4.3 - 20 août 1955 - les massacres dans le Constantinois : El Halia ... Philippeville

III - Histoire et récits - De 1945 à 1962 les évènements

Le vrai début de la guerre d'Algérie française

1 - EL HALIA 25 août 1955.  Il n’y a même pas 60 ans - Jean-Jacques JORDI 

2 - Guilhem Kieffer interroge Roger Vétillard sur son livre "El Halia dans le Constantinois" - 08 juin  2012

3 - "Une étude historique minutieuse des massacres du 20 août 1955 dans le Constantinois" de Roger Vétillard par le Général Maurice Faivre - 23 juin 2012

4 - Philippeville  le 20 août 1955 "Déchaînés, hurlants ... les Européens tombent sous les coups de couteaux, de rasoirs .. - Yves Courrière

5 - Témoignage d'un internaute reçu 2017 " Hodie mihi Cras tibi" ( Moi aujourd'hui Toi demain)

 

 

1 - EL HALIA 25 août 1955.  Il n’y a même pas 60 ans - Jean-Jacques JORDI

El-Halia est attaqué entre 11h30 et midi le 25 août 1955.

C’est un petit village proche de Philippeville, sur le flanc du djebel El-Halia, à trois kilomètres environ de la mer. Là vivent 130 Européens et 2000 musulmans. Les hommes travaillent à la mine de pyrite, les musulmans sont payés au même taux que les Européens, ils jouissent des mêmes avantages sociaux. Ils poussent la bonne intelligence jusqu’à assurer leurs camarades Degand, Palou, Gonzalès et Hundsbilcher qu’ils n’ont rien à craindre, que si des rebelles attaquaient El-Halia, « on se défendrait » au coude à coude.

A 11h30, le village est attaqué à ses deux extrémités par quatre bandes d’émeutiers, parfaitement encadrés, et qui opèrent avec un synchronisme remarquable. Ce sont, en majorité, des ouvriers ou d’anciens ouvriers de la mine et, la veille encore, certains sympathisaient avec leurs camarades européens… Devant cette foule hurlante, qui brandit des armes de fortune, selon le témoignage de certains rescapés, les Français ont le sentiment qu’ils ne pourront échapper au carnage. Ceux qui les attaquent connaissent chaque maison, chaque famille, depuis des années et, sous chaque toit, le nombre d’habitants. A cette heure-là, ils le savent, les femmes sont chez elles à préparer le repas, les enfants dans leur chambre, car, dehors, c’est la fournaise et les hommes vont rentrer de leur travail. Les Européens qui traînent dans le village sont massacrés au passage. Un premier camion rentrant de la carrière tombe dans une embuscade et son chauffeur est égorgé. Dans un second camion, qui apporte le courrier, trois ouvriers sont arrachés à leur siège et subissent le même sort. Les Français dont les maisons se trouvent aux deux extrémités du village, surpris par les émeutiers, sont pratiquement tous exterminés. Au centre d’EI- Halia, une dizaine d’Européens se retranchent, avec des armes, dans une seule maison et résistent à la horde. En tout, six familles sur cinquante survivront au massacre. Dans le village, quand la foule déferlera, excitée par les « you you » hystériques des femmes et les cris des meneurs appelant à la djihad, la guerre sainte, certains ouvriers musulmans qui ne participaient pas au carnage regarderont d’abord sans mot dire et sans faire un geste. Puis les cris, l’odeur du sang, de la poudre, les plaintes, les appels des insurgés finiront par les pousser au crime à leur tour. Alors, la tuerie se généralise. On fait sauter les portes avec des pains de cheddite volés à la mine. Les rebelles pénètrent dans chaque maison, cherchent leur « gibier » parmi leurs anciens camarades de travail, dévalisent et saccagent, traînent les Français au milieu de la rue et les massacrent dans une ambiance d’épouvantable et sanglante kermesse. Des familles entières sont exterminées: les Atzei, les Brandy, les Hundsbilcher, les Rodriguez. Outre les 30 morts il y aura 13 laissés pour morts et deux hommes, Armand Puscédu et Claude Serra, un adolescent de dix-neuf ans qu’on ne retrouvera jamais. Quand les premiers secours arrivent, El-Halia est une immense flaque de sang. Le groupe de fellagha est commandé par Zighout Yousef.

