12.4 - Docteur André FOURRIER

VI - Les témoignages - Les médecins - les infirmiers - les pompiers

Témoignage du docteur André Fourrier
Professeur Émérite
Doyen Honoraire de la Faculté de Médecine de Lille

A Francine Dessaigne
Le 22 février 1993

J'ai bien reçu votre lettre du 15 courant.

Malheureusement je ne puis vous être d'une grande utilité. Au moment de la fusillade j'étais à l'hôpital d'El Ketar et les morts et les blessés ont tous été évacués à Mustapha.

Vous aurez de grandes difficultés pour avoir une notion valable sur ce rapport d'autopsie et ce dossier "disparus".

En effet  le Docteur Thiodet qui était mon médecin légiste et a effectué la plupart pour ne pas dire toutes les autopsies est aujourd'hui décédé. Toutefois, je me permets de vous adresser, si vous ne les connaissez pas, l'adresse de deux de mes amis qui pourraient peut-être vous apporter quelques renseignements. Il s'agit :
– du Professeur Pierre Michaux qui était lui aussi médecin légiste et professeur de médecine légale.
– du Professeur Laurent Chevreau qui était à la manifestation.

Merci pour le travail que vous faites. Cette atroce fusillade, pour moi, porte un nom qui m'est très cher, celui de Jean Massonnat. J'espère que vous réussirez, et je vous prie de croire, Mademoiselle, à l'assurance de mes meilleurs sentiments.

"J'étais alors professeur à la Faculté de médecine d'Alger et habitais au 90 de la rue Michelet le 26 mars, dans le début de l'après-midi, je descendais vers la Grande Poste pour assister à la manifestation prévue quand à la hauteur de la pâtisserie "Princière" j'ai entendu la fusillade; j'ai donc rebroussé chemin pour me rendre à l'hôpital de Mustapha, me doutant qu'il y allait avoir à s'employait là-bas.

En effet, l'après-midi s'est passé à recevoir et soigner les nombreux blessés qui arrivaient. Dans la soirée je suis allé à la Morgue de l'hôpital où étaient entassé les cadavres des victimes : j'ai notamment encore le souvenir très vif de deux très jeunes filles, des sœurs, qui avaient été tuées à " bout touchant" comme on dit en médecine légale.

Révolté par ce spectacle, j'ai alors téléphoné à un ami en lui demandant de rassembler dans les hôtels le plus possible de journalistes et de les emmener à l'hôpital; il en est venu un certain nombre, français et étrangers et je puis citer deux de leurs réactions :

1) un journaliste allemand  (je ne me rappelle malheureusement plus quel était son journal) m'a dit :"j'espère qu'après cela les journaux français ne parleront plus d'Oradour sur Glane"
2) deux journalistes français du "Monde" : l'un n'a pas pu supporter le spectacle et est sorti pour vomir;
J'ai demandé à l'autre si son journal relaterait ce qu'il venait "Non" m'a-t-il répondu, "ça ne passera pas à la rédaction".

J'ajoute que j'ai vu arriver le cadavre de l'un de mes élèves et ami, le docteur Massonnat [1] qui avait été tué de très près lui aussi alors qu'il portait secours à un ou une blessé.
On l'a enterré presque clandestinement (lui et bien d'autres) au cimetière d'Hussein-Dey, le surlendemain matin si mes souvenirs sont bons : pas d'autorités naturellement, un prêtre ou quelques parents ou amis ; mais à ce moment est passé sur la voie proche, le train spécial qui conduisait, chaque jour, au Rocher Noir les fonctionnaires du Gouvernement Général. Il a ralenti, et, en passant, a scandé avec sa sirène les cinq notes de l'Algérie française". Outre le chagrin de cette matinée, c'est le plus émouvant hommage à ces morts du 26 mars que j'ai entendu et j'en remercie dans mon cœur ce mécanicien anonyme qui leur disait ainsi adieu.

[1] Voir l'article VI- 5.25 : ICI

01Pris sur le site de Hubert Zatkine, un site fabuleux : ICI

 

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