11.7 - Colonel Jean-Pierre RICHARTE - 4ème R.T.

6 - Interview chez Jean-Pierre RICHARTE à Oradou (Lot et Garonne) par Simone GAUTIER le 10 novembre 2012

Extraits :

Simone Gautier : « Le fait d’être interviewé par Christophe Weber et de revivre cela, est-ce que ça été difficile pour vous ? »

Jean-Pierre Richarté : « Au début oui, mais après non. »

Simone Gautier : « Vous aviez mis une chape de plomb ? »

Jean-Pierre Richarté : « J’avais mis la chape de plomb et puis on a libéré… si vous voulez avant l’arrivée de Weber, connaissant par habitude, (je ne connaissais pas Weber), mais par habitude je connaissais les journalistes, je sais comment ils tournent les choses, comment ils les arrangent, donc j’ai écrit ce que j’avais l’intention de dire à Weber, pour que soit clair et net, pour qu’il n’y ait pas d’erreur. Vous l’avez être vu mon témoignage ? »

Simone Gautier : « Oui bien sûr, je l’ai mis sur mon site. »

Simone GAUTIER : « J’ai essayé aussi de téléphoner à Monsieur Latournerie, il m’a très bien reçue au téléphone. »

Jean-Pierre Richarté : « Il est, je crois, sur Narbonne. »

Simone Gautier : « Oui c’est ça. Et puis après j’ai essayé de téléphoner à celui qui était sergent.»

Jean-Pierre Richarté : « Oui, qui était de la 5ème compagnie avec le lieutenant Ouchène, son nom me reviendra tout à l’heure. »

Simone Gautier : « Il a refusé de me parler, il a refusé. »

Jean-Pierre Richarté : « Un que vous devriez voir, moi je n’en ai jamais eu le courage d’aller le voir, c’est le capitaine Techer, supérieur hiérarchique d’Ouchène, il n’est pas très loin, il est dans le Gers. Weber a son adresse. »

Simone Gautier : « Alors oui, je crois que c’est Monsieur Latournerie qui m’a dit, en ce qui concerne le capitaine Techer, qu’il est en très mauvaise santé, il ne va pas bien du tout et les amis, ses amis ont fait comme un cordon sanitaire autour de lui, pour ne pas qu’il soit tourmenté ou troublé. »

Jean-Pierre Richarté : « Vous pouvez également prendre contact par Latournerie, avec le capitaine Ducretet. C’était notre commandant de compagnie et lui devait avoir beaucoup d’information. Moi, je me suis toujours posé la question de savoir s’il était présent ou pas, je ne l’ai pas vu, moi je ne l’ai pas vu sur les lieux. »

Simone Gautier : « Vous ne l’avez pas vu sur les lieux ?»

Jean-Pierre Richarté : « Moi je ne l’ai pas vu sur les lieux, certains ont dit qu’il y était, en général, il ne nous lâchait pas d’une semelle. »  Et là, il n’était pas avec nous, il n’était pas avec Latournerie, ni avec moi, où il était, j’en sais rien. Il nous fallait des ordres clairs ! Parce que nous, on n’a pas reçu d’ordres. Moi, le seul ordre que j’ai reçu, c’était de boucher la rue. »

Simone Gautier : « Vous étiez dans quelle rue ? »

Jean-Pierre Richarté : « J’étais dans la rue Lelluch, juste sur le côté de la poste. Quand vous êtes face à la Poste, vous descendez le côté à droite et j’étais juste à l’angle. »

Simone Gautier : « Et où se trouvait monsieur Latournerie ? »

Jean-Pierre Richarté : « Avec moi, il y avait deux sections, on était côte à côte. Une section, c’est quarante individus, quarante soldats. Moi j’avais quarante soldats sous mes ordres, Latournerie avait quarante soldats sous ses ordres. Moi j’étais sous-lieutenant, lui était lieutenant, il avait deux barrettes. Souvent, il avait autorité sur moi, parce qu’il avait un galon de plus que moi. »

Simone Gautier : « Ah d’accord, alors le commandant de compagnie, c’était qui ? »

Jean-Pierre Richarté : « C’était Ducretet.  En théorie c’était lui, en titre c’était lui, mais quand il n’était pas là, c’est Latournerie qui le remplaçait. Alors peut-être que Latournerie a des informations qu’il peut vous donner. »

