13.10 - Témoignage anonyme : "nous étions confiants"

VI - Les témoignages - Les enfants d'hier et d'aujourd'hui

Montpellier le 28 mai 2007J’ai parcouru avec émotion la liste des blessés du 26 mars. Je ne me souvenais pas que c’était un lundi. Mais nous n’allions plus en classe depuis déjà trois mois.

J’ai participé avec ma tante Suzanne, couturière chez Lyne, à cette manifestation. Nous étions rue d’Isly lorsque la fusillade é éclaté. Nous nous sommes précipitées dans un immeuble dont la porte était ouverte, en même temps que beaucoup d’autres personnes.

Je me souviens que sur le coup et dans la bousculade nous sommes montés jusqu’au deuxième étage. Et puis nous nous sommes demandé ce qu’il fallait faire. Deux heures plus tôt, nous étions parties depuis la rue du Dr Trollard où habitait ma parente. Les rues étaient bondées. Cela avait débuté comme un jour de festivité, avec une bonne humeur, pour aller aider nos concitoyens bloqués dans leur quartier. Nous étions passées par le Gouvernement général, devant la grande horloge en panne depuis des semaines et de moins en moins bien entretenue.

Pourtant qu’elle était belle et comme nous étions fiers à son installation quelques années plus tôt. Nous sommes passées devant la clinique Lavernhe, la Grand Poste. Sur le trottoir de gauche des soldats s’interpellaient. Nous étions confiants : l’armée française était là, il ne pouvait rien arriver. Pourtant, et cela je m’en souviens comme si c’était hier, les soldats portaient sur leur casque un signe inhabituel : W3. C’étaient des soldats bruns aux yeux sombres, parlant arabe, au visage pourtant rieur, avenant. J’interrogeais les gens autour de moi, que signifie W3, Les réponses arrivaient vagues, on n’avait pas bien vu, dans l’allégresse habituelle qui était la nôtre malgré tous les malheurs passés.

Quelqu’un près de moi pourtant me souffla : W3, ça veut dire WILLAYA 3. Je me retournais, surprise, pour lui en demander le sens, je ne savais pas ce que voulait dire Wilaya 3, mais, dans la foule, la personne s’en était allé plus loin. Qu’importe, le militaire qui commandait ces soldats portait un calot. C’était un jeune homme blond aux yeux clairs, un vrai patos, nous pouvions encore avoir confiance ! Après la fusillade, nous sommes sortis de cet immeuble qui se trouvait approximativement en face du Monoprix, au milieu de la rue d’Isly. Je voulais aller voir de plus près ce qu’il y avait. Mais ma tante m’entraina. Nous parcourûmes le chemin inverse parmi les cris, les lamentations.

Ici et là, des corps étaient recouverts. Des ambulances hurlaient. La foule refluait. Des hommes portaient des blessés en courant vers la clinique. Ce n’était plus la fête, c’était toujours la guerre, mais moi, à Alger-Centre, j’avais treize ans et il faisait beau. Nous allions vraiment apprendre ce qu’il s’était passé en écoutant la T.S.F. à la maison, le soir. Voilà. Je crois que ces instants partagés par les Pieds-noirs en général et par les Algérois à ce moment furent un immense drame et un incommensurable malheur.

Comment les oublier ?

Témoignage anonyme reçu sur ma messagerie.
Simone GAUTIER

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