8.2 - Les hélicoptères bombardent de l’autre côté de la Grande Poste : le square Bresson

VI - Les témoignages - Grande Poste : les bombes lacrymogène

1 - Témoignage de Maryse Odru (Un crime sans assassin - page 119)
    
... d'autres grenades m'ont brûlé les poumons

2 - Témoignage de Charles Griessinger (Un crime sans assassin – page 120)
     
... ce fût une véritable asphyxie

3 - Témoignage de Charlette Picard (Un crime sans assassin - page 121)
     
... d'un hélicoptère sont tombées des grenades rependant un gaz avec une sensation très pénible d'étouffement

 

1 - Témoignage de Maryse Odru

Maryse Odru était très jeune à l’époque. Elle se trouvait près du square Bresson, dans la partie la plus avancée de la manifestation
Note : Pour des raisons d’horaire, je pense que Maryse Odru n’a dû entendre que la fin de la fusillade (Francine Dessaigne).

Mes amis et moi-même avions décidé de nous rejoindre ce 26 mars sous l’horloge de la Grande Poste pour la marche de soutien aux habitants de Bâb el Oued.
Vers 11 heures du matin apprenant qu’un groupe partait du square Bresson, nous avons décidé de nous scinder.

Je me retrouvais donc avec certains de mes amis mêlés à beaucoup de monde en bas de la rue bouchée par plusieurs cordons de CRS ou de gardes mobiles jusqu’au Tantonville. En fin de compte, le square Bresson était complètement encerclé et impossible de franchir le barrage. Au chant de la Marseillaise, les grenades lacrymogènes ont commencé à exploser et à nous disperser. Comme nous revenions, ce fut cette fois un hélicoptère qui nous balança à très basse altitude (j’ai vu à l’intérieur des hommes avec des fusils), d’autres grenades qui n’étaient plus lacrymogènes, mais qui nous brûlaient les poumons. Bousculée, poussée, je me suis retrouvée dans l’escalier d’une maison à côté du Tantonville.
Je me souviens avoir eu cette pensée : « si on ne meurt pas asphyxiés, on va mourir écrabouillés sous l’escalier », qui était pourtant large, mais assez vétuste. Quelqu’un me dit : « C’est sérieux cette fois, ça sent mauvais …- on est piégé … »

Il y en a qui avaient déjà compris … et réalisé … Je me suis retrouvée chez moi, place d’Isly, je ne sais plus comment et j’ai entendu une fusillade qui venait du début de la rue d’Isly puis après des coups isolés puis une ambulance et encore des coups de feu.

Quelques jours après, étant dans cette rue (devant le Milk Bar), j’ai levé la tête et vu que la maison au-dessus du Novelty, au dernier étage, était remplie d’impacts de balles (angle rue d’Isly – place d’Isly).

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 2 - Témoignage de Charles Griessinger (Un crime sans assassin – page 120)

Ce jour du 26 mars 1962, accompagné d’un ami qui était venu me chercher pour participer la manifestation, je devais aller à la Grand Poste poster une lettre pour mon fils aîné, élève de 5ème année de médecine à l’école de service de santé militaire de Lyon. Nous nous heurtâmes au barrage coupant la rue d’Isly à hauteur de l’agence Havas, barrage imperméable dans le sens rue d’Isly - Grande Poste, mais au contraire, perméable en sens contraire. On apprend après coup, cela faisait plus de poissons dans la nasse.

Refoulés, nous avons décidé de nous joindre au défilé et d’aller poster ma lettre à la poste de la rue de Strasbourg, près du square Bresson.

Mon ami, monsieur Juving, me dit alors, désignant d’un mouvement de tête les militaires indigènes du barrage : « Regardez-les ! Ils vont tirer. »
Lorsque la fusillade a éclaté, nous devions nous trouver à la hauteur de la place Bugeaud (place d’Isly) et, aussi inimaginable que cela puisse paraître, nous n’avons rien entendu tant notre foule était bruyante, chantant pour ne pas dire hurlant la Marseillaise et le Chant des Africains.

(Note : en raison de l’horaire et des déclarations des autres témoins, Monsieur Griessinger devait se trouver beaucoup plus loin qu’il ne croit au moment du déclenchement de la fusillade. Francine Dessaigne).

Nous arrivâmes ainsi jusqu’au square Bresson où nous vîmes la rue Bâb Azoun bouchée par des engins blindés. À peine arrivées les milliers de personnes éparpillées sur la place, devant le théâtre, furent bombardées de de bombes lacrymogènes de très forte puissance, jetées sur elles par hélicoptères. Ce fut une véritable asphyxie.

Mon ami et moi-même nous enfuîmes par les escaliers longeant le théâtre, conduisant à la rue de la Lyre. Un barrage de zouaves nous empêcha d’aller plus loin, mais ne nous refoula pas. Nous attendîmes donc là, près d’une heure, que la fumée se disperse complètement pour repartir, toujours ignorés des militaires, tous métropolitains du contingent.

