7.1 - TOURNIER Marcelle : Je suis la 1ère prise du FLN à Alger

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Les témoignages après l'exode

"Je suis la première prise du FLN à Alger le 4 juin 1962
En 1962 je dirigeais l’école de filles de la rue Aumerat. Le quartier de Belcourt était "chaud" mais je n’avais jamais eu d’ennuis.

Néanmoins le 9 février 1962 je recevais une lettre du FLN ainsi rédigée : "Nous avons connaissance de vos sentiments et agissements racistes ainsi que des brutalités envers les élèves musulmans. Pour cette fois nous vous donnons un avertissement. Si vous continuez nous vous éliminerons dans les plus brefs délais et avis pour les autres chiennes qui sont sous vos ordres" (trois noms suivaient). Le même jour, comme si une concertation avait été possible, et ce n’était sûrement pas le cas, l’OAS me menaçait de sanctions parce que « je continuais à recevoir mes élèves ». La coupe était pleine.

Fort heureusement, aux beaux jours, dès le samedi midi, nous partions en famille nous détendre au bord de la mer et n’en revenions que le lundi matin. Ma surprise fut grande ce lundi 4 juin 1962 quand j’entrai dans la cour de mon école envahie par des militaires. Je sus immédiatement qui ils étaient avant qu’ils ne clament « FLN Wilaya 4 » ; les chefs étaient assis sur des bancs autour de grandes tables tandis que le reste du groupe circulait librement du rez-de-chaussée au 3ème étage. Je découvrais alors que toutes les classes étaient ouvertes, mon bureau occupé, les armoires fouillées et pillées. Une sourde colère montait en moi mais je devais rester calme. Les questions que je posais restant sans réponse je préférai gagner mon appartement au 2ème étage ; j’en parcourais les pièces, anéantie, choquée ; J’en repartis aussitôt. Je n’y serais jamais revenue si je n’avais pas prévu un déménagement fixé au 6 juin.

Ce matin-là, je devais faire transporter une partie de nos affaires dans un appartement de la rue Michelet cédé par des amis. Parmi elles, se trouvait une colonne de lavabo dans laquelle mon mari avait glissé et scellé deux révolvers. Il ignorait alors que la fille de ma femme de ménage, une musulmane à qui je confiais les clés de mon appartement, l’avait vu à l’œuvre et avait fait son rapport. D’ailleurs sans sa complicité les membres de la wilaya 4 n’auraient jamais pu pénétrer dans l’école. A l’heure dite, ce mercredi 6 juin, la camionnette arrive, le chargement commence aussitôt et tout va très vite. Je suis alors dans mon appartement dans lequel entre qui veut sans la moindre gêne. C’est à ce moment que les gardes mobiles, venus je ne sais d’où, pénètrent dans l’école ; leur chef monte chez moi, se présente et me dit :"Nous apprenons que vous détenez des armes, nous venons les saisir". Je suis en mauvaise posture ; je profite d’un moment, le seul d’ailleurs, où personne n’est là, pour lui dire : -Tirez-moi de là ! -"Je suis venu en Algérie, me répond-il pour combattre le FLN, comptez sur moi !"

C’est alors que mon appartement est envahi à nouveau car, entre-temps, les gardes mobiles restés dans la cour avaient saisi et emporté la colonne de lavabo que les membres du FLN avaient intercepté lors du déménagement et posée sur une table ; c’était la pièce à conviction qui s’envolait. La colère gronde et se manifeste par des cris, des menaces, des injures et je suis seule ; se présentent alors trois militaires de l’armée française qui entrent chez moi ; je respire ... j’ignore encore ce qui m’attend : "Capitaine X" - Je vous arrête pour détention illégale d’armes ; suivez-moi, je vous prie et vite". Le ton est si péremptoire que je compris qu’il me fallait obéir et cesser de poser des questions. J’apprendrai bien plus tard que ce capitaine craignait pour ma propre sécurité.

Nous sortons de mon appartement en file indienne ; le capitaine ouvre la marche, suivent un adjudant-chef, moi-même, un jeune militaire du contingent qui la ferme. Dans cet ordre nous descendons les escaliers, traversons la cour, tête haute, je n’ai pas un regard pour ceux qui, assis, massés sur notre passage, nous regardent. C’est le cœur gros que je franchis pour la dernière fois le seuil de l’école, "mon école". J’ai le sentiment alors, d’y avoir fait du bon travail, aidée dans ma tâche par des professeurs et des instituteurs que je remercie ici. Nous nous engouffrons dans une voiture qui nous attend et démarre à vive allure. Elle s’arrête devant un édifice que je ne connais pas. J’en descends, le capitaine m’accompagne et me confie à un employé : c’est ainsi que je me suis retrouvée à l’école de police d’Hussein-Dey. Je m’assieds et là commence une longue, une très longue attente. Après des demandes réitérées, un commissaire finit par arriver et un dialogue s’engage. (Je n’en citerai que les phrases essentielles).
"Pour quelles raisons suis-je ici ?
"Vous êtes, Madame, la première prise du FLN à Alger.
"Vous plaisantez, l’Algérie est encore française, rendez-moi ma liberté.
"Impossible... d’ailleurs le responsable c’est votre mari ; il doit venir vous remplacer.
Mon mari me remplacera. Il sera le soir même envoyé en résidence surveillée "aux Quatre Chemins" (à quelques kilomètres de Boufarik), là où s’entassaient déjà dans la plus grande promiscuité des membres de l’OAS et beaucoup d’autres assignés à résidence.
Le 13 juin je quittais Alger.
Le 21 juin mon mari était libéré.

Je dois avouer que :

- Je n’ai jamais su qui avait alerté les gardes mobiles ni comment ils avaient appris que des armes étaient dans la colonne d’un lavabo.
- Je n’ai jamais su qui avait alerté l’armée.
- Je n’ai jamais connu le nom du capitaine qui m’a arrêtée (à son corps défendant) et peut-être sauvé la vie.

Je n’ai jamais connu le nom du commissaire de police d’Hussein-Dey si dévoué au FLN et qui pouvait se vanter d’avoir à son actif la première arrestation à Alger d’une Française pour détention d’armes, le 4 juin 1962 alors que l’Algérie était encore française."

Marcelle TOURNIER
Doyenne du Cercle algérianiste de la région Centre - Val de Loire.

Le quartier Belcourt

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