7.5 - Entrée de la Rue d'Isly

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

1 - Plan du début de la Rue d'Isly

2 - DUZER Émile- "allez tirez sur les chrétiens"

3 - Marie Thérèse : l’horreur est venue après 

4 - Colette et Gilbert SANS pour Michelle TORRES

- 10 mars 2012 :  "
Un jeune sous -officier  nous crie, éloignez vous, j'ai ordre de faire tirer!"              
...  "Michelle reste au sol, foudroyée par une balle dans le dos" 
  

- 1er juin 2016 : "Sa maman qui perdra bientôt la raison, a voulu habiller sa fille de sa robe blanche prévue pour ses fiançailles quelques jours plus tard".
"Michelle sera enterrée le lendemain sans sa famille, sans ses amis"

 

 

 

1 - Plan du début de la Rue d'Isly

 

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En rouge la Grande Poste
Le boulevard Laferrière passe devant les marches de la Grande Poste et donne accès sur la droite au boulevard Bugeaud fermé par les militaires et barbelés et sur la gauche à l’entrée de la rue d'Isly
. Le public afflue pour s’engouffrer dans la rue d'Isly

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plateau des glieres1


Le public afflue par la rue Charles Péguy et le boulevard Laferrière qui monte, passe devant les marches de la Grande Poste, traverse le carrefour du Plateau des Glières et continue de monter vers le Gouvernement Général, puis par le chemin des 7 Merveilles jusqu'aux Tagarins.

En face : à droite le boulevard  Bugeaud, fermé par des militaires et des barbelés et à gauche l'entrée dans la rue d'Isly derrière les trolleybus


VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants  

2 - DUZER Émile- "allez tirez sur les chrétiens" 

A l’entrée de la rue d’Isly, un groupe de soldats manifestaient de la nervosité.
Composé de huit ou dix musulmans et de deux Français, commandés par un lieutenant, il était d’abord disposé en travers de la rue d’Isly en face du café, le Derby, sans essayer de contenir la foule qui marchait vers la place Bugeaud.

Le lieutenant paraissait désorienté et inquiet. A un douanier excité qui le prenait à partie, il répondait « laissez-moi, je ne peux être partout à la fois ». À d’autres, il disait, « Passez vite et partez ».

Ses hommes, agités, quittaient le milieu de la rue et se réunissaient sur le trottoir devant la pharmacie Carcassonne. Pour qu’ils ne tirent pas, un soldat français et un soldat musulman, relevaient en l’air avec la main le canon des mitraillettes que les autres tenaient braqués horizontalement vers les passants. Il devenait évident que ces hommes, ayant l’allure et le parler des bergers primitifs de la montagne algérienne, allaient tirer.

Soudain l’un d’eux dit en arabe, « allez, tirez sur les Chrétiens » et un autre « on nous a dit, tirez sur les Chrétiens ».

J’ai crié aussitôt « ils veulent tirer, sauvez-vous ».

Émile DUZER Colonel des Affaires musulmanes, en retraite.

 

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

3 - Marie Thérèse : l’horreur est venue après 

Le 26 mars 1962, j’avais 19 ans.

Je me trouvais à la Grande Poste avec ma mère qui ne m’aurait pas lâchée d’un pouce. Il y avait beaucoup de gens qui arrivaient de toutes les rues. Il y avait aussi beaucoup de soldats qui avaient de sales têtes et des sourires au coin des lèvres.

Je voulais continuer et monter au Gouvernement Général mais ma mère m’a dit « non », il ne faut pas, ce n’est pas comme d’habitude…et puis tout d’un coup il y a eu une bousculade et des cris. Ma mère affolée me tirait par le bras et c’est à ce moment-là qu’il y a eu les premiers coups de feu.

J’ai encore dans les oreilles les cris d’une personne qui criait à un lieutenant je crois « je vous en prie, faites cesser le feu ». Cette phrase je ne l’oublierai jamais.

Pendant que nous nous sauvions jusqu’à l’immeuble où il y avait la pharmacie du Soleil, pour y entrer et nous mettre à l’abri, comme beaucoup d’autres, les tirs crépitaient toujours. Ce jour-là nous avons eu un Bon Dieu pour nous. Mais l’horreur est venue après, lorsque nous sommes sorties : une vision horrible.., des morts, des blessés, du sang...

Nous habitions au 1 du boulevard Bugeaud, face à l’hôtel Aletti. Je n’ai jamais trouvé le chemin si long.

Notre voisin qui habitait au-dessus de chez nous et qui était policier ou militaire, je ne m’en souviens plus, (il était métropolitain et il n’y avait pas longtemps qu’il était en Algérie avec sa femme et ses enfants) nous a dit qu’il y avait des Musulmans dans les soldats avec les Français et c’était eux qui avaient ouvert le feu. Pourtant nous partions pacifiquement, les manifestants n’étaient pas armés, l’OAS n’était pas parmi eux non plus, nous voulions seulement faire lever le blocus de Bâb el Oued.