123 des personnes qui l’habitent, de toutes religions, de tous sexes, de tout âge et de toutes opinions politiques sont massacrés de la façon la plus ignoble que l’on puisse imaginer. (71 européens, 52 musulmans, 120 disparus). Outre les égorgements des hommes (après ablation du sexe et vision du viol de leurs femmes et de leurs filles) et l’éventration des femmes, méthode habituelle, on note pour la première fois des personnes dépecées, vraisemblablement tant qu’elles étaient vivantes.

Ce massacre résulte des nouvelles consignes du FLN qui a échoué dans sa tentative de mobiliser massivement les français musulmans d’Algérie contre la France, que ce soit par la propagande ou par la terreur. Il a également échoué dans sa tentative de créer une force militaire suffisante pour gagner des combats contre l’armée française, par manque de soutien extérieur susceptible de lui procurer des armes, aussi parce que les paras et autres troupes de choc, ramenées d’Indochine, implantent de nouvelles formes de guerre, avec des unités mobiles, et le début des opérations héliportées. Enfin de plus en plus nombreux sont les musulmans qui portent les armes françaises, d’abord protection des sections administratives spéciales nouvellement implantées, gendarmes des groupes mobiles de sécurité, puis progressivement et de plus en plus, auto défense des villages et troupes combattantes, les harkis.

Le FLN a alors décidé de faire régner la terreur, il renforce ses politiques d’attentats aveugles dans les villes, son extermination systématique des européens, ses actions de sabotage de récolte, de routes, de réseau ferré, de lignes téléphoniques qui le conduiront à la victoire. Il vise aussi les nationalistes modérés type Ferhat Abbas, dont le neveu, qui gérait sa pharmacie est égorgé pour l’exemple. Abbas comprendra parfaitement qu’il n’est plus possible de tenter une troisième force et rejoindra le Caire.

El Halia aura une autre conséquence, le gouverneur général Soustelle, qui était venu en Algérie avec la volonté de trouver une solution politique, voyant le massacre, déçu de ses contacts, décide « qu’on ne discute pas avec des gens comme ça ». Lors de l’enterrement des victimes, les personnes présentes, menées par le maire, piétineront les gerbes et couronnes offertes par les autorités préfectorales et militaires et feront une conduite de Grenoble au sous-préfet.

Soustelle écrira : « Les cadavres jonchaient encore les rues. Des terroristes arrêtés, hébétés, demeuraient accroupis sous la garde des soldats….Alignés sur les lits, dans des appartements dévastés, les morts, égorgés et mutilés (dont une fillette de quatre jours) offraient le spectacle de leurs plaies affreuses. Le sang avait giclé partout, maculant ces humbles intérieurs, les photos pendues aux murs, les meubles provinciaux, toutes les pauvres richesses de ces colons sans fortune. A l’hôpital de Constantine des femmes, des garçonnets, des fillettes de quelques années gémissaient dans leur fièvre et leurs cauchemars, des doigts sectionnés, la gorge à moitié tranchée. Et la gaieté claire du soleil d’août planant avec indifférence sur toutes ces horreurs les rendait encore plus cruelles"

Le 20 août 1955, « une date terrible, une date inoubliable » dira Yves Courrière dans son « Histoire de la guerre d’Algérie » (éd. Taillandier). Ce jour-là, Zighout Youssef, le chef de la willaya 2, lance la population civile de certains douars du Nord-Constantinois contre les Européens. A El-Halia, petit centre minier près de Philippeville, cent trente-deux personnes sont assassinées dans des conditions barbares.

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III - Histoire et récits - De 1945 à 1962 les évènements

2 - Guilhem Kieffer interroge Roger Vétillard sur son livre  "El Halia dans le Constantinois"  - 08 juin 2012

Historien de l'Algérie de la colonisation, notre collaborateur Roger Vétillard publie "20 Août 1955 dans le nord-constantinois"; selon lui "le jour où la guerre d'Algérie a changé de nature". Dans cet ouvrage, préfacé par le professeur Guy Pervillé, il estime même que, avec cette épisode, le terrorisme visant volontairement les civils a fait une irruption cruelle dans le monde médiatique, qu'il n'a pas quitté depuis.

