6.3 - Au cœur de la fusillade - Plateau des Glière - Grande Poste

 

2 - Alcayde Gilbert - 37 ans - Les éclats métalliques provoquant de très nombreuses perforations intestinales, ce qui pose la question du type de munitions utilisé pour mitrailler des civils.

Extrait de son témoignage paru dans "Un crime sans assassins" de Francine Dessaigne page 168-170 et dans la revue" L' Algérianiste" mars 1992.

La mise en place d'une nasse
Je faisais partie d'un des petits groupes de civils qui, vers 13 h 30, descendaient la rue Michelet en direction de la place de la grande poste. Des troupes en armes 
stationnaient à l'entrée du tunnel des facultés, du côté du boulevard Saint Saëns. Devant l'université, occupée par l'armée, un groupe de militaires sous les ordres d'un commandant barrait la rue à la hauteur du grand portail menant à la Bibliothèque : des fils de fer barbelés ne laissaient qu'un passage étroit le long du mur opposé. Une jeune femme qui remontait la rue se fit refouler par l'officier qui disait avoir reçu des ordres pour interdire la circulation dans ce sens..... Elle était sortie pour acheter du lait ... et elle rentrait chez elle où elle avait laissé son bébé. Après une vive discussion entre l'officier et les civils présents, elle fut autorisée à franchir le barrage. (Lire aussi

... Le plus gros du cortège étant passé, je m'apprêtais à m'engager dans la rue d'Isly lorsque des hommes de troupe, tous musulmans reformèrent le barrage. Ils étaient visiblement très tendus et leurs visages étaient blêmes : les civils, toujours calmes, tentaient de les convaincre de les laisser circuler......

Un feu d'enfer
Dès les premiers coups de feu, la foule se dispersa et les gens s'éloignèrent du barrage en courant mais la mitraille s'intensifiant de nombreuses personnes se jetèrent au sol; pour ma part je me trouvais allongé à une vingtaine de mètres au plus des tireurs, la tête en direction de la poste et les jambes coincées par le corps d'un sapeur pompier en tenue qui était tombé sur moi en travers. J'apercevais de nombreuses personnes dont des femmes et des enfants qui tentaient de se mettre à l'abri dans l'embrasure de la porte d'accès au Crédit Foncier s'ouvrant dans l'angle formé par la rue d'Isly et la rampe Bugeaud : c'est sur elles que le feu se concentra tout d'abord et les corps tombèrent les uns sur les autres jusqu'à ne plus faire qu'un amas sanglant. Les corps sans vie continuaient d'être secoués par les balles qui les atteignaient. La vision était effroyable.

... Les premières victimes ont été les personnes qui cherchaient à s'abriter dans les embrasures de portes ou les encoignures et celles qui tentaient de fuir en courant. Le feu fut ensuite dirigé vers celles qui étaient couchées sur la chaussée et sur les trottoirs ..... Quelques instants plus tard, je ressentis un choc très violent au niveau des cuisses et du bassin suivi peu après par une douleur intense. Je venais d'être atteint par une rafale d'arme automatique tout comme le sapeur pompier .....

Un spectacle affreux
.... entre les corps ensanglantés des morts et des blessés étendus sur la chaussée et sur les trottoirs, on apercevait des vêtements, des chaussures, des sacs à main abandonnés. Puis les cris et les gémissements des blessés se firent entendre. J'essayais de me redresser mais en vain, car mes jambes me refusaient leur concours: je baignais dans le sang. .... On me mit d'abord à l'abri dans le hall d'entrée du premier immeuble de la rue d'Isly puis on me chargea sur la plate forme d'un camion de l'armée avec d'autres blessés et des morts. Le voyage jusqu'à l'hôpital de Mustapha fut effroyable : à chaque coup de frein, dans chaque virage, les corps roulaient les uns sur les autres et les blessés hurlaient de douleur. A l'hôpital le nombre de lits de la salle de tri étant insuffisant, les premières victimes étaient déposées sur des brancards puis les suivantes à même le sol. J'étais allongé à côté d'une jeune fille d'une vingtaine d'années qui avait sous le menton une petite blessure qui ne saignait pas. Elle était très pâle et visiblement apeurée. Je lui dis que les choses allaient s'arranger puisqu'elle était prise en charge par les médecins. Elle eut un pauvre sourire et mourut quelques instants plus tard ...

Admis en première urgence dans le service du professeur Ducassou, je fus immédiatement examiné par une équipe médicale très efficace. On crut tout d'abord que j'avais été blessé, non seulement par des balles, mais également par des éclats de grenade car les radiographies révélaient la présence de très nombreux éclats métalliques dans l'abdomen. En réalité, j'avais reçu trois balles qui avaient pénétré au niveau des cuisses. L'une était ressortie à la partie supérieure de la hanche après avoir fracturé le grand trochanter du fémur gauche, une seconde logée dans la gouttière vertébrale à la hauteur des omoplates ne put être retirée car son enveloppe s'était largement ouverte; la troisième s'était fragmentée dans l'abdomen. Les éclats métalliques provoquant de très nombreuses perforations intestinales, ce qui pose la question du type de munitions utilisé pour mitrailler des civils.Si la douleur physique me réveille de temps à autre, elle n'est que passagère. La douleur morale, elle, est permanente.

 

Notes de Francine Dessaigne

1 - J'ai demandé à Monsieur Alcaydé quelle était la position du premier tireur. Il le situe approximativement devant l'agence Havas soit au 57 rue d'Isly

2  -La balle qui s'est fragmentée en multiples éclats dans l'abdomen n'avait touché aucun os. Les radiographies prouvent l'existence de ces éclats
."Je suis une preuve vivante"

Notes de  Simone Gautier

1- Ce témoignage est à rapprocher de celui de Michèle Gola-Malaterre : descendant d'El Biar, rencontre avec des militaires arabes en tenue d'opération obligeant les voitures à descendre vers le centre ville  Lire : ICI

2 - Témoignage de Monique Ferrandis qui témoigne de la balle qu'elle a reçu dans la fesse s'est fractionnée en une multitude d'éclats à l'intérieur de l'abdomen, sans avoir touché aucun os. Les radiographies en font foi  Lire : ICI

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