Marie-Thérèse de Marseille.
(Ne souhaite pas communiquer ses coordonnées.)


"B" Hôtel ALETTI donnant sur la rue LELLUCH, où habitait Marie-Thérèse.
N° 12 Hôtel de Ville
N°24 Préfecture

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Marie-Thérèse et sa mère se sont réfugiées dans l'immeuble où se trouvait la pharmacie du Soleil  X

 

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Elles habitaient au 1 du boulevard Bugeaud face à l'hôtel Aletti B

 


VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

 

4 - Colette et Gilbert SANS

"Un jeune sous -officier  nous crie : éloignez vous, j'ai ordre de faire tirer!"              
...  "Michelle reste au sol, foudroyée par une balle dans le dos"  

Chère Madame,

 Comme promis à Valence mon mari  vous adresse son témoignage.

 "En ce début d'après-midi de ce sinistre 26 Mars 1962, les Algérois ont convergé vers le carrefour de la Grande Poste dans le  but de marcher pacifiquement vers Bâb-el-Oued. Ce quartier était bouclé par les forces de l'ordre: 40.00 habitants soumis aux perquisitions et aux brimades.

Nous voulions les ravitailler et secourir leurs blessés. Depuis quatre jours, les hommes de 16 à 60 ans étaient amenés dans les camps pour  "vérifications".

Notre petit groupe arrivait d'Hussein-Dey. Les barrages militaires nous laissaient passer, souvent plaisantant avec nos jeunes.

Il est quinze heures lorsque nous franchissons un dernier barrage devant le Crédit Foncier. Entouré de tirailleurs musulmans fortement armés et visiblement apeurés, un jeune Sous-Officier  nous crie "éloignez vous, j'ai ordre de faire tirer !".

La foule est dense, nous sommes tous épaule contre épaule et soudain  les rafales nous fauchent. D'instinct, nous nous jetons au sol. Je murmure à mes voisins "ne bougez plus, ils vont arrêter de tirer". Mais ça dure, et ça dure !  J'entends même des  changements de chargeurs...

Halte au feu ! " Mon Lieutenant, halte au feu ! "crient des hommes près de nous. Enfin tombe un lourd silence et c'est la désolation: sur toute la chaussée, des chaussures, des bouteilles de lait cassées, des couffins de nourriture, et des corps qui ne se relèvent pas.

Il me faut chercher mes deux belles sœurs et le reste de notre groupe.

De ce groupe dispersé dans les immeubles (tous ont ouvert pour nous abriter), il manque Michelle TORRES 2O  ans. Une balle dans le dos l'a foudroyée. Nous la transportons dans un appartement. Monsieur TORRES, son papa et Georges son frère ne veulent pas la laisser partir à la morgue par camions militaires.

De tous les véhicules arrivés sur les lieux, un fourgon civil bleu sombre accepte de nous transporter à Hussein-Dey, chez ses parents et grands parents. Nous sommes huit au total qui ramenons Michelle à sa maman.

Les obsèques auront lieu quelques jours plus tard.
Deux personnes (le papa et le grand père) seront autorisées à accompagner Michelle (ordre du Préfet).

Tout Hussein-Dey baissera ses volets sur le trajet du cimetière.

Le Samedi suivant elle devait  fêter ses 20 ans et ses fiançailles.

A Alger, les gerbes déposées dans la journée pour le recueillement sur les lieux du drame, seront systématiquement enlevées pendant le couvre-feu. Il fallait casser la population... Dès le lendemain, l'exode commençait.

Non recensée parmi les morts de la morgue, Michelle a son  nom sur les colonnes du Mémorial du Quai Branly.

Sa sépulture est désormais dans un cimetière parisien.

Sa maman a perdu la raison.

Que tous nos martyrs reposent en Paix.

Colette et Gilbert SANS - Valence Samedi 10 mars 2012

P.S. Merci Simone pour ce que vous faites, et pour ce DVD du 26 mars que j'ai ramené pour nos petits enfants

1er juin 2016  Colette et Gilbert SANS

"Sa maman qui perdra bientôt la raison, a voulu habiller sa fille de sa robe blanche prévue pour ses fiançailles quelques jours plus tard".
"Michelle sera enterrée le lendemain sans sa famille, sans ses amis".
 