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Guilhem Kieffer : Après le 8 mai 1945 à Sétif, c'est à un autre moment de l'histoire de l'Algérie que vous nous invitez. Si les événements de Sétif sont largement médiatisés, l'histoire de ce 20 août 1955 est moins connue. Que s'est-il passé ce jour là?

Roger Vétillard : Il est vrai que ce 20 août 1955 est oublié. Dans la mémoire des Français d'Algérie, il reste le massacre d'El Halia; dans celle des Algériens la répression qui a fait plusieurs milliers de victimes. En Algérie, l'histoire officielle, jamais confirmée par les documents, donne le chiffre de 12 000 tués.

Ce samedi 20 août, à midi, dans une quarantaine de localités du nord-constantinois, des milliers de personnes, souvent des fellahs mais aussi des urbains, encadrés par moins de 200 combattants de l'Armée de Libération Nationale, bras armé du FLN (Front de Libération Nationale), montent à l'assaut du monde colonial. Des gendarmeries, des hôtels de ville, des cantonnements militaires, des commissariats sont attaqués mais surtout ce sont les Européens qui sont visés. Il y a 133 morts au moins parmi les civils européens, 47 parmi les forces de l'ordre et 101 chez les français-musulmans francophiles. Le dénombrement des blessés est plus difficile à faire faute de recensement exhaustif. J'ai pu en retrouver 115.

Il faut souligner que des villes importantes comme Philippeville (Skikda - 70 000 habitants) surtout, mais aussi Constantine (165 000 habitants) et Guelma (220 00 habitants) ont été le siège de violents incidents. Mais les esprits français ont été marqués par ce qui s'est passé dans le village minier d'El Halia et dans la petite cité d'Ain Abid.

G.K. : Que s'est-il passé dans ces deux localités dont le nom évoque des souvenirs douloureux à ceux qui s'intéressent à la guerre d'Algérie?

- El Halia est un village situé à 20 km à l'Est de Philippeville où cohabitaient 180 Européens et 2000 Musulmans. Ce sont tous des mineurs (40 européens et 570 musulmans) et leurs familles. Les insurgés envahissent le village et s'en prennent aux Européens femmes, enfants, personnes âgées. Il y a ce jour là 33 personnes tuées, 14 autres décéderont des suites de leurs blessures. Une dizaine de français-musulmans non inféodés au FLN sont également visés. Le directeur de la mine réussit à alerter, après avoir parcouru plusieurs kilomètres dans la montagne, un camp de parachutistes qui interviendra deux heures plus tard et abattra une soixantaine de "rebelles". Dans mon livre je donne beaucoup de détails.

- A Ain Abid, situé à 30 km au sud-est de Constantine, une centaine d'Européens vivent au milieu de 2 000 musulmans. Les insurgés attaquent le village et tuent une dizaine de Français dont un bébé de quelques jours, des enfants et un vieillard hémiplégique. Cet épisode est parfois faussement rattaché à El Halia.

G.K. :Vous avez publié un autre livre relatant les événements de Mai 1945 dans la région de Sétif, dont le sujet donne toujours lieu à de nombreux développements. Les journées d'août 1955 ont été plus meurtrières pour les Européens et autant pour les indépendantistes. Comment expliquez-vous qu'on n'en parle quasiment pas?

- Effectivement, il y a au moins 17 ouvrages publiés sur le 8 mai 1945 à Sétif, dont les deux miens; mais un seul concernant le 20 août 1955 en Algérie a été édité. Les articles des auteurs français sur le sujet sont rares. Il y a eu un numéro spécial d'Historia, plusieurs articles d'Historama et, parmi les historiens, on note des articles de Charles-Robert Ageron, de Benjamin Stora et, plus récemment, de Philippe Lamarque. En Algérie, seuls quatre articles de Mahfoud Bennoune, dans El Watan en 1998, tentent d'évoquer le fond de cette histoire. Et curieusement il n'y a eu aucune étude, aucune recherche sérieuse comme s'il s'agissait d'un sujet sans importance ou, à l'inverse, d'un sujet tabou. Les publications grand public sont nombreuses, mais les propos sont identiques de l'une à l'autre comme si l'affaire était entendue et que tout était connu.