Je pus rejoindre mon domicile vers 18 heures. Je ne saurais décrire l’état dans lequel je trouvai mon épouse. Et c’est alors que seulement que j’appris ce qui s’était passé ….

Réponses à quelques questions posées par moi 
- Ma terrasse, au 47 de la rue d’Isly, était occupé par plusieurs membres de ma famille, qui ont assisté à la fusillade et qui n’ont vu aucun militaire sur les terrasses et balcons donnant rue d’Isly, entre notre immeuble et la place de la poste.
- Je n’ai pas été perquisitionné ou interrogé dans l’enquête qui a suivi la fusillade et je n’ai pas souvenance que mes voisins l’aient été.
- Il est impensable qu’il ait été tiré des fenêtres ou de balcons de la rue d’Isly
- Réfléchissons, s’il s’était agi pour ces supposés tireurs de viser les militaires du barrage, il faut croire qu’ils auraient eu une très mauvaise vue, puisqu’aucun d’entre eux n’a même pas entendu siffler une balle.
- Poussons le machiavélisme plus loin, si c’était pour tirer sur leurs propres frères manifestant pacifiquement, afin de faire croire que c’était le fait de militaires, il aurait fallu qu’ils s’équipent d’armes de même modèle et de même calibre que celle du peloton d’exécution déjà mis en place, ce qui était pratiquement impossible. Je n’y crois absolument pas.

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En bleu le flux des manifestants
En rouge le bas de la rue Dumont d’Urville qui débouche sur le square Bresson. De l’autre côté du square la rue Bâb Azoun bouchée par des engins blindés.
Échappatoire par les escaliers le long du théâtre (N° 18) qui donnent dans la rue de la Lyre

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Au premier plan l'Opéra, en arrière plan, la Brasserie d'Alger "le Tantonville", dans le fond la rue Dumont d'Urville.


3 - Témoignage de Charlette Picard

Un peu plus loin à droite, la rue Dumond d’Urville grimpe vers la rue d’Isly. Au début de celle-ci, le grand magasin des Galeries de France. Les premiers éléments de la colonne provenant du plateau des Glières étaient à ce niveau quand la fusillade éclata (Francine Dessaigne)

Ce 26 mars 1962 munies d’un mouchoir dans une poche te d’une carte d’identité dans l’autre, avec mon amie Monique, nous sommes arrivés au carrefour de la Grande Poste presque une heure en avance sur le rendez-vous fixé pour la marche vers Bâb el Oued.

Notre destin a voulu que nous commencions à marcher au milieu de la rue d’Isly, précédant d’assez loin le gros de la foule, ignorant que nous échappions ainsi à la fusillade.

La statue de Bugeaud dépassée, nous avons entendu les détonations. Continuant notre chemin sans trop d’inquiétude (il y avait très peu de monde avec nous) nous sommes arrivées au haut de la rue Dumont d’Urville et c’est alors que nous avons vu poindre un hélicoptère d’où sont tombées des grenades qui éclatèrent non loin de nous, répandant un gaz qui eut pour effet de nous « couper les jambes » avec une sensation très pénible d’étouffement, à tel point que, Monique qui ne s’était pas protégé le visage - comme je l’avais fait avec mon mouchoir – ne pouvait plus avancer. Je l’ai pratiquement traînée jusqu’à une porte d’immeuble, la seule heureusement ouverte. Avec un petit groupe de gens affolés, nous nous sommes retrouvées au troisième ou quatrième étage où une âme charitable a ouvert sa porte, nous a permis de nous rafraîchir le visage et de reprendre nos esprits.

Monique avait garé la voiture sur l’avenue au-dessus du Forum. Je ne sais pourquoi, nous avons emprunté, pour aller la reprendre et remonter vers le boulevard Gallieni, la rue Mogador et des escaliers montant au GG. Nous nous détournions ainsi de la Grande Poste sans nous douter du drame qui venait de s’y dérouler. Nous ne le sûmes que dans la soirée par la radio.

J’habitais boulevard Gallieni. Mon amie m’a laissé au carrefour près de l’église Sainte Marie. Toute la place était bloquée par des gendarmes mobiles. Il devait être 4 heures environ. Je suis allée dire à un gradé que j’habitais tout près et voulais renter chez moi. Il m‘a répondu que c’était interdit. Je n’avais pas de sac, seulement un mouchoir et ma carte d’identité dans ma poche que je lui ai montrée. J’ai insisté vigoureusement et il m’a conduite à l’entrée du boulevard. J’ai marché au milieu de la chaussée car les trottoirs étaient occupés par des gendarmes arme au poing et, chaque fois que je passais devant, j’entendais le cliquetis de l’arme qu’on charge.

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En bleu la rue d’Isly qu’empruntent les premiers manifestants. Ils dépassent la place d’Isly et la statue de Bugeaud et arrivent à la fin de la rue d’Isly au haut de la rue Dumont d’Urville.
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rouge le haut de la rue Dumont d’Urville où sont larguées les grenades suffocantes.

 
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