5.3 - Communication des archives

VIII - Archives interdites : une spécialité française - La loi sur les archives 2008 : ambigüité et peurs françaises face à l’histoire contemporaine 


2 - La consultation des archives de la guerre d’Algérie est-elle ouverte aux chercheurs ? par le Général Maurice FAIVRE dans PNHA n°81 de septembre 1997 

Maurice FaivreGénéral Maurice FAIVRE

 

Cette question fait parfois l’objet d’interprétations diverses, voire erronées. Il convient donc de préciser quelles sont les possibilités de la recherche historique.

Les délais selon la loi

La loi du 3 janvier 1979, qui s’applique à tous les documents officiels et pas seulement à ceux qui concernent l’Algérie, autorise la consultation des archives au terme d’un délai de trente ans, à l’exception de certains documents pouvant mettre en cause la sûreté de l’État, la Défense nationale, la sécurité et la vie privée des personnes. Les délais de consultation sont ainsi fixés par la loi :

- soixante ans, pour les documents classés secrets défense et très secrets qui n’ont pas été classés (la plupart l’ont été), les documents des services de renseignements, de sécurité militaire et du SDECE, les archives de la gendarmerie relative aux personnes privées, les archives diplomatiques relatives aux frontières. En avril 1992, une commission ministérielle comprenant des universitaires, a ouvert au public la partie « opérationnelle » des 2èmes bureaux.

Une instruction du 13 avril 1981 a précisé la procédure des dérogations, qui permettent aux chercheurs d’avoir accès à des documents avant le délai de soixante ans. Leurs demandes sont déposées dans les dépôts d’archives et soumises au cabinet du ministre concerné, qui répond dans un délai plus ou moins long (2 à 3 mois).

Ces dérogations, précise le professeur Jean-Charles Jauffret de Montpellier III, « sont le plus souvent accordé aux praticiens, c’est-à-dire aux historiens et à leurs élèves dont ils se portent personnellement garants. Ce point me semble très important. Les archives subissent toutes sortes de mauvais traitements, dont le plus fréquent consiste à isoler un document ou un extrait en oubliant, le plus souvent par ignorance ou précipitation, son environnement historique, sa langue particulière, et sa série.

C’est aussi pour protéger les personnes essentiellement, plus que pour occulter d’hypothétiques secrets d’État dont il ne reste généralement aucune trace écrite, que le législateur a fixé des règles de déontologie. Tout en tenant compte du climat toujours passionnel des séquelles de la guerre d’Algérie, et de la nouvelle déchirure subie en ce moment par le pape algérien, il s’agit de dissuader les « chasseurs de têtes », les amateurs de règlements de comptes, ou les éternels procureurs de « l’histoire jugera », tout en respectant cette liberté fondamentale qu’il faudrait ajouter aux principes de mille sept cent quatre-vingt-neuf : « la liberté de mémoire ».

- 100 ans, pour les archives de la justice militaire et les affaires portées devant les tribunaux, les registres d’État civil et de renseignements d’ordre privé collecté « dans le cadre des enquêtes statiques des services publics ». (1)

- 120 ans à compter de la date de naissance pour les dossiers de personnels, avec des dérogations pour les ascendants et descendants.

- 150 ans pour les dossiers médicaux individuels.

Les lieux de mémoire

Les principaux dépôts d’archives militaires se trouvent au château de Vincennes :

- Le service historique de l’armée de terres (SHAT) qui détient environ 5000 cartons relatifs à la guerre d’Algérie.

- Le service historique de l’armée de l’air (SHAA) qui détient 2000 cartons, de riches les archives photographiques et 90 témoignages oraux,

- Le service historique de la marine (SHM), 1 millier de cartons.

D’autres archives militaires sont consultables à :

L’établissement cinématographique et photographique des armées au fort d’Ivry (ECPA), 95 000 photos, plus de 55 000 photos du bled et 14 000 de Flamant), constituent de bonnes synthèses de l’évolution de la situation militaire. Les rapports de la marine mettent en valeur l’efficacité de la surveillance du littoral et le bilan opérationnel de la DBFM et des commandos marine. Les comptes rendus de bombardement aérien et les progrès réalisés dans l’emploi des hélicoptères présentent un intérêt tactique et technique certain. Il est évident que dans le domaine militaire, les archives ouvertes permettent aux chercheurs de conduire des études de bonnes valeurs sur le déroulement de la guerre.

Tous les documents ne méritent pas la même attention. Les journaux de marche des divisions par exemple renferment une masse de détail journalier, telles que les déplacements de tel général, mais n’offre aucune vie synthétique sur la situation dans leur zone d’action, exception faite des JMO les divisions parachutistes, très bien rédigés.

Dans le domaine politique, seules les archives obtenues par dérogation permettent de suivre l’évolution de la politique algérienne du gouvernement. Les dossiers de la négociation de Melun aux Rousses et à Évian, et les fichiers du comité des affaires algériennes (constitué à la suite des barricades) constitue en particulier une source extrêmement riche et ouvre des perspectives nouvelles sur des décisions incomprises ou mal interprétées.

Il serait sans doute souhaitable de pouvoir observer la face cachée de la guerre, en consultant des archives algériennes, de façon à établir une histoire comparée du conflit. Or il semble d’après Mohamed Teguia, un des rares algériens à en avoir abordé les aspects militaires, que les archives du ministère algérien de la défense ne soient pas ouvertes. Quelques données chiffrées ont heureusement été publiées par Djemila Amrane, qui confirment d’ailleurs les évaluations du 2eme bureau du commandant en chef. Une certaine proportion des archives des wilayas se trouve dans les dossiers de Vincennes et permettent de remédier en partie à la carence des archives algériennes, et de contredire les adeptes de la culture de guerre du FLN qui célèbre la victoire militaire de la rébellion.

Cet article vise en particulier à encourager les chercheurs à s’engager résolument dans l’étude scientifique de l’histoire de la guerre d’Algérie et à ne pas se contenter des témoignages qui sont précieux pour restituer une ambiance, mais qui ont parfois tendance à noircir ou embellir des événements enfouis dans une mémoire défaillante. La recherche historique n’est pas facile, la multiplicité des sources et des dépôts d’archives, aussi bien de la complexité de leurs classements peuvent décourager les débutants. Mais les premières découvertes éveillent peu à peu la curiosité et c’est avec passion que l’on cherche ensuite à comprendre l’enchaînement des faits et des décisions, et à se rapprocher d’une explication la plus objective possible de l’évolution historique.

                                                                                                                          Général Maurice Faivre

Source : Revue Pied-noir d'hier et aujourd'hui N° 81 de septembre 1997

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