Dans les histoires de la Guerre d'Algérie, ces journées d'août 1955 n'occupent qu'une place restreinte. Ou les historiens n'ont pas pris la mesure de ce qui s'est passé –même si certains fixent à cette date le véritable début de la guerre d'Algérie- ou alors ils préfèrent ne pas en parler. Or si l'on se penche sur le sujet on convient vite que ses conséquences sont loin d'être anodines.

Dès lors j'avance une hypothèse. Le côté douloureux, pour les deux camps, de ce qui s'est passé ces jours là entraîne, peut-être, une retenue inconsciente. La médiatisation très importante de cette histoire à ce moment là aurait atténué la construction de légendes incontrôlées, comme celles qu'on observe pour les événements de Sétif.

Ainsi le 20 août 1955 dans une quarantaine de localités le FLN monte à l'assaut des "colons", en tue 133, en blesse plusieurs centaines et la répression est sévère.

Il y a deux temps distincts. Le 20 et le 21 août l'armée, la police, la gendarmerie ou les Européens isolés dans les campagnes sont en état de légitime défense. Plus de 1 200 assaillants sont tués. Cela va être reproché à leur chef Zighoud Youcef par les instances du FLN qui considèrent qu'il a envoyé à la mort bien trop de monde.

Mais, dès le 22 août, la répression commence. Elle dure au moins deux semaines. Elle est violente, démesurée. Des hameaux entiers, parce qu'ils sont susceptibles d'abriter des rebelles, vont être détruits. Des innocents qui se sont enfuis craignant d'être assimilés aux "moudjahidin" vont être tués. Après les deux premiers jours, où tout ce qui n'était pas musulman était visé, en retour, pendant 15 jours, c'est une autre chasse au faciès qui commence. Elle aboutit à l'élimination physique de 4 000 à 5 000 personnes, si l'on se réfère à plusieurs rapports militaires.

Mais l'armée est prévenue depuis plusieurs jours qu'un soulèvement est prévu. Elle connaît la date, elle sait que cela se passera en plein jour, des rassemblements ont été repérés dans les massifs forestiers autour de Philippeville. Les autorités civiles sont laissées dans l'ignorance, car les militaires veulent éviter que les responsables de l'opération apprennent que leur projet est éventé. El Halia doit, dès lors, être considérée comme une bavure, une faute qu'il aurait été aisé sinon d'éviter, du moins d'en limiter la gravité. Tout au plus, on peut imaginer que les renseignements reçus n'avaient pas permis à l'armée de prendre l'entière mesure de ce qui se tramait.

G.K. : Vous ne parlez pas du livre paru en 2011 consacré à ce sujet. Pourquoi donc ?

- Il s'agit du livre de Claire Mauss-Copeaux "Algérie 20 août 1955 : insurrection, répression, massacre". Cet ouvrage est incomplet, partial, très critiquable et tire des conclusions hâtives de rencontres avec des "témoins" algériens et deux Européens d'Algérie, sans même aller chercher des informations dans les archives. Comment peut-on tirer des conclusions à partir de témoignages douteux, dont certains sont totalement inventés, comme celui qui évoque Guelma? Je ne suis pas seul à critiquer ces écrits : les historiens Guy Pervillé et Gilbert Meynier le font également.

G.K. : L'histoire a retenu qu'il y a eu 71 Européens tués. Vous en annoncez 133 soit presque le double. Comment justifier cette différence?

- J'ai fait un travail que personne n'a effectué. Ainsi pour arriver à ce chiffre de 133 j'ai consulté de nombreux documents (rapports de gendarmerie, rapports du juge de paix de Collo, du directeur de la mine d'El Halia, du procureur de la République de Constantine, du commissaire de police de Constantine, du 2ème bureau, des différents chefs de corps de l'armée française, des archives de la ville de Philippeville). J'ai consulté les articles et les avis de décès de La Dépêche de Constantine, de l'Écho de Philippeville, de L'Écho d'Alger, de La Dépêche quotidienne, du Monde, de L'Aurore.

