9.7 - 19 mars 1962 - La mémoire déshumanisée - Témoignages

X - Les actions - 19 mars 1962 : un déplacement de la mémoire

4 - " Le 19 mars 1962"  Réponse de Régis GUILLEM  à Alain HOUPERT  "Vous pourriez également me donner votre avis sur le massacre de la rue d’Isly le 26 mars 1962 ..." - 2012

 

Régis Guillem                                                       à                                            Monsieur Alain Houpert

Monsieur,

Je prends connaissance de la réponse que vous apportez à quelques opposants au « 19 mars » ; réponse du reste identique à tous au point-virgule près.

Cette réponse appelle de façon légitime une réponse ou plus exactement une information quant à votre choix légitime également.

Aussi je me permettrai d’agir comme à l’école primaire en reprenant vos phrases et/ou affirmations et en y portant mes propres réflexions qui, j’ose le croire, sauront vous éclairer sur les conséquences de ce que je considère – cela n’engage que moi – comme une irresponsabilité ou méconnaissance des faits historiques.

Je le comprends aisément puisque vous évoquez votre papa, aussi je présume que vous n’êtes pas en âge d’avoir connu ce que l’on a appelé pudiquement « les évènements d’Algérie ». A cet égard je puis, sans aucune prétention, vous apporter mes témoignages ayant été témoin actif de ces « évènements ».

J’en viens au fait.

J’ai voté pour que le 19 mars soit reconnu Journée du souvenir et du recueillement en mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, parce que ma vocation de médecin me pousse à toujours m’intéresser aux plus faibles, à respecter la dignité humaine.

- C’est tout en votre honneur de vous intéresser aux plus faibles, à respecter la dignité humaine. Dans ce cas vous devriez respecter les centaines de familles touchées par le génocide d’Oran le 5 juillet 1962, autrement dit 5 mois après la date que vous considérez comme celle de la fin de la guerre d’Algérie; vous devriez également avoir vous-même un peu plus de dignité envers les dizaines de milliers de Harkis qui ont tout risqué pour le drapeau tricolore que vous représentez. Vous pourriez également me donner votre avis sur le massacre de la rue d’Isly le 26 mars 1962 (donc après le 19 mars) au cours duquel l’armée française a assassiné une population française défilant au chant de la Marseillaise, drapeau tricolore en tête.

Enfin, et sauf erreur de ma part, la carte d’Ancien Combattant a été délivrée à des militaires jusque bien après cette date du 19 mars. Il faut que vous m’expliquiez dans ce cas pourquoi on décide d’une date pour une fin d’hostilités et, d’un autre côté, on n’en tiens pas compte pour l’attribution d’une carte d’ancien combattant.

J’ai subi beaucoup de pressions, non de la part des partisans de ce texte mais de ses opposants.

- Évidemment vous ne pourriez dire le contraire !!!

- Ces hommes qui ont combattu en Afrique du Nord sont de la génération de mon père, ils ont été mobilisés pour aller faire une guerre qui a commencé à la Toussaint Rouge et qui s’est terminée par un cessez-le-feu le 19 mars 1962.

- Non monsieur la guerre ne s’est pas terminée lors d’un cessez le feu, du reste réfutée par les forces FLN de l’intérieur. Vous devriez connaitre l’histoire mieux qu’un citoyen lambda car vous n’êtes pas sans ignorer que de Mars à Juillet 1962, le FLN a tué, massacré plus d’hommes, de femmes, d’enfants qu’au cours des sept années précédentes. Je ne vous ferai pas l’affront de vous en donner les chiffres car vous êtes bien placé pour les obtenir.

Ils ont été envoyés de l’autre côté de la Méditerranée, la peur au ventre, pour un avenir lointain, incertain. Vingt-sept mille cinq cents ne sont pas revenus. Ils ont tout donné, leur jeunesse, leur vie, pour une guerre qui n’avait pas de nom.

- Voila dans votre affirmation une vérité pour ce qui est de la peur au ventre. Oui certains, nombreux même, sont partis pour défendre LE DRAPEAU TRICOLORE la peur au ventre ; j’en ai vu de mes propres yeux se tapir sous des banquettes d’un train Oran - Aïn-Séfra, lors d’une attaque de fellaghas. Pour sûr qu’ils avaient la peur au ventre.

Effectivement 25247 ne sont pas revenus ; seulement il faut également indiquer que dans ces chiffres 10700 ne sont pas morts au combat mais soit par accident, maladie et enlèvements (900) ; que dans les tués au combat il y a eu 7501 appelés ou rappelés ; les autres tués au combat étant des légionnaires, nord-africains, militaires de carrière, militaires africains.

Pour ce qui est de leur traversée de la Méditerranée, vous semblez oublier qu’à peine deux décennies avant d’autres jeunes traversaient cette mer pour défendre VOTRE pays et eux avaient également sans doute la peur au ventre mais lorsqu’ils partaient au combat, leur cri de guerre était : »En avant les Africains », alors que ceux que vous citez avaient pour cri de guerre « la quille bordel ».

Guerre qui n’a pas de nom : voilà une réalité que vous écrivez. Guerre qui n’a pas de nom ?! ce qui s’est passé en Algérie, monsieur, n’est en aucun cas une guerre car je ne vous ferai pas l’affront de vous apprendre ce qu’est une guerre : confrontation de deux armées. Pendant plus de 7 ans ce fut du terrorisme, ce furent des attaques, des massacres de population civile. Il y eut que très peu de confrontation militaire. Vous n’êtes pas sans ignorer que la véritable force du FLN fut dans les attentats à la bombe, dans les massacres de femmes, d’enfants, de BÉBÉS. Alors monsieur ne parlons pas s’il vous plait de guerre. MOI j’ai pu voir de mes propres yeux des attentats commis par les terroristes FLN, je puis vous affirmer que ça dépassait largement les méfaits Nazis que vous décriez tant.

