3.3 - Précarité - Les Harkis

I - Une journée historique - L'exil ou la patrie perdue.

Le 30 mai 2006, le Bureau du Conseil économique et social a confié à la section des affaires sociales la préparation d’une étude sur « La situation sociale des enfants de harkis ».

La section des affaires sociales a désigné Mme Hafida Chabi comme rapporteure.

 Séance du bureau du 12 décembre 2006

La situation sociale des enfants de harkis

Étude du Conseil économique et social raison du par Madame Hafida Chabi au nom de la section des affaires sociales.

(Question dont le conseil économique et social a été saisi par décision de son bureau en date du 30 mai 2006 en application de l’article trois de l’ordonnance numéro 58 – 1360 du 29 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au conseil économique et social).

Extraits

2.3. Le nombre de harkis rapatriés en France...

Le nombre d’anciens supplétifs et de leurs familles rapatriées en France varient selon les sources.

En 1965, les statistiques du service central des rapatriés font état de 20 120 chefs de famille et au total 66 000 personnes. Une étude démographique réalisée en 1997 évalue à 154 000 personnes, le nombre des harkis de la première et de la seconde génération. Dans son ouvrage « Le drame des harkis – 2001 », Abdelaziz Meliani avance nombre de 270 000 familles comprises.

Pour Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, 48.625 anciens supplétifs et leurs familles débarquent à Marseille ou atterrissent à Marignane entre le 23 juin et le 28 septembre 1962, sans savoir combien, parmi eux, sont contraints par les autorités publiques de repartir en Algérie ». Pour Maurice Faivre 21 000 personnes sont rapatriées en 1962,15 1000 en 1963,5 1340 ans 1964 – 1965. 2965 à 1970, des négociations permettent l’accueillir 1330 prisonniers du FLN (plus leurs familles).

1. La précarité des conditions de vie dans les camps

1.1. Des conditions matérielles et sanitaires particulièrement difficiles

L’organisation de la vie familiale se heurte à d’importantes contraintes matérielles : occupation des tentes par plusieurs familles, superficie des logements attribués trop petite, manque de couchage mais aussi de chaises pour toute la famille. Et surtout, certaines familles souffrent de déséquilibres alimentaires.

La France, au moment du rapatriement, a tenté dans l’urgence, de régler l’hébergement des harkis et de leurs familles. Cependant, il s’avère que les conditions d’accueil n’ont pas été à la hauteur des besoins et des attentes des familles. Celles-ci bénéficient de prestations sociales. Mais le ministère des Rapatriés les réaffecte au financement de dépenses de fonctionnement des camps. Ainsi les allocations familiales « étaient versée sur un compte spécial du service social nord – africain qui servit à financer les lieux de relégation ».

Une inspection du camp de Bias, diligentée par le ministère des Rapatriés en avril 1963, épingle la gestion de ce camp où près de 2 millions d’euros débloqués pour l’accueil des harkis s’étaient volatilisés.

Le rapport que fait le directeur de cabinet du préfet du Gard, en 1975, sur la situation du camp de Saint-Maurice-l ’Ardoise est particulièrement éloquent sur les conditions de vie misérables des résidents du camp : « les conditions sanitaires sont anormalement défectueuses : WC extérieurs collectifs sans eau courante et dans un état de délabrement avancé, douches collectives extérieures, également très dégradées et mises à la disposition de l’ensemble des habitants une seule fois par semaine, petits appartements mal entretenus de deux ou trois pièces contenant, grâce à des lits superposés, des familles de 10 à 12 personnes ».


I - Une journée historique - L'exil ou la patrie perdue.

1.2. Les restrictions apportées aux libertés individuelles

Chaque camp d’accueil fonctionne de manière autonome, en autarcie, avec son règlement propre édicté par le directeur du camp. C’est ainsi que le règlement intérieur du camp de Biais impose aux familles la levée des couleurs et le couvre-feu à 22 heures. La note de service du directeur du camp en annexe quatre, donne un aperçu d’une situation qui reste exceptionnelle. L’administration contrôle également le courrier et les colis qui sont ouverts. L’usage des douches est aussi réglementé, limité à une fois par semaine et facturé 0,08 euro. Ces conditions de vie misérables et oppressantes ont des conséquences sur l’état physique et moral des personnes : beaucoup dont des enfants, deviennent dépressifs. C’est ainsi que certains, adultes et enfants, se retrouvent internés en hôpital psychiatrique.