Et j'ai contacté plusieurs dizaines de témoins. Cela n'a pas été simple, car il y avait des personnes qui étaient réputées décédées à deux endroits différents et qui n'étaient pas des homonymes, des femmes mariées qui étaient citées, soit sous leur nom d'épouse, soit sous celui de jeune fille, des noms d'origine étrangère donnés avec des orthographes très différentes…

Le chiffre de 71 morts est celui qui a été donné le 23 août par le Gouvernement général. Or, certaines personnes sont décédées de leurs blessures plusieurs jours, voire semaines plus tard. Des corps n'ont été retrouvés que plusieurs jours après le 20 août…

Je donne les noms, prénoms, âges, lieux de décès de toutes les personnes qui sont mortes. J'espère ne pas avoir fait d'oubli ou d'erreur. Et le bilan d'octobre 1955 du 2ème bureau est très proche de celui que je donne, ce qui, en quelque sorte, lui donne une réelle crédibilité. Pour les militaires et les membres des forces de l'ordre, il y a les journaux de marche des différents corps de troupe et une liste des morts pour la France au Service historique de la défense.

G.K. : Quelles sont les conséquences de ces journées ?

- Elles sont multiples. Mais certaines sont plus remarquables. Incontestablement, la victoire militaire revient aux forces françaises : aucun des objectifs militaires de l'ALN n'a été atteint. Mais, psychologiquement, les insurgés ont gagné. Ils ont réussi à médiatiser dans le monde entier le conflit algérien. Ce qui n'était jusque là que des troubles de l'ordre public devient une guerre civile qui va interpeller les Nations Unies. Le fossé qui séparait musulmans et non-musulmans s'agrandit. Les maquis recrutent plus largement. Les élus musulmans modérés qui négociaient avec le gouverneur général Jacques Soustelle et son équipe rejoignent le FLN, par conviction ou par peur. Et tous ces drames vont trouver une classe politique française impuissante à les gérer et qui va s'avancer dans l'impasse qui conduira à la fin de la IVème République. Et puis on assiste à une radicalisation des protagonistes de ce conflit; il devient également une guerre de religion qui va perdurer 6 ans encore.

Mais ce qui est le plus terrible, et je dirai aussi le plus actuel, c'est que le FLN va faire le constat que tuer des civils, voire même des enfants, de façon aveugle en ville, fait plus parler de lui et abonde plus dans son sens qu'un accrochage avec un détachement militaire dans le bled. En août 1955, les actes terroristes les plus horribles ont fait leur irruption dans le monde médiatique. C'est ce qui a désolé Albert Camus et continue de nous désoler.

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III - Histoire et récits - De 1945 à 1962 les évènements

3 - "Une étude historique minutieuse des massacres du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois" de Roger Vétillard par le Général Maurice Faivre - 23 juin 2012

Originaire de Sétif, le docteur Vétillard, après avoir renouvelé l'histoire du 8 mai 1945, a fait une étude très approfondie sur les massacres du 20 août 1955, à partir de documents inédits de la ville de Philippeville, des archives de la gendarmerie et de l'armée, et des témoignages de 53 Français et 11 Algériens, dont 5 anciens de l'ALN.

Zighout Youssef, responsable FLN du Nord Constantinois, décide de lancer, le 20 août à midi, une attaque généralisée contre 40 localités, afin de venir en aide aux rebelles de l'Aurès qui sont aux prises avec les paras de Ducournau. Il dispose d'à peine 200 hommes armés qui devront soulever la population, laquelle ne s'engage pas dans la révolution.

12.000 musulmans sont mobilisés. Les objectifs de Zighout sont de récupérer de l'armement, d'éliminer les traîtres pro-français, et de provoquer des représailles irréparables. Ses propagandistes affirment que l'armée de Nasser et les Américains soutiennent ce soulèvement raciste. Dans la plupart des localités, les djounoud restent en retrait et poussent en avant les femmes et les enfants.

L'action la plus importante vise Philippeville, ville de 70.000 habitants, où des masses de civils, manifestement drogués, avancent dans les rues sans se soucier de lourdes pertes. L'armée et la police sont en effet alertées et bloquent brutalement les manifestants. En revanche, la mine d'El Halia et le village d'Ain Abid ne sont pas protégés, et les Européens y subissent d'horribles atrocités (1).

