5.2 - Il y a cinquante ans … (1962-2012)

XII - 50 ans après - Nous nous sommes tant aimés

Il y a cinquante ans … (1962-2012)

L’Algérie coule dans mes veines...Cinquante années se sont écoulées et je me sens toujours lié à ce pays magnifique par un océan de passion et un amour sans limite.  Je suis comme le fils qui a quitté sa mère, qui attend avec impatience  et détermination l’heure de revenir vers elle pour l’étreindre, lui dire je t’aime et lui demander pardon. Pardon de l’avoir laissée, de l’avoir abandonnée, d’avoir tenté de l’oublier.

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Comment t’oublier ma belle, ma délicieuse Algérie !... Ce désir et cet amour pour toi ont résisté au temps, et d’innombrables  souvenirs   enchantent mes jours et mes nuits faisant de chacune  d’elles un havre de bonheur. Me viennent alors à l’esprit, dans un fracas étourdissant, les cris d’enfants , les vols d’hirondelles dans un ciel  d’azur, les maisons aux  murs blancs inondés de soleil  où  s’appuient avec nonchalance jasmins et bougainvilliers aux fleurs resplendissantes , les routes bordées  d’aloès ,de figuiers de barbarie, les champs immenses d’ oliviers d’ orangers et citronniers croulants sous le poids des fruits, les vignobles à perte de vue , les chemins tortueux  souvent secrets  qui mènent à des plages au sable brûlant et à une  mer bleue , si bleue , si rafraîchissante.

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Je sens sur mon visage, la caresse du vent frais venant du large ou celui chaud et desséchant venant de l’arrière pays. Oh ! Mystérieuses et divines oasis posées comme des émeraudes au milieu du désert, vous avez su avec subtilité  me charmer et m’offrir dans un décor des mille et une nuits, l’ombre, l’eau et le repos. Dans ce décor de dunes de sable caressées par le vent ou de rocailles grillées par le soleil  J’ai vu, la nuit, un ciel constellé d’étoiles scintillantes pareilles à de petits diamants, qui me paraissaient  à portée de mains. Spectacle époustouflant, féérique dans ce paysage désertique à la fois cruel et accueillant. Je voudrais encore parcourir les rues d’Alger et celles d’Hussein-dey où je suis né à la recherche de ce passé qui me tient en éveil, toujours prêt à surgir pour me précipiter dans le monde merveilleux  et insouciant de  ma  jeunesse. Je pense aussi à ceux qui sont restés là-bas et qui dorment pour l’éternité sur cette terre d’Algérie qu’ils aimaient tant.

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Je n’oublie pas Notre Dame Afrique tant de fois implorée, cette vue superbe sur l’immensité de la mer bleue et calme bordée par cette magnifique côte Algéroise composée de plages et de petits ports aux noms évocateurs, si pittoresques et tendrement inoubliables. Mon âme vagabonde, je ferme les yeux. Une musique  envoûtante  résonne soudain à mes oreilles. Je pars alors dans une danse endiablée  parmi les foulards et rubans aux couleurs chatoyantes qui s’agitent et claquent dans le vent, martelée par le son puissant du tambour et celui de la flute plus doux et plus fragile.

 

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Déraciné je suis, déraciné je resterai. Je continuerai  de chercher encore et encore comme je l’ai fait durant ce demi-siècle le terrain favorable et la terre fertile qui me permettront de reprendre des forces, de me redresser, de revenir à la vie. Je pourrai me reposer enfin, assis au pied de l’oranger aux fruits d’or et aux feuilles de vermeil et contempler dans un ciel d’azur un soleil éclatant. Eclaboussé de lumière , j’offrirai  mon corps aux morsures de ses rayons  , me laisserai envahir par une douce quiétude et le regarderai  décliner doucement pour disparaître derrière les collines qui surplombent la vallée des mille merveilles où flottent des  parfums de fleurs d’oranger, d’encens, de jasmin, de cumin et de cannelle ; où coule un miel léger et parfumé qui laisse sur les lèvres la caresse d’un pétale de rose et sur la langue le goût puissant du bonheur . Bonheur d’avoir vu le jour sur cette terre, d’y avoir été heureux et de ne jamais avoir pu l’oublier. Privé de soleil, le flanc de la colline se teintera de gris tandis que la crête s’ornera d’un ourlet d’or et d’argent fragile comme une dentelle qui s’évanouira un peu plus tard dans l’obscurité de la nuit