Souhaitant intégrer au mieux les familles de harkis, les animatrices de promotion sociale, affectées dans les camps, choisissent parfois des prénoms français pour les nouveau-nés. Certains directeurs de camps imposent également un prénom français aux enfants et si leurs parents « refusent, le père est expulsé du chantier pour plusieurs jours. Cette mise à pied est terrible pour ces hommes payés à la journée et dans le seul salaire nourrit leurs familles nombreuses ».

Le docteur Jammes a été pendant près de 30 ans le médecin du camp de Bias. Il découvre, lorsqu’il prend ses fonctions au début des années 1970, des baraques insalubres, la promiscuité des familles, les conflits récurrents avec l’administration et des gens totalement désemparés qui ne parlaient pas le français. Selon le docteur Jammes, à Bias, tout était fait pour que les harkis n’aillent pas travailler : voitures interdites, pas de contact avec la population extérieure du camp ». Ancien délégué interministériel aux rapatriés, Guy Forzy, souligne, plus généralement, que les camps d’accueil « sont des camps militaires très sévères avec le couvre-feu à 22 heures. Les enfants ne sont pas scolarisés dans les écoles du village ».

Cependant, tous les harkis ne connaissent pas les mêmes conditions d’accueil et d’installation. Ainsi, Mas-Thibert, village situé au sud d’Arles, en pleine Camargue, est dès 1962, le lieu d’accueil de plusieurs familles de harkis qui rejoignent le bachaga Saïd Boualam, rapatrié par l’armée en mai 1962. Député d’Orléansville et vice- président de l’Assemblée nationale, le bachaga Boualam a passé 21 ans dans l’armée française. Il devient caïd des services civils du douar Béni -Bouatab, puis du douar des Beni-Boudouanes où il constitue une des premières harkas. À son arrivée en France, il s’installe dans une propriété d’une cinquantaine d’hectares où l’armée installe des tentes. En décembre 1962, il emprunte pour acheter une maison et 50 hectares de foin et de rizières destinés à donner du travail aux hommes qui l’ont rejoint. Au milieu des années 70, les harkis de Mas-Thibert forment une population d’un millier d’habitants relativement bien intégrés qui, progressivement, quittent les premiers baraquements pour s’installer dans des logements dans les communes voisines.

Mas-Thibert n’est cependant pas le seul exemple probant d’insertion des familles de harkis. Des harkis ont pu s’établir dans le village de Saint-Valérien dans l’Yonne grâce à des initiatives privées et au soutien du ministère des Rapatriés en 1964. Dans la Somme, des familles kabyles, originaires de la commune d’Iflissen (Algérie), s’installent à Poix sous la protection de la famille Abdellatif. L’action conjuguée d’un lieutenant et de son sergent-chef a permis l’installation à Vic-le-Comte, dans le Puy-de-Dôme, d’une centaine de personnes originaires du même douar. Le jumelage de la commune de Château Renault, dans l’Indre-et-Loire, avec la commune d’Arris avant l’indépendance de l’Algérie ainsi que la possibilité de trouver un emploi dans l’industrie de la chaussure ont ici aussi aidé les familles de harkis à s’adapter plus facilement. »

Pour son information, la section a entendu :

  • Monsieur Hamid Bakria, président de la Confédération régionale des rapatriés harkis du nord ;
  • Monsieur Kamel Benamra, directeur de la formation et de l’emploi, Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (l’Acsé ; ex Fasild) ;
  • Monsieur Brahim Bourabaa, président de l’association Trait d’union ;
  • Madame Zohra Bourougat, présidente du Conseil national des Français rapatriés ;
  • Monsieur Paul Chalier, directeur des affaires interministérielles de la Préfecture de l’Hérault ;
  • Monsieur Emmanuel Charron, président de la mission interministérielle aux rapatriés ;
  • Général Maurice Faivre, membre du Haut conseil des rapatriés ;
  • Monsieur Guy Forzy, membre de section de la section des affaires sociales du Conseil économique et social, ancien délégué interministériel aux rapatriés ;
  • Monsieur Yann Jounot, secrétaire général de la Préfecture du Nord ;
  • Monsieur Jacques Orlianges, secrétaire national d’AJIR ;
  • Général François Meyer, membre du Haut conseil des rapatriés ;
  • Monsieur Jean-Loïc Werth, chef de service chargé des harkis, mission interministérielle aux rapatriés ;

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N.B : L'image N°6 1962.L'exil : Le Sphinx,ancienne et célèbre maison close à l'abandon, sert de lieu d'hébergement pour des familles de rapatriés...

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