Simone Gautier : « Oui d’accord, je reprendrai contact avec monsieur Latournerie. J’ai essayé de contacter aussi ce sergent, qui, lui, a tiré, puisqu’il le dit dans le film, simplement pour qu’il en parle, c’est tout ce que je lui demande, mais il ne veut pas non plus. »

Jean-Pierre Richarté : « Je pense que c’est difficile parce qu’on est culpabilisé, parce qu’on a cette impression et moi aussi au départ. J’ai pensé que la fusillade a éclaté, un peu par ma faute, dans la mesure où j’ai fait un barrage hermétique. Moi j’ai obéi aux ordres. Ce barrage n’était pas vraiment très hermétique, mais la foule qui arrivait sur 25 où 30 mètres de face, avait des passages entre les véhicules pour s’écouler un par un, les uns derrière les autres, ce n’était pas suffisant pour… Et j’ai été les voir. … Quand ils sont arrivés, ils étaient à 150 mètres ou 200 mètres, je suis allé au-devant de ceux qui étaient aux premiers rangs en leur disant « vous ne pouvez pas passer, j’ai reçu l’ordre de vous interdire le passage, donc vous ne passerez pas, je suis pied-noir comme vous et je serais dans la manifestation avec vous, si je le pouvais. » Cela s’est arrêté là. Ils ont voulu quand même passer, passer outre. Quelque uns sont passés entre les véhicules, mais ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause des barbelés. Par contre, derrière mon barrage, il y avait une compagnie de CRS, qui elle n’aurait pas laissé passer. Donc même si la foule s’était engouffrée dans la rue Lelluch, 200 où 300 mètres ou 500 mètres plus loin, elle aurait été barrée par les CRS. »

Simone Gautier : « Parce qu’en fait, derrière la Grande Poste, (se rejoignent parallèlement) le boulevard Bugeaud qui est ici sur un côté de la Grande Poste, de l’autre côté il y a la rue Leluch et en bas il y a le boulevard Carnot. Vous, vous étiez à quel niveau ? »

Jean-Pierre Richarté : « Juste au début de la rue Lelluch, la manifestation est arrivée chez nous d’abord. »

Simone Gautier : « Voilà, c’est ça, donc elle a tourné en remontant ? » 

Jean-Pierre Richarté : « Elle a tourné à gauche, a longé la rue de la Poste et quand le début de la manifestation s’est trouvée à hauteur de la porte d’entrée de la Poste, rue d’Isly, la fusillade a eu lieu. Voilà. »

Simone Gautier : « Donc vous, vous n’avez pas vu ce qui s’est passé, vous avez entendu ?

Jean-Pierre Richarté : « Ah oui, nous, on a entendu, on n’a pas tiré, mes soldats n’ont pas tiré un seul coup de feu, ceux de Latournerie, je ne sais pas bien…Je ne sais pas bien, ils ont peut-être tiré quelques cartouches, je n’affirme rien. Je vous affirme moi, que mes soldats n’ont pas tiré une seule cartouche. »

Simone Gautier : « Ils étaient comment vos soldats, ils avaient peur, ils étaient inquiets, ils étaient excités ? »

Jean-Pierre Richarté : « Non, non, non, ils étaient dans les encoignures de portes, comme nous tous, on se protégeait.  Nous, on était pas fait pour faire du maintien de l’ordre. »

Simone Gautier : « Oui, c’est ce vous expliquez très bien dans le documentaire. » 

Jean-Pierre Richarté : « Donc quand on nous a demandé, on a essayé d’improviser, c’est le rôle des officiers d’improviser. Notre rôle c’était de remplir la mission et de faire en sorte que nos soldats ne souffrent pas de la manœuvre. D’ailleurs quand on a barré la rue à cette hauteur-là, mes soldats étaient tous le long de l’arrière de la Poste, ils étaient étalés 50 ou 60 mètres. Ils n’étaient pas en façade, en façade il n’y avait que moi et les camions qui étaient côte à côte et les barbelés devant les camions

Simone Gautier : « Il y avait des barbelés devant les camions ? »

