8.1 - Les hélicoptères bombardent les hauts d’Alger : Plateau Sauliere – l’Agha – la rue Michelet – la Robertsau …

5 - Monsieur Jean Bogliolo - (Un crime sans assassin - page 103)

Témoignage de Jean Bogliolo – Écrivain – Professeur de Lettres classiques au lycée Gautier

Page 103 - Extrait Un crime sans assassins – page 103

Place Lyautey

Belle après-midi de printemps et atmosphère morale triste. Demeurant rue Enfantin tout près du parc de Galland, je descendis par la rue Édith Cavell jusqu’à la rue Michelet, puis par cette rue, poussai jusqu’au carrefour tunnel des Facultés –boulevard Saint Saëns- rue Michelet. Peu de trafic dans la rue, peu de monde sur les trottoirs, magasins fermés. Sans doute y avait-il, encore une fois, un mouvement de grève bien nommée « générale ». Des rassemblements étaient prévus malgré l’interdiction préfectorale : l’un au Champ de Manœuvres et Carrefour boulevard Baudin – immeuble Mauretania, drainant les gens de Belcourt, le Hamma, Hussein-Dey, Maison Carrée …l’autre (le mien) au carrefour précité devant comprendre les gens des « Hauts d’Alger » (El Biar, Hydra, La Robertsau, Télémly, Colonne Voirol, quartier Michelet…) Quand j’arrivai, il y avait déjà du monde mais pas foule. On était loin des masses et de l’élan de l’époque du 13 mai. À mesure il arriva davantage de monde mais ce n’était pas la marée déferlante, ni une phalange de choc. Bigarrure sociale, et aussi de divers âges et sexes. Apparemment et nulle arme, quelques cris « séditieux », quelques drapeaux et banderoles.

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En tête, quelques élus municipaux ou parlementaires ceints de l’écharpe tricolore

En face, à quelques dizaines de mètres, rue barrée (asphalte et trottoirs) par un cordon de troupe, pas très profond au coup d’œil : une sorte de « ligne de première défense », comme on dit. Soldats en treillis de guerre ou en tenue de campagne, arme à la main. Sans doute une section de tirailleurs, mixture café au lait, je veux dire de souche européenne ou arabo-berbère. Par sélection, il n’y avait sûrement nul Pied Noir parmi eux. Je ne pense pas qu’il y eut là une compagnie au grand complet. Très peu en avant de la ligne, un officier (sous-lieutenant ou lieutenant sans plus – difficile à distance de distinguer ou compter les galons sur une tenue de combat). L’assistance avait grossi, le temps passait et c’était l’heure. L’autre colonne, celle du bas, devait approcher du carrefour Bugeaud-Isly, soit la Grande Poste.

Le député Marçais et quelques personnalités s’approchèrent de l’officier pour parlementer pour le passage. « Défense de passer – ce sont des ordres ». La troupe avait l’air plutôt impatiente ou indifférente que nerveuse ou hostile ; et l’officier plutôt las et ennuyé que brûlant de pugnacité. Alors et presque simultanément : d’un côté la foule se rapproche, sans violence ni précipitation (couvrant le front de la rue) de la petite avant-garde des pourparlers - et du côté de la troupe, un bruit qui ne trompe pas : l’acier des culasses que l’on arme pour approvisionnement.

Ordre peut-être de quelque sous-officier, loin derrière le lieutenant ? Mesure de dissuasion et intimidation ou volonté réelle de de tir. « Chi lo sa ? » Moment critique : qu’allait-il se passer si aucun des deux ne cédait, de la troupe ou de la foule, que la troupe ne cherchait nullement à balayer et disperser ?

Et c’est alors que retentit, à une distance qui paraissait assez lointaine quoique pourtant assez proche, la fusillade du massacre, au carrefour Grande Poste-Isly, sur la deuxième colonne (elle en avance sur nous ou nous en retard sur elle). Bruit collectif comme un seul tir, unique, profond, durable- puis quelques rafales sporadiques- puis un silence lugubre. Les gens se regardaient consternés : « ils ont tiré ! ». Le mot était sur toutes les lèvres, dans tous les regards, dans tous les cœurs. Tout s’était paralysé, statufié ; la troupe, la foule. Un univers de songe et de cauchemar à la pensée de ce qui avait pu se passer LA-BAS. Mouvement de foule en recul et déjà d’éparpillement. La tête du cortège se démobilise. Aucune consigne orale mais inconsciemment perçue et répercutée de tous : dispersion du rassemblement. Je restai encore un peu (dans l’attente de quoi ? de quel inutile miracle ?) avec peut-être une centaine de gens ‘à faire quoi ?) ; lorsqu’apparut, à basse distance, un hélicoptère de gendarmerie qui nous balança quelques grenades lacrymogènes. Nous dûmes à quelques-uns, tremper nos mouchoirs à l’eau d’une fontaine publique, située là face à une petite rue en escaliers descendant vers le carrefour de l’Agha. (Note : il s’agit de la rue Warnier). Puis, crainte que n’arrive par quelques rues adjacentes et perpendiculaires, un groupe de gendarmes nous prenant de derrière en tenaille avec la troupe, le dernier groupe, comprenant la dangereuse inutilité de quoi que ce soit, s’évapora dans la nature.
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 En bleu, comme indiqué dans le témoignage, les deux flux des manifestants qui se rejoignent sur le plateau des Glières, à la Grande Poste (10) avant de s’engouffrer dans la rue d’Isly.

Le groupe mentionné dans le témoignage est arrêté, dans la rue Michelet, au niveau du tunnel des Facultés, place Lyautey, en rouge.

Les hélicoptères des gendarmes survolent à basse altitude la rue Warner – en rouge - et jette les bombes lacrymogènes sur les manifestants qui font demi-tour au bruit que fait la fusillade à la Grande Poste.

Les hélicoptères entrent en action juste après la fusillade et s’acharnent sur les manifestants loin de la fusillade.

Il y a là une réelle volonté de chasse aux Français d’Algérie.

Et l’Etat couve toujours ses dossiers secrets sur des blocs de glace (S.G.)

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