9.9 - Témoignages des Français de l'étranger: Evian ou le crime d'Etat

X - Les actions - 19 mars 1962 : un déplacement de la mémoire

1 - Gérard Lehmann - Contribution au colloque international JPN du samedi 17 mars 2012 à Paris : Evian ou le crime d'Etat du 19 mars 1962. Les faits et leur qualification  - Les circonstances agravantes - La préméditation - Les complicités

 

1 - Gérard Lehmann - Contribution au colloque international JPN du samedi 17 mars 2012 à Paris : Evian ou le crime d'Etat du 19 mars 1962. Les faits et leur qualification  - Les circonstances agravantes - La préméditation - Les complicités.


ÉVIAN OU LE CRIME D´ÉTAT DU 19 MARS 1962 - EXTRAITS -
Maurice Allais : Le pouvoir a fait quatre ans de guerre pour imposer à l´adversaire la solution qui était précisément son objectif final (…). (L´Algérie d´Évian)
Alain Duhamel : De Gaulle et l´Algérie, c´est vraiment une trahison politique. C´est, si j´ose dire, une trahison d´État (Interview d´Historia)Tout le monde sait ce qu´est un crime de droit commun: une atteinte grave aux personnes  ou aux biens, intentionnelle et justiciable de la Cour d´Assises. Par exemple le meurtre, l´incendie, la séquestration, le viol, la torture. Le crime d´État est un acte de gravité équivalente, ses auteurs sont directement ou indirectement dépositaires de l´autorité de l´État et engagent outre leur responsabilité personnelle celle de l´État au nom duquel ils ont commis des actes criminels. Comme dans le cas d´un crime de droit commun, se posent  les questions de la préméditation, des circonstances aggravantes et des complicités.
Il y aura donc trois points:
1)    les faits et leur qualification. Les circonstances aggravantes
2)    la préméditation
3)    les complicités

1)    Premier point : Les faits. Leur qualification. Circonstances aggravantes

Le Président de la Cinquième République Charles de Gaulle a commis, en organisant  la signature de ce qu´on appelle injustement les Accords d´Évian, un crime d´État. Le référendum du 8 avril 1962 constitue le crime d´État complémentaire de celui du 19 mars 1962 et forme d´une certaine manière un tout.

LES FAITS

La signature des Accords d´Évian entérine la cession d´une partie du territoire étranger à une organisation étrangère, précisément quinze départements algériens et le rejet de la communauté nationale de millions de ses concitoyens.
L´ordonnance du 21 juillet 1962 établit un régime transitoire de binationalité pendant trois ans pour les Français d´Algérie et des garanties censées protéger tous ceux qui s´étaient battus pour le maintien de l´Algérie dans la souveraineté française. On sait ce qu´il en advint.
La signature des Accords d´Évian doit être comprise comme une capitulation.  Une capitulation sans défaite dit Maurice Allais après Alfred Fabre-Luce. Une capitulation dans la jactance, écrit Raoul Girardet. Vous me direz que ce n´est pas la première fois dans l´histoire des peuples qu´une défaite militaire conduit à une capitulation, ou à un armistice. Mais retenez  bien ceci: nous parlons ici d´une capitulation sans défaite, ce qui est quand même assez unique dans les Annales de l´histoire.
Notons en passant que le texte original français  conformément au JOFR parle de Déclarations  gouvernementales, du FLN et non du GPRA. Le futur  gouvernement algérien me saurait donc être tenu de respecter ces accords. Comment le pourrait-il quand il n´existe pas d´État algérien? Le début du chapitre II de la Déclaration générale contient cette phrase:
Si la solution d´indépendance et de coopération est adoptée (par le référendum d´autodétermination), le contenu des présentes déclarations s´imposera à l´État algérien.
Il s´agit bien de la part du gouvernement français d´un simulacre, et suivant le mot d´Alain Duhamel  d´un simulacre pédagogique c´est-à-dire sauvant ou ayant l´air de sauver les apparences, car on ne peut par avance établir un contrat avec une partenaire dont on ignore tout sinon que ledit partenaire ne sera pas tenu et n´aura pas l´intention de respecter l´une quelconque des clauses du contrat qu´il n´a pas signé et qui donc ne l´engage pas. Il s´agit là d´une évidence.

LA QUALIFICATION DES FAITS

Pour en arriver là,  il a bien fallu que le Président de la République viole la Constitution. Cette Constitution établit clairement dans son article 5, je lis:
Il (le Président de la République) est garant de l´indépendance nationale, de l´intégrité du territoire, du respect des accords de la Communauté et des traités.
L´article 53 de la Constitution précise que les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords liés à l´organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l´État, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l´état des personnes, ceux qui comportent cessions, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu´en vertu d´une loi.
Le référendum du 8 avril excluait le vote d´une partie de la population française, celle vivant en Algérie. Il est pour cette raison anticonstitutionnel et ne saurait valider les Accords d´Évian. Le référendum du 8 avril a reçu un avis défavorable du Conseil d´État et du Conseil Constitutionnel.
L´article 55 de la Constitution précise que les accords ou traités régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle de la loi, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l´autre partie.
Admettons un court instant la validité du referendum d´avril 1962: le non respect des Accords qui en principe oblige les deux parties entraîne leur invalidation. Si l´une des parties ne les respecte pas, ils sont de facto nuls et non avenus, et nous revenons à la situation antérieure au 18 mars 1962, date de la signature. Or nous le savons et le gouvernement français de l´époque le savait: à Tripoli le 25 mai 1962, le FLN rejette les Accords d´Évian dénoncés comme plate-forme néo-colonialiste d´inspiration libérale. Mais on n´avait pas besoin de cette citation pour savoir que les Déclarations gouvernementale n´étaient qu´un chiffon de papier. Ben Kheddah précise depuis Alger que le cessez-le-feu n´est pas la paix.
Le non respect de ces Accords, particulièrement en ce qui concerne les personnes et les biens aurait dû donc contraindre le gouvernement français à intervenir. Or le seul intérêt du gouvernement était le pétrole saharien (nationalisé par l´État algérien en 1970) et les essais atomiques. Peu lui importait les massacres et l´exode qui allaient suivre.
Le cessez-le-feu n´est pas la paix. La France met l´arme au pied et le FLN enflamme les brasiers du crime dans une Algérie finement quadrillée. De ce crime l´État français est complice. C´est ce qu´on appelle en droit commun non assistance à personne en danger élargie au niveau d´une population.L´article 68 de la Constitution, qui a depuis été modifié,  rend le Président de la République responsable des actes accomplis dans l´exercice de ses fonctions en cas de haute trahison. Dès lors qu´un Chef  d´État procède en violation de la Constitution ou dans ses manques graves à l´exercice de la démocratie, il est justiciable de la Haute Cour.
D´autres aspects peuvent faire l´objet d´une enquête, notamment l´empiètement du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire.
En collaborant avec une organisation criminelle, le Président de la République est passible du crime de haute trahison. Ce dernier point concerne en particulier toutes les formes de collaboration passive ou active avec le FLN après le 19 mars 1962. Jean-Jacques Jordi, dans son ouvrage  Un silence d´État a clairement mentionné la collaboration active de l´État avec le FLN dès le lendemain du 19 mars 1962. L´État français s´est ainsi rendu coupable de complicité de crimes.
L´article 89 de la Constitution stipule qu´aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu´il est portée atteinte à l´intégrité du territoire. Les départements de l´Algérie faisaient partie du territoire français.

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