Je pense bien entendu aux morts, aux blessés et surtout aux veuves et aux orphelins, à l’absence... la chaise vide autour de la table familiale, à la douleur... cette plaie béante qui a du mal à cicatriser.

- 40000 foyers Pieds-Noirs et Nord-Africains ont eu l’absence de l’un des leurs au cours de la défense de la France. C’est également une plaie béante qui ne se cicatrisera JAMAIS car ces familles ont été trahies par ce qu’elles croyaient être leur Patrie ; elles le sont encore aujourd’hui par vous-même qui faites d’une date funeste un mémorial en occultant totalement les victimes du pseudo cessez le feu ; en oubliant qu’après ce 19 mars près de 400 soldats du contingent furent enlevés. Vous devriez à cet égard prendre connaissance du témoignage de ce malheureux André Aussignac.

- Savez-vous monsieur que pour la défense de la France au cours de la guerre 39/45 168.000 Pieds-Noirs ont traversé la Méditerranée, sur ces 168000 hommes 20000 (vingt mille) sont morts AU COMBAT ; ces 168.000 Pieds-Noirs correspondaient à 23%(vingt-trois) de la population Européenne d’Algérie ? Quel était le pourcentage de Français de France ?

Pour faire le deuil, il faut une reconnaissance, un lieu, une date, une tombe.

- Voilà une phrase digne d’intérêt que j’approuve totalement. Songez-vous à ces centaines de familles dont l’un de leurs membres fut enlevé le 5 juillet 1962 à Oran ? Un demi-siècle après ce génocide, car ce fut bien un génocide, aucune reconnaissance ne leur fut accordée. D’ailleurs ce génocide est bel et bien occulté par les Politiques tant de droite que de gauche et bien que JJ Jordi, preuves à l’appui, fasse état de cette chasse aux « roumis », le pouvoir politique feint de n’être point au courant.

- Quant aux tombes je me permets de vous informer que les tombes de mes aïeux tant du cimetière d’Assi-Bou-Nif que de celui d’Oran n’existent plus par le seul fait du vandalisme qu’elles ont subi dès l’indépendance.

C’est pour cela que je suis contre la fosse commune de l’histoire, le trou noir de l’oubli, qui est l’endroit où reposent ceux qui n’ont pas de tombe, qui n’ont plus d’individualité. Car les morts ne se ressemblent pas, chaque mort pour la France est unique. Il ne faut pas mélanger tous les conflits, c’est se moquer des morts que de les fondre et de les mélanger dans une fosse commune. Il n’y a pas de fosse commune de l’histoire mais une tombe pour chaque mort car la mort reste individuelle. Il y a les morts de l’An II, de 1870, de 14-18, de 39-45, d’Indochine, d’Afrique du nord et maintenant ceux d’Afghanistan. L’individu disparaît avec la mort, il perdure avec le souvenir. Écoutons le Sénateur Victor HUGO : « le souvenir, c’est la présence invisible ».

- Les morts ne se ressemblent pas ! Curieuse analyse, surtout lorsque ces morts le sont pour l’unique et même cause : la défense de la Patrie.

Vous évoquez l’Afghanistan ; mais monsieur la présence française dans ce pays n’a strictement rien à voir avec celle d’un département français tel que ce le fut pour l’Algérie qui, je vous le rappelle, bien qu’elle fût située de l’autre côté de la Méditerranée, il n’en demeure pas moins qu’elle fut française bien avant d’autres régions de l’hexagone.

En ces temps d’ « amnésie générale », le devoir de mémoire tend à devenir une forme de l’oubli.

- Je vous rejoins totalement sur cette amnésie ; elle est d’ailleurs prouvée par le simple fait de faire d’une date honteuse une date de commémoration en faisant injure non seulement à des dizaines de milliers de Français (qu’ils fussent Musulmans ou Européens) assassinés après cette date, mais également injure aux soldats Métropolitains enlevés et/ou tués également après cette date.

Depuis cette année, le 11 novembre est devenu la date commune de toutes les commémorations de tous les conflits, mais laissons à chaque commune, à chaque individu la possibilité d’individualiser sa peine, en fonction de ses origines, du passé de sa famille et de son histoire, tant que la souffrance persiste. Simplifier, c’est réducteur, c’est abaisser l’humain. Nous sommes des « nains assis sur des épaules de géants », nos devanciers, par leur destin tragique, ont construit notre histoire. La République est une et indivisible mais l’histoire est plurielle ; c’est cette diversité qui fait notre richesse. Ces propos sont les miens, ils n’engagent que moi, je ne vous demande pas de les avoir en partage car je respecte plus que tout le vivre ensemble qui est le droit de ne pas être d’accord. Laissons à chacun sa manière de consulter le livre des morts.

- Effectivement ces propos sont les vôtres ; vous avez écrit une belle page de dissertation ; le problème étant cependant qu’il y manquait toutefois le discernement et objectivité.

- Bien que vous-même n’ayez pas jugé bon de saluer vos interlocuteurs, permettez-moi, Monsieur, de vous adresser mes salutations.

REGIS GUILLEM

Régis GUILLEM

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