questions défilent dans ma tête à la vitesse des détonations. En me jetant à terre j'ai le temps d'apercevoir des gens étendus sur la route et les trottoirs. Certains semblent touchés.

Puis soudain une terreur folle traverse mon esprit: où sont mes parents ? Sans ne plus penser à rien d'autre, je me relève .. une rafale de mitraillette passe au-dessus de ma tête et fracasse la vitrine d'un magasin.

Je tombe sous le poids de la vitre, cela me sauvant peut-être et je protège mon visage de mes bras. .... C'est alors que du sang coule de la manche de mon pull-over et l'inonde tout entier. ...

On me pousse dans un couloir, on me déshabille, on me palpe Ouf ce n'est que le bras. Je ne peux plus bouger la main, un mouchoir sert de pansement et de garrot. ...

Un médecin ami viendra nous chercher. Grâce à son macaron nous pourrons franchir les nombreux barrages qui barricadent toutes les rues. ...

Après un mois de main inutilisable et paralysée on m'opérera aux Glycines, je crois, où le chirurgien fera un miracle en recousant chacun des tendons coupés par je suppose, le bris de la vitrine. En retrouvant presque la totale mobilité, j'irai poursuivre la rééducation à Paris où l'on admirera le travail du chirurgien pied noir.

Je suis pensionné "civil victime de guerre" à 10%. mais c'est une autre blessure qui subsistera en moi.

 

ATT1
Le point rouge indique "Le Milk-bar"

 

7.301

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