Jean-Pierre Richarté : « Oui, il y avait des barbelés devant les camions, qu’on a trouvé sur place, qui étaient là et qui avaient été laissés par pffffuf…., la mémoire me fait défaut, je ne sais pas si ce n’était pas des marsouins qui étaient là avant nous et qui eux, étaient habitués à faire du maintien de l’ordre, nous, ce n’était pas notre tasse de thé. Quand ça a tiré dans la ville, nous on n’était pas habitués aux échos, on entendait les coups de feu, on entendait les ricochés mais c’était très difficile de localiser les départs de coup et les attaques. On a eu zéro blessé chez nous, il n’y a pas eu, non plus de dégâts. Après de l’autre côté… les gens devant la poste …, moi j’ai vu les gens couchés parce que le médecin qui s’appelait Attali est venu me voir et m’a dit « j’ai besoin d’aller devant la Poste, tu me sers d’escorte.» Donc je l’ai escorté devant la poste, j’ai vu tous ces blessés qui baignaient dans leur sang, les gens étaient entassés les uns sur les autres, d’ailleurs sous leurs corps, au fur et à mesure qu’ils se levaient, il y avait d’autres gens couverts de sang mais qui n’étaient pas blessés, ils s’étaient couchés par terre pour se protéger et moi je suis pas resté longtemps parce que je ne voulais pas laisser mes hommes tous seuls, donc je suis resté cinq, six minutes peut-être, vous savez le temps passe vite, dans ces cas-là, vous voyez beaucoup de choses et je suis retourné auprès de mes hommes et après ça été fini, et après, on a plus parlé de cette histoire. »

Jean-Pierre Richarté : « Il y a eu une commission d’enquête, mais moi, on ne m’a jamais interrogé. Je pense que la commission d’enquête a dû s’arrêter au capitaine Ducretet, à la rigueur à Latournerie.

Simone Gautier : « Il est désigné comme étant plus loin quand même, dans une autre rue. »

Jean-Pierre Richarté : « C’est ce qu’on a dit mais moi je trouve bizarre qu’on ne l’ait pas vu. »

Simone Gautier : « Il y avait une raison pour laquelle il ne serait pas venu ? »

Jean-Pierre Richarté : « Ah je ne sais pas, je ne sais pas dire, c’était un ours. »

Simone Gautier : « C’est vrai qu’il est désagréable. »

Jean-Pierre Richarté : « Ducretet lui pourrait vous dire les ordres qu’il a reçus. »

Simone Gautier : « Je vais essayer. »

Jean-Pierre Richarté : Alors je vais quand même vous dire quelque chose que j’ai dite à Weber, à Christophe et qu’il n’a pas voulu retranscrire, dans l’armée quand un soldat fait une connerie, son supérieur immédiat est sanctionné tout de suite.

Simone Gautier : « Ah bon ? »

Jean-Pierre Richarté : « C’est la règle.  Cela a toujours été comme ça. »

Simone Gautier : « C’est le supérieur qui est sanctionné ? »

Jean-Pierre Richarté : « Toujours. »

Jean-Pierre Richarté : « Et la dernière histoire en date, c’est un sergent qui a martyrisé un noir en Côte d’Ivoire et c’est le général qui a démissionné

Simone Gautier : « Oh la …la. »

Jean-Pierre Richarté : « Qui a été sanctionné. Donc je dis que si la fusillade avait été involontaire, si ça avait été une bêtise du soldat, au moins le colonel, c’est-à-dire le colonel Goubard, aurait soit démissionné de lui-même, soit être démissionné par les pouvoirs publics or il n’a pas été démissionné, il a été nommé général et il s’est retrouvé à l’Ecole de Guerre. Il en partait lorsque j’y arrivais. Moi je suis arrivé je ne sais plus à quelle période en juillet je crois, non au mois d’août et lui est parti fin juin à la retraite. Donc on ne s’est pas parlé. »

Simone Gautier : « Et c’est le général Goubard qui a donné tous ses documents à Francine Dessaigne, qui s’en est servi pour écrire son livre « Un crime sans assassin. »

Jean-Pierre Richarté : « J’ai rencontré Francine Dessaigne à Paris avec Monsieur Tordjmann et elle a écrit une bêtise, elle a dit que j’avais été blessé, en fait je n’ai pas été blessé.

Simone Gautier : « Donc ce que je voulais vous faire préciser. Dans son documentaire, Christophe Weber parle d’une intime conviction, d’une instrumentalisation à la fois des tirailleurs et du public, qu’en pensez-vous ? »

Jean-Pierre Richarté : « C’est vrai, c’est vrai, moi je pense qu’il a raison et je le lui ai dit d’ailleurs, je lui ai dit que sur le moment je n’ai pas réalisé de la même façon, mais quand j’analyse tous les éléments, je me dis que c’était voulu. On ne draine pas à un endroit une population… »
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Interview de Jean-Pierre Richarté par Simone Gautier le 10/11/2012 à Auradou "Les Oliviers" dans le Lot et Garonne

 

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