3.1 - Témoignage du Colonel PUIGT

VI - Les témoignages - Bâb el Oued - Les militaires

Témoignage du Colonel PUIGT

Opération encerclement de Bâb-el-Oued le 23 mars 1962

En ce 23 mars, bête et discipliné, j’ai mis un E.M.T. (État-major tactique) à la disposition du Colonel CARAVEO et allais déposer ma demande de mise à la retraite anticipée à l’état-major du Corps d’Armée à la Caserne Pélissier.

Je rejoignis ensuite mon bataillon à Bâb-el-Oued à 20h30 pour en assumer moi-même le commandement.

Je veux ne noter de cette mission que ce qui me paraît essentiel. Maintien de l’ordre dans Bâb-el-Oued : le commandant Bazin, commandant de l’E.M.T.I, refusa catégoriquement d’en assumer l’exécution, me reprochant amèrement de ne pas tenir parole ce que j’avais affirmé, antérieurement, que je n’accepterai jamais d’une mission de maintien de l’ordre dans Alger.

Il fut remplacé par son adjoint le capitaine PUICHAFFRAY. L’un et l’autre ignoraient la décision que j’avais prise en ce qui concernait mon propre avenir.

Le dispositif des différentes unités utilisées pour le bouclage figure dans la photocopie du plan de Bâb-el-Oued (joint).[1]

Le lendemain 24, le colonel CARAVEO [2] est relevé de son commandement et remplacé par le colonel BORREIL, aujourd’hui général à la retraite en Roussillon. J’ignorais les raisons de cette relève, mais sous le manteau il se murmurait que le colonel CARAVEO avait « écopé » d’un certain nombre de jours d’arrêt de forteresse.

Je ne crois pas que ce soit le fait de ne pas m’avoir confié le commandement d’un sous-groupement correspondant à mon ancienneté de grade, comme le lui avait reproché le général de MENDITTE (commandant IE C. A. A.), par message secret urgent le 23 23 15 Z (heure de départ), suite à ma demande de mise à la retraite.

Il eut été plus probable qu’il lui était reproché la fuite des éléments de l’OAS qui avaient échappé au bouclage en fuyant par les égouts et par le cimetière vers Saint Eugène (ce qui était à vérifier) [3]. La matinée de ce 24 mars, marquée par les problèmes de commandement occasionnés par l’attitude du commandant BAZIN qui était venu rejoindre ses troupes dans la nuit et qui, ouvertement, s’était montré trop disposé à ne respecter aucun ordre concernant l’étanchéité du bouclage mis en place par les unités non seulement du 5° R.T. mais encore de celles placées en cordon le long du boulevard de Champagne. [3]

Le commandant BAZIN utilisait par le truchement du poste d’entrée de l’hôpital MAILLOT, un contact téléphonique assez fréquent avec les responsables de l’O.A.S. dont le sous-préfet ACHARD.

A 14h30 environ une vive fusillade, déclenchée à mon avis sans rime ni raison, va jeter le trouble et l’effervescence dans le dispositif militaire en partie gagnée par une douce somnolence occasionnée par une nuit sans sommeil. Je puis affirmer qu’en exécution des ordres formels que j’avais donnés, pas un seul coup de feu ne fut tiré par un seul de mes tirailleurs.

Pourtant, sans respect de la discipline de feu, tout le monde par ailleurs s’en donnait à cœur joie pour ajouter au concert des rafales d’armes automatiques.

Le colonel BORREIL que je suis allé voir en son P.C. place DUTERTRE [3], s’est inquiété immédiatement des secours éventuels à porter aux victimes d’un tel déploiement de tirs incontrôlés. Il n’avait à sa disposition qu’un personnel médical réduit à une ambulance et deux infirmiers aux ordres d’un médecin auxiliaire.

Je calmais un peu ses inquiétudes en lui précisant que je disposais moi-même du personnel sanitaire de mon régiment sous les ordres d’un Medecin-Capitaine et que que j’avais recueilli, à la suite de la fusillade, une équipe sanitaire de la Croix-Rouge avec ambulance, complètement affolée par le danger occasionné par la « pléthore» extravagante de l’usage des armes à feu.

Mais l’ambulancière chef du détachement, conduite auprès du Colonel, précisant avoir reçu l’ordre formel de ne porter secours qu’aux seuls blessés musulmans, à ma grande indignation et à celle du médecin auxiliaire présent à l’entretien.

J’ai cherché par la suite à retrouver l’équipe de ces trois secouristes et connaître au moins leur identité. Tout ce que j’ai pu savoir, c’est que les services de la Croix-Rouge à cette époque étaient dirigés par un Mesdemoiselles LUNG à Alger et ROBERT à Paris.

Qui donc avait, hors de tout sentiment humanitaire, prescrit de dispenser les secours d’une telle façon discriminatoire ? Monsieur VITALIS-CROS, préfet de police à Alger, pourrait peut-être nous renseigner à ce sujet.

Le Médecin-Capitaine DINANT, mon médecin de régiment a été amené à soigner une femme blessée par balle à la cuisse. Mais il dût s’insurger et me demander d’intervenir pour l’admission de cette victime à l’hôpital MAILLOT[3].

La fusillade incontrôlée dura trop longtemps à mon goût. Je me suis efforcé de ramener le calme, en particulier parmi les C.R.S. placés à la droite de mon dispositif entre la rue Cardinal VERDIER et la place DUTERTRE [3]. Mes déplacements m’ont conduit à repérer, grâce aux CRS d’ailleurs, des tirailleurs installés, hors bouclage, sur la terrasse d’un immeuble de sept à huit étages, cours Camille DOULS dans le virage conduisant place DUTERTRE [3].

Deux tireurs porteurs d’un chèche blanc (rien ne prouve que ce fut deux Arabes), apparaissaient à intervalles réguliers, pointaient un fusil-mitrailleur, nettement repéré à la jumelle, posé sur le rebord du muret supérieur de la de la terrasse et tiraient de courtes rafales en direction du ras des toits du quartier encerclé.

La fusillade des gens à terre qui semblait alors diminuer d’intensité, reprenait de plus belle, sous l’effet de ces deux "guignols" qui semblaient s’ingénier à ne pas tolérer d’accalmie.

Leur tir ne pouvait avoir aucune efficacité, mais la présence de ces deux têtes apparaissant disparaissant était plus que suspecte et l’autorisation d’intervenir pour vérifier l’appartenance et l’identité de ces deux individus me fut refusée par le colonel FOURNIER, adjoint au général CAPPODANO, présent sur les lieux.

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