Le bilan, minutieusement vérifié, est de 133 Français d'Algérie (2), 53 militaires et policiers, et 36 Français-musulmans dont le neveu de Ferhat Abbas. La répression militaire aurait fait 700 morts le 20 août, et les vengeances de civils plus de 2.000 tués les jours suivants (et non les 12.000 revendiqués par le FLN).

Les conséquences de ce soulèvement sont tragiques :

- «C'est la guerre, il faut la faire», déclare le gouverneur Soustelle, qui abandonne l'idée d'une politique libérale (3) ;

- la fracture entre les communautés s'aggrave, elle donne naissance au contre-terrorisme de certains Européens (4) ;

- sans être exactement une répétition des massacres du 8 mai 1945, ces violences préfigurent celles de la guerre civile des années 1990.

Guy Pervillé met en lumière l'objectivité historique de l'auteur (5), qui met à mal les erreurs grossières de Claude Mauss-Copeaux, et la présentation tendancieuse des films de la Fox Moviétone. Cet ouvrage montre que des travaux rigoureux peuvent réviser des idées reçues.

Maurice Faivre - le 23 juin 2012

(1) - On peut citer 21 enfants dont les têtes sont écrasées contre les murs, et le témoignage de ce rebelle, qui après avoir égorgé une femme, mange le poisson qu'elle avait préparé.

(2) - Roger Vétillard publie les noms de 51 victimes européennes.

(3) - Cette déclaration dément la légende de ceux qui prétendent qu'on a attendu la loi de 1999 pour reconnaître la réalité de la guerre d'Algérie. Un Comité de guerre interministériel s'est réuni à Constantine en juillet 1957.

(4) - Le terrorisme FLN a précédé le contre-terrorisme. Il n'a pas attendu l'attentat de la rue de Thèbes en août 1956 pour utiliser les explosifs.

(5) - dans Algérie, 20 août 1955 (Payot 2011) C. Mauss-Copeaux se réfère à un faux témoin d'el Halia et attribue au général Faivre un curriculum fantaisiste. Les films de la Fox Movietone sont des montages que certains présentateurs situent en 1945, sans en montrer les incohérences.

Source : Études coloniales : ICI

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III - Histoire et récits - De 1945 à 1962 les évènements

4 - Philippeville  le 20 août 1955 "Déchaînés, hurlants ... les Européens tombent sous les coups de couteaux, de rasoirs .. - Yves Courrière

 

«Le temps des léopards» - Tome 1 - 1969 - extraits

Ce 20 août 1955, à Philippeville, la chaleur est-telle qu’elle rend l’air bruissant de milles vibrations. Le ciel est d’un bleu insoutenable. Au soleil où il fait près de 60°, les façades semblent se déformer comme si une impalpable brume transparente montait du sol, brouillant la vision. Depuis 11 heures du matin dans les faubourgs et aux abords de la ville des dizaines de milliers d’Algériens se sont massés, encadrés par des soldats de l’A.L.N. en uniforme kaki et en armes. D’abord silencieux, les hommes montent le ton. La tension est grande. Les nerfs tendus à craquer. On parle d’une guerre sainte, d’Egypte. On dit que les Américains sont prêts à aider le F.L.N. On dit n’importe quoi. On s’agite. Des femmes et des enfants se sont mêlés aux hommes. Chacun excite son voisin. Le grand jour de la vengeance est arrivé.

Au centre de la ville, on ignore tout de ces rassemblements. C’est inexplicable. Comme à l’accoutumée les administrations et les entreprises déversent un flot d’employés et de fonctionnaires. C’est le week-end. Toutes les terrasses sont bondées. On se prépare à prendre la route de la Corniche qui domine le magnifique golfe de Stora pour aller se baigner sur l’une des plages voisines. C’est le brouhaha coloré et bon enfant de toutes les petites villes méditerranéennes. On parle haut. On s’interpelle. On plaisante les filles. Et demain, c’est dimanche. On est heureux. On ne prend pas garde au premier coup de feu.

