3.2 - Marseille 30 juin 2012 - L'exode des Français d'Algérie : il y a 50 ans ! par Denis Fadda président du CAN-R

XII - 50 ans après - Hommages - Commémorations - Colloques

Discours d'ouverture de la journée de commémoration tenue à Marseille le 30 juin 2012 de Denis Fadda Président du Comité de Liaison des Associations Nationales de Rapatriés

"Je ressens toujours le même mal, la même douleur, là, au plus profond de moi, je suis amputée de ma terre. C'est une douleur vive et obstinée qui ne cessera jamais, car on ne peut séparer la terre du cœur". C'est Marie Cardinal, écrivain d'Algérie, qui a écrit ces lignes.

Ce qu'a exprimé Marie Cardinal, c'est ce que ressentent tous les Français d'Algérie. Une amputation. Un abandon de cette terre si accueillante qui était aussi une mère, une mère aimée par-dessus tout. Je crois que peu de terres ont suscité autant de passion que la terre d'Algérie. Que de belles pages dans notre littérature ! Que de déclarations d'amour !
Les Français d'Algérie ont l'impression de l'avoir trahie cette terre si chère. Pourtant non, ils ne l'ont ni trahie ni abandonnée. C'est elle qui, bien malgré elle, les a quittés.
Cela a laissé une blessure qui ne se refermera jamais.

Et nous sommes ici aujourd'hui pour nous souvenir, nous souvenir de cette séparation, de cet exode ; nous souvenir de ce qui a été vécu il y a 50 ans. Nous sommes ici aussi pour rendre hommage à tous ceux qui sont restés là-bas, ceux qui ont disparu et dont on ne saura jamais plus rien, ceux qui sont morts dans les dernières semaines de la présence française et après, souvent dans des conditions abominables, mais aussi pour rendre hommage à tous les autres, ceux des générations précédentes qui reposent sur ce sol dont ils ont contribué à faire un pays.

Il y a 50 ans. Souvenons-nous !
En vertu de ce qu'on a appelé les accords d'Évian, - des accords qui n'en étaient pas - les combats et attentats auraient dû prendre fin le 19 mars 1962 à midi. Il n'en fut rien. Bien au contraire, c'est après cette date qu'ont été connues les heures les plus sombres, les tragédies les plus atroces.
C'est à partir de cette date que commençait le massacre des harkis et de leurs familles, massacre que d'aucuns n'ont pas hésité à qualifier de génocide. C'est le 26 mars qu'éclatait la fusillade de la rue d'Isly, pendant que le quartier de Bâb El Oued était bombardé. En avril, les enlèvements de civils commençaient à prendre une considérable ampleur et c'est ce même mois que l'exode débutait.
Les horribles massacres du 5 juillet à Oran, les disparitions, éteignaient les dernières lueurs d'espoir. En trois mois, près d'un million de personnes ont quitté l'Algérie ; après cette date, les départs se sont évidemment encore accélérés.

Il y a 50 ans, souvenons-nous !
Les quais du port d'Oran, ceux de Bône, de Philippeville et d'Alger ; les aéroports d'Oran-La Sénia, de Bône-Les Salines, de Constantine-Telergma, d'Alger-Maison Blanche. Souvenons-nous les heures et les jours d'attente dans des conditions épouvantables.
Les navires de la Compagnie de Navigation Mixte, de la Compagnie générale transatlantique ou de la S.G.T.M. qui quittaient les ports étaient surchargés. Les passagers étaient infiniment plus nombreux qu'ils n'auraient dû l'être, mais bien plus nombreux encore étaient ceux qui n'avaient pu monter à bord. Les regards douloureux des passagers se fixaient sur eux, puis sur la ville lumineuse qu'ils avaient tant aimée. Alors l'effroi les envahissait.
A l'arrivée, tous n'étaient pas accueillis, une valise à la main, de jeunes enfants en pleurs dans les bras, des vieillards éperdus qu'il fallait prendre en charge, ils devaient faire face. Quelquefois, les conteneurs ou les cadres, très artisanaux, qui avaient emporté le maigre déménagement de ceux - bien rares - qui avaient pu obtenir d'en partager un, s'écrasaient malencontreusement sur les quais des ports, la voiture qu'ils avaient miraculeusement sauvée tombait à la mer. Là aussi, il fallait faire face.
Il a fallu subir tout cela dans la souffrance de la terre arrachée, dans l'angoisse de la terre - pour beaucoup - inconnue, dans l'appréhension de l'avenir. Dans la tristesse des amitiés perdues et des familles dispersées, dans la douleur de la séparation de populations qui ne demandaient qu'à vivre ensemble.

La folie des hommes, l'incapacité du gouvernement de Paris à faire à chacun sa place, les a chassés de leur terre, de l'unique terre sur laquelle ils voulaient vivre, celle sur laquelle leurs parents ont vécu, celle sur laquelle les leurs ont été enterrés. Ils savent qu'ils ne pourront plus y retourner. Ils ont fermé le livre. Vies détruites, et vies qui commencent... ailleurs.
Ceux que l'on a appelé de façon discutable les Rapatriés, ont dû trouver leur place dans une société souvent hostile, qui est allée parfois jusqu'à nier qu'ils aient dû quitter leur terre. Selon un ministre, ils venaient en vacances...
Les Harkis étaient bien peu nombreux à avoir pu prendre un bateau car ils n'avaient pas eu le droit de "partir en vacances", la raison d'État les avait voués au massacre. Pour ceux qui purent embarquer, ce furent les camps.
Heureusement, il y a eu des Justes : notamment le Général François Meyer, le Commandant Rabah Khelif, le R.P. Michel de Laparre, Clara Lanzi auxquels il faut rendre hommage. Ils étaient là !
Dans une métropole qu'ils connaissaient peu ou pas du tout, les Rapatriés, toutes confessions confondues, ont "retroussé les manches" ; ils ont créé, ils ont bâti. Ils ont largement contribué à la prospérité de la France de ces années-là. Justice doit leur être rendue.

 

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Denis FADDA

 

Marseille 30 juin 2012

 

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