Algérie mon amour, Algérie ma passion , je suis parti les yeux remplis de larmes et la gorge serrée ne te quittant jamais des yeux, toi grande et majestueuse auréolée de lumière et de soleil,  moi si petit, si malheureux , précipité sur ce bateau  qui m’emporte  inexorablement  vers une autre vie, un autre destin..Bateau de l’exode, bateau de l’errance, aux flancs gonflés par les larmes et  la détresse d’un peuple abandonné, perdu , banni de sa terre, précipité soudainement dans une aventure hasardeuse, à la recherche d’une terre d’asile. A partir de cet instant j’ai compris que rien ne serait comme avant et qu’entre toi et moi une séparation douloureuse était entrain de naître. Une plaie profonde  allait s’ouvrir en moi et ne jamais se refermer. Je laissais sur ce sol Algérien  meurtri par des années de guerre, mes souvenirs d’enfant, mes espoirs et mes projets  inachevés.   Comment surmonter  un tel  chagrin. Perdu dans mes pensées, je t’ai regardé disparaître, engloutie par la mer, et j’ai senti sur mon cœur se refermer la  lourde porte d’un tombeau sur lequel je laisserai couler mes larmes. J’y dépose aussi une rose, celle qui ne se fanera jamais, celle de l’espérance et du renouveau, et que je reviendrai chercher un jour...    Je pars pays bienaimé mais la moitié de moi-même reste là. Je vais vivre ailleurs mais je sais que tu seras toujours derrière moi et qu’il me suffira de regarder par-dessus mon épaule pour t’apercevoir éternellement  dans la lumière et le soleil.

Algérie, Algérie, prononcer ton nom met un sourire sur mes lèvres et fait disparaître le voile de tristesse qui couvre mon visage. Mon cœur bat plus vite, je me sens revivre. Algérie, Algérie, parlez de toi ne m’apporte ni argent, ni gloire  mais la force de continuer à vivre loin de toi et oublier les tourments qui s’incrustent en moi, me donnant par moment une impérieuse envie de hurler. Tu es mon trésor, celui que l’on garde secrètement dans un tiroir et que l’on admire avec envie et concupiscence à l’abri du regard des autres. Toutes ces années d’exil ont jeté de la neige dans mes cheveux et fripé mon visage mais, mes yeux reverront toujours avec émerveillement toutes les beautés que tu m’as offertes sur cette terre où les jours et les nuits demeurent inoubliables. De la côte Méditerranéenne  jusqu’aux confins du Sahara, des paysages fabuleux gorgés de soleil, de parfums poivrés  et enivrants s’offrent à mon regard qui se délecte de ce tableau  sublime, presque irréel.

J’aurais aimé tourner la page et passer à autre chose mais je n’ai jamais pu. Ton souvenir reste ancré au plus profond de mon cœur, tout comme ces racines  pareilles à des chaines  qui nous lient l’un à l’autre et qui ne pourront jamais se briser.

Ma valise est restée dans l’entrée de ma maison .Elle est pleine de  bonheur mais aussi de grands moments de solitude. Elle renferme mon livre de souvenirs que j’ai ouvert avec une profonde émotion tant de fois depuis mon départ .Je vais faire le voyage à l’envers car une  rose m’attend depuis longtemps sur une pierre, il faut que j’aille absolument la chercher.

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Serge MOLINES Mars 2012

Texte illustré par mon amie NANOU (ci-dessus)

Je dédie ce texte à ma sœur Muguette qui nous a quittés récemment.

« Puissent le vent et les courants marins ramener tes cendres vers les rivages

De cette terre d’Algérie que tu aimais tant ... »

illustrations Alain Avelin

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