 

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Michelle TORRES

Portant Michelle, à gauche, Gilbert Sans, ami de la famille, auteur du témoignage.
Derrière les deux hommes qui portent Michelle, complètement à droite, le frère de Michelle
A côté de lui, l'homme qui hurle est Georges Torres, le père de Michelle
Le visage de femme qui apparait au fond est Danièle Torres, la sœur de Michelle
Le visage de femme qui apparait sous la main de Michelle Torres est Maguy, une amie de Michelle, belle-sœur de Colette Sans

5 juillet 2018 - Gilbert et Colette Sans
Chère Simone
Bonne réception de la photo ainsi légendée.
Les deux garçons qui m'aident sont des amis, nous étions tous en groupe.
Nous allons nous abriter dans un immeuble pour soustraire Michelle à la morgue. Un fourgon bienveillant  acceptera de nous amener dans la famille à Hussein-Dey. Ensuite, nous les hommes, nous viendrons à l'hôpital Mustapha donner notre sang, il y a plus de 200 blessés ...
L'Histoire dans 50 ans, témoignera !
Toute ma sympathie, chère Simone et nos encouragements
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Paru dans le Journal d'Alger le 28 mars 1962

Dans la plus stricte intimité sur ordre des autorités

Les premières victimes de la fusillade du 26 mars ont été inhumées hier.

Les premières obsèques des victimes de la fusillade de lundi dernier se sont déroulées hier dans la plus stricte intimité, sur ordre des autorités, dans le souci d'éviter tout nouvel incident. Cinq personnes ont été inhumées hier matin, il s'agit de :

- Fernand GERBY qui a été enterré à huit heures trente au cimetière du boulevard Bru
- Guy MAZARD, CIAVALDINI Charly et Albert BLUMHOFER qui ont été successivement conduit entre neuf heures et dix heure trente, au cimetière d'El Alia
- Michelle TORRES qui a été inhumée à dix heures au cimetière d'Hussein-Dey.

Dans le courant de l'après-midi, deux autres personnes ont été transportées jusqu'à leur dernière demeure :

- Jacques INNOCENTI qui a été inhumé au cimetière du boulevard Bru et Marcel FABRE dont la dépouille mortelle a été conduite à Birtouta.

Par ailleurs les corps de Philippe GAUTIER et de Roger MOMPO ont été mis en bière, hier après-midi, à dix sept heures, en attendant d'être transférés en Métropole où auront lieu les obsèques.

Aujourd'hui d'autres victimes de la fusillade du 26 mars seront enterrées. Les cérémonies s'échelonneront certainement sur plusieurs jours encore.

Les dépouilles mortelles des victimes européennes de la fusillade du 26 mars qui se trouvaient à la morgue de l'hôpital civil de Mustapha, ont toutes été transportées par camions militaires au cimetière de Saint Eugène et d'Hussein-Dey où auront lieu les inhumations.

Les transports des corps s'est effectué hors la présence des familles, hier soir, entre 21 et 23 heures.

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Bonjour Madame,


Il y a 4 ans, j'ai écrit un livre-récit de mes souvenirs d'enfance à Alger et Hussein-Dey essentiellement.

Mon père était très ami avec Monsieur Georges Torrès. Danielle et Michelle étaient des amies de ma sœur Michèle (décédée aujourd'hui) un peu moins pour moi car j'ai 4 ans de moins et à l'époque, pour moi, c'étaient des "grandes filles". Dans mon récit j'évoque rapidement le souvenir de Monsieur Torrès et de Michelle.

J'écris:

"Papa a pris avec lui sa Rétinette Kodak et sa caméra. Il filme à l'occasion quelques scènes de famille. Il a découvert dès 1953 le cinéma amateur grâce à un ami, monsieur Torrès, qui lui a prêté une caméra. Ce même monsieur Torrès qui, le 26 mars 1962, perdra sa fille Michelle, âgée de vingt ans, tuée par les balles de militaires français, au cours de la fusillade de la rue d'Isly à Alger."

Nous avons été évidemment très touchés par ce décès. Mon père rencontrera d'ailleurs l'été 62 ou 63 (je ne me souviens plus) à Marseille le grand-père de Michelle...Je viens de lire votre blog très documenté et j'apprécie les témoignages directs.

J'aurais aimé, si c'est possible, avoir l'autorisation de vous emprunter la photo et certaines parties du long témoignage de Colette et Gilbert SANS au sujet de la mort de cette amie, afin d'écrire un petit hommage à son sujet.

Bien entendu, je noterai l'origine de la photo (est-ce une photo qui vous est personnelle?) et des infos que je pourrai reprendre si vous m'en donnez l'autorisation (et donnerai la référence de votre site).

Par avance, je vous remercie.

Je vous prie de recevoir, Madame, l'expression de mes meilleures salutations.

Pierre-Jean Cardona
Juillet 2018

http://38ruedeconstantine.blogspot.com/ 

 

 

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