7.8 - Rue d'ISLY - Place BUGEAUD

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

4 - GARE FLORENSAC Paul : les noms des victimes sont placardés dans la ville 

Ce lundi 26 mars, au moment d’interrompre mon travail à E.G.A pour aller déjeuner, un camarade de bureau me questionne :

« Vas-tu à la manifestation prévue à 15 heures à la Grande Poste » ?

« De quoi s’agit-i ? »

« Il est prévu qu’un cortège parte de la Grande Poste  à 15 heures pour aller vers Bab el Oued, par solidarité avec les habitants de ce quartier, bloqués depuis plusieurs jours par les forces de l’ordre. Tout doit se dérouler dans le calme. Cette manifestation doit être digne et pacifique. Les Anciens combattants ouvriront le cortège, drapeaux en tête ».

« D’accord, j’y serai ».

A 14 heures 30, je me trouve dans la rue Michelet. Une foule nombreuse est déjà là. Entre les Facs et le Plateau des Glières, des G.M.C. de l’Infanterie de marine canalisent les participants et les « Marsouins » nous laissent passer, détendus et souriants. Une jeune fille monte sur le marche pied d’un véhicule et fait la bise à un jeune militaire. L’ambiance est bonne enfant. Il fait un temps magnifique et les jeunes algéroises ont déjà revêtu leur robe de printemps.

Cahin-caha, en scandant les cinq syllabes « AL-GÉ-RIE—FRAN-ÇAISE. », nous nous trouvons devant la Grande Poste. Là, un bouchon se forme. Je me rends compte qu’il est dû à un barrage de tirailleurs qui bloque la rue d’Isly et l’accès à la rampe Bugeaud. Sous l’horloge, je me trouve en face d’une dizaine de militaires musulmans, en position « de tireurs à genoux », leur arme dirigée vers la foule. Je m’approche du Lieutenant « deux galons » qui se trouve près d’eux. Je m’adresse à lui, calmement : « Mon lieutenant savez-vous que vous prenez un gros risque en plaçant vos tirailleurs dans cette position ? Ne risquent-ils pas de perdre leur sang-froid devant cette foule, certes pacifique mais nombreuse et bruyante ? ». La voix étranglée par l’émotion, il touche du doigt le ruban de la Croix de la Valeur militaire que je porte à la boutonnière et me dit : « Je vois que vous avez connu le djebel, vous aussi. Je pense comme vous mais j’ai reçu des ordres, je vous en supplie, Monsieur, partez vite d’ici. »

Je rencontre à cet instant une jeune étudiante en Philosophie que je connais et je lui dis : « Ne restez pas là, l’atmosphère est tendu, il va y avoir de la casse ». La jeune fille disparaît. Nous sommes arrivés à la hauteur de la brasserie Novelty,  (Place Bugeaud S.G.) quand la première rafale déchire l’air. Je suis stupéfait, ce n’est pas possible. C’est un bidasse qui a dû laisser échapper son arme ! «  Quelques secondes plus tard c’est une énorme fusillade qui commence.

Mes dix huit mois de service militaire m’ont appris à reconnaître le bruit des armes. Il y a du fusil, du P.M., du F.M. Des balles sifflent au-dessus de nos têtes. Obéissant au réflexe du parfait combattant, je me précipite au sol. J’aperçois un Ancien Combattant dont la hampe du drapeau qu’il tient vient d’être coupée net par une rafale. L’homme crie : « Un balai, un manche à balai, pour mon drapeau ! ». D’une fenêtre d’un des immeubles de la rue d’Isly, on lui lance un mauvais morceau de bois rond qu’il fixe avec sa propre ceinture.