Puis soudain en une fraction de seconde, c’est la panique. Cris. Hurlements. Bousculades. Les rafales de mitraillette font refluer les passants. On ne sait ce qui se passe. Le pied d’un géant vient d’écraser la paisible fourmilière. Plus rien n’a de sens. Affolés, les hommes, les femmes cherchent un abri, s’écrasent dans les cafés dérisoires protections; «Les Arabes ...Ce sont les Arabes...» La menace si souvent brandie. « Si on les mate pas ils viendront nous égorger dans nos lits.» Cette fois, ils sont là.

Déchainés. Hurlants. Faubourg de l’Espérance, ils avancent par rangs de six en chantant l’hymne du vieux P.P.A. Sur leur passage, ou venant de leurs rangs, les you-you obsédants et terrifiants des femmes exaltées. C’est une marée humaine, un flot dévastateur, armés de fusils de chasse, de faux, de serpes, de pelles dont les bords ont été affutés, de couteaux, ils avancent inexorablement. Hurlant une haine trop longtemps ravalée; Là il n’est plus question de demander justice. C’est la foule en marche, folle furieuse qui écrase tout. La foule injuste, brutale, odieuse, hagarde. «Ils marchaient comme des somnambules» me dira plus tard Ben Tobbal. Elle veut tuer. Elle tue. C’est la marée musulmane face à l’Européen. Une marée soigneusement endiguée par les hommes de l’A.L.N. portant un ruban rouge ou jaune à leur béret pour se reconnaître—tout comme les unités paras en opération—qui poussent, qui canalisent, qui orientent. Selon le plan de Zirout et de Ben Tobbal ils doivent indiquer les objectifs et amener au combat la foule fanatisée. Il faut faire peur, a dit Zirout. Le but est atteint.

Mais la contre-attaque ne tarde pas. En haut de la rue Clémenceau vers l’église Saint Cœur-de-Marie, la police et les paras tirent sur les rebelles. Des hommes tombent, certains se relèvent couverts de sang. Insensibles. La fureur exacerbée. Une quinzaine d’hommes se sont enfermés dans une maison de la rue de Paris d’où ils tirent sur tous les Européens. Les parachutistes donnent l’assaut. Il dure cinq heures. A la

grenade, au gaz lacrymogènes, à la mitraillette, au mortier. L’explosion sourde des bombes, des grenades ponctuent le déchaînement aigrelet des rafales de mitraillettes. Des grenades éclatent dans les cafés. Les Européens tombent sous les balles, sous les coups de couteaux, de rasoirs.

C’est le déchaînement bestial.

La Guerre d’Algérie

Volumes regroupés en 2 tomes

Tome 1 : - Les fils de la Toussaint 1968

               - Le temps des léopards 1969

Tome 2 : - L’heure des colonels     1970

               - Les feux du désespoir   1971

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Envoi de Bernadette Léonelli que nous remercions.

 


 III - Histoire et récits - De 1945 à 1962 les évènements   

5 - Témoignage d'un internaute reçu 2017 " Hodie mihi Cras tibi" ( Moi aujourd'hui Toi demain)

A Constantine, dans la capitale de l'Est algérien, c'est par l'assassinat du neveu de Ferhat Abbas que commence la journée sanglante du 20 août 1955.

Là, il ne s'agit pas d'un attentat aveugle. Ben Tobbal a donné l'ordre d'abattre Abbas Allouah, conseiller municipal de Constantine, qui est tué dans sa pharmacie, rue Clemenceau, par Tombouctou, un immense militant noir.

Et c'est la folie dans toute la ville. Des bombes explosent un peu partout. Au restaurant Gambrinus, rue Caraman, la rue la plus commerçante dont les trottoirs sont toujours bondés de promeneurs, de badauds, c'est une grenade qui éclate. Au milieu des tables renversées les gémissements succèdent aux cris. Les blessés se traînent dans une mare de sang. Un gosse de dix ans, la tête ensanglantée, poussent des hurlements inhumains. Une autre grenade éclate au cinéma ABC. C'est la panique.

(L'intitulé est une adaptation d'un verset biblique de l’Ecclésiastique (38,20)
La version originale est " mihi heri et tibi hodie : moi hier et toi aujourd'hui. Le mort s'adresse au vivant. S.G

 

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