La fusillade fait rage. A l’occasion de tous les accrochages  auxquels il m’a été donné de participer, je n’ai jamais entendu une densité de feu aussi forte. Je prends la petite rue qui se trouve juste après le Novelty pour rejoindre la rampe Bugeaud. J’emprunte des escaliers couverts qui permettent d’atteindre la rue Colonna d’Ornano. Er là, je me trouve devant trois tirailleurs qui remontent les escaliers en hurlant : « Recule, M’sieur ! Fais demi-tour, va-t-en ! ». Je rebrousse mon chemin à reculons, continuant à leur faire face, tant je suis persuadé que leurs MAT 49 vont se mettre à cracher. Rien ne se passe et je me retrouve Rampe Bugeaud. De là, je regagne le boulevard Front de mer (le boulevard Carnot S.G.) et ce n’est que deux heures après que je me retrouve chez moi, rue Barnave. Là, l’affolement règne. On n’a pas de nouvelles de mon père qui s’est joint au cortège avec les Anciens Combattants. Mémé Depaule téléphone. Elle a entendu la fusillade de chez elle et demande si je suis rentré.

Nous habitons près de l’hôpital Mustapha et les sirènes des ambulances hurlent sans arrêt. Enfin, un coup de fil de ma mère : mon père a rejoint la rue Richelieu. Il est sain et sauf.
Je descends à l’hôpital où une chapelle ardente a été sommairement installée. Le spectacle est insoutenable. Des corps gisent sur des tables de marbre, recouverts d’un simple drap. Des familles arrivent, éplorées, cherchant l’être cher, soulevant chaque drap pour essayer de retrouver celui ou celle qui n’est pas rentré. Une fois, deux fois, trois fois. Rien. Quand ils reconnaissent enfin le visage du leur, ils se jettent sur le corps, en pleurs en posant la même question pourquoi ?

Des affichettes portant le nom des victimes sont placardées un peu partout dans la ville : contre les murs, sur les arbres, sur la porte d’entrée de l’hôpital. Je m’approche. Je découvre avec stupeur le nom de Jeannine Mesquida, l’épouse d’un de mes anciens collègues de l’école Lutaud. Ils étaient venus avec leurs quatre petites filles prendre l’apéritif à la maison, l’avant-veille. Je pénètre à nouveau dans la salle où sont allongées les victimes. Au bout d’un quart d’heure je découvre enfin le corps de notre amie, le visage extrêmement calme, un sourire figé à jamais sur ses lèvres légèrement crispées. Je suis bouleversé, je rentre chez moi en sanglotant.C’est fini. Tout est consommé.

Des larmes de sang viennent de sceller à jamais la déchirure entre la France et l’Algérie, la France qui vient d’assassiner froidement 80 de ses enfants qui ne faisaient que crier leur attachement à la patrie. Le ressort de l’Algérie française s’est cassé net cet après-midi. Les Français de ce pays viennent d’être condamnés à mort et exécutés pour avoir voulu rester français.Réflexion : Comment voulez-vous, après cette funeste journée du 26 mars 1962, que nous acceptions que la date du19 mars soit considérée comme la fin de la guerre d’Algérie.

Paul GARÉ-FLORENSAC

Témoignage paru dans « Trait d’Union » ?

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Il court jusqu’au Novelty place Bugeaud.
Il prend les escaliers juste après et descend jusqu'à la rue Colonel Colonna d'Ornano (en bleu).
Il rebrousse chemin vers le boulevard Bugeaud et finit par descendre sur le boulevard Carnot (en bleu)
(front de mer) pour remonter jusque chez lui rue Barnave

 

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Il remonte jusque chez lui, rue Barnave - en rose sur le plan
proche de l'hôpital Mustapha n° 8 sur le plan - coloré en rose

 

Des affichettes portant le nom des Victimes sont placardées partout dans la Ville:
Contre les murs, sur les Arbres, sur la porte d'entrée de l'Hôpital. Je m'approche. Je découvre avec stupeur le nom de Jeannine Mesquida.
(Tous mes Remerciements à Françoise MESQUIDA - Simone GAUTIER)


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islynovelty 

Le Novelty face à la statue du général Bugeaud

 

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