7.3 - Plateau des Glières - Grande Poste

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

1 - Plan du quartier : Carrefour entre les rues Michelet - Peguy - Isly - Boulevard Laferrière - Rampe Bugeaud

2 - ALCAYDE Gilbert : Pourquoi ?

3 - CAVAILLE Alain : cette mitrailleuse sur le toit du G.G., N-NE, c'était bien pour prendre tout le secteur en enfilade

4 - EZEMAR Pierre - la foule grossit, nous avons du mal à avancer

5 - GOSSELIN Marie-Thérèse : je les remercie du fond du coeur

6 - SALERIO Michèle : "Michèle, ma chérie, excuse-moi, je ne peux te parler très longtemps, ils nous tirent dessus..."

7 - FIORETTI - Michel 29 10 2018 - : "J'ai 74 ans aujourd'hui. J'étais avec Charles Ciavaldini ..." 

 

1 - Plan du quartier : Carrefour entre les rues Michelet - Peguy - Isly - Boulevard Laferrière - Rampe Bugeaud

En bleu, principaux itinéraires des manifestants
De A à M emplacement des troupes
°°°°  Barrages sans obstacle, les manifestants avancent

**** Barrages avec obstacle, la foule se trouve canalisée sur le Plateau des Glières. Seule possibilité pour avancer, s'engouffrer dans la rue d'Isly où les obstacles sont constitués de quelques barbelés et un petit groupe de tirailleurs


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Ci-dessous :

En vert les rues qui arrivent au plateau des Glières et qui débouchent sur le boulevard Laferrière. En vert également, la rue Michelet qui se prolonge par la rue Charles Peguy et qui aboutissent sur le Plateau des Glières.
En rouge les rues interdites : Isly - Bugeaud - Lelluch - boulevard Carnot. Ces rues sont parallèles
59 : l'Université - 54 Lycée Delacroix - 3 le Gouvernement Général - 23 Commissariat de Police - 14 Maison de l'Agriculture - 57 Maison des étudiants - 10 La Grande Poste (le rond rouge) - 24 Préfecture - 12 Nouvel Hôtel de Ville.

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

2 - ALCAYDE Gilbert : Pourquoi ? 

Alger - 26 mars 1962 – rue d’Isly

POURQUOI ?

Je faisais partie d’un des petits groupes de civils qui, vers 13 heures 30, descendaient la rue Michelet en direction de la place de la Grande Poste. Des troupes en armes stationnaient à l’entrée du tunnel des Facultés, du côté du boulevard Saint Saëns.

La mise en place d’une nasse

Devant l’université, occupée par l’armée, un groupe de militaires sous les ordres d’un commandant, barrait la rue à hauteur du grand portail menant à la bibliothèque des facultés : des fils de fer barbelés ne laissaient qu’un passage étroit le long du mur opposé. Une jeune femme qui remontait la rue se fit refouler par l’officier qui disait avoir reçu des ordres pour interdire la circulation dans ce sens ; l’intéressée protesta, affirmant qu’elle était sortie pour se procurer du lait (elle en avait deux boîtes dans son filet) et qu’elle rentrait chez elle où elle avait laissé pour quelques instants son bébé tout seul. Après une vive discussion entre l’officier et les civils présents, elle fut autorisée à franchir le barrage.

Un peu plus bas, devant le « Coq Hardi », un autre groupe de soldats commandé par un capitaine de l’infanterie coloniale stationnait le long du mur de la brasserie ; je m’entretins un moment avec celui-ci qui me fit part de son inquiétude en ajoutant : « On envoie les gens dans une véritable nasse, je crains le pire ».

Sur la place de la poste, la foule était très dense et il n’était guère possible d’avancer. Ce n’est qu’après l’annonce de l’ouverture du barrage mis en place par l’armée, à l’entrée de la rue d’Isly que la foule put progressivement s’écouler en direction du square Bresson. Le plus gros du cortège étant passé, je m’apprêtais à m’engager dans la rue d’Isly, lorsque des hommes de troupe, tous musulmans, reformèrent le barrage. Ils étaient visiblement très tendus et leurs visages étaient blêmes ; les civils toujours calmes tentaient de les convaincre de les laisser circuler.

Soudain, les militaires abaissèrent transversalement leurs fusils pour barrer totalement le passage. Quelques discussions, dénuées de toute agressivité eurent lieu puis, sans motif apparent, l’un des tirailleurs dont je n’étais séparé que par deux ou trois mètres, redressa son arme et fit feu en l’air. Dans les secondes qui suivirent d’autres armes individuelles tirèrent, puis les armes collectives (fusils mitrailleurs vraisemblablement ou mitrailleuses légères) entrèrent en action. Je n’ai pas vu ces dernières mais, compte tenu de ma position, elles ne pouvaient se trouver qu’à l’angle de l’avenue Pasteur et de la rue d’Isly et elles tiraient en direction de la Poste et du square Viviani.

Gilbert Alcayde

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

3 - CAVAILLE Alain : cette mitrailleuse sur le toit du G.G., N-NE, c'était bien pour prendre tout le secteur en enfilade

Je veux ici témoigner de ce que j’ai pu observer dans la matinée du 26 mars 1962.

Nous avions été avertis qu’une manifestation de « soutien moral » devait avoir lieu en tout début d’après-midi. Bien entendu, nous nous préparions à y participer, quand mon père m’appela. Il me passa ses jumelles (des Zeiss à fort grossissement) et me dit de bien regarder la partie nord du toit.

Nous habitions au 1 bis de la rue Michelet, au troisième étage. De là, il y avait une vue bien dégagée vers le Gouvernement Général – le « G.G. ». Pour mon père qui avait fait toute la guerre, il sautait aux yeux et même aux yeux de n’importe qui, comme moi, qu’un groupe de soldats s’affairait autour d’une mitrailleuse de gros calibre, vraisemblablement une 12/7 car elle était plus grosse qu’FM 24/29. Mon père était Lieutenant de cavalerie et avait servi en Tunisie et ensuite au débarquement de Provence puis en Alsace jusqu’ à Noël 1944 où il fut gravement blessé. Il n’était pas du genre à fanfaronner, mais plutôt à se taire. Mais cette fois il me dit : « Ils sont en train de préparer un coup. N’y allez pas ».

C’est pour cela que je vous ai demandé certaines photos, pour bien vérifier les angles de tir, principalement de la rue Charles Péguy, au début de la rue d’Isly donc la Grande Poste et même au-delà. Cette mitrailleuse sur le toit du GG, côté N – NE, c’était bien pour prendre en enfilade tout le secteur.

Malheureusement, mon jeune frère céda aux pressions d’un camarade et prit sur lui de descendre. Un moment plus tard, alors qu’il se trouvait au débouché de la rue Charles Péguy et déjà engagé sur la place, les tirs commencèrent. Je me trouvais au 19 boulevard Baudin, chez mon oncle Pierre Cavaillé lorsque ma mère, complètement affolée, m’appela pour me dire : « François est parti, il faut le ramener ! ». Je suis parti en courant, en empruntant la rue Jean Rameau puis les escaliers montant rue Charras et depuis la boulangerie Trollet, j’ai enfilé la rue Charles Péguy vers la Grande Poste. J’avais 20 ans et mon frère 15, et à cet âge-là, n’importe quel garçon devenait très vite fou.

Je revois cette scène comme un film au ralenti. Ca tirait de toutes parts mais je ne pouvais encore déterminer d’où cela venait. Les gens s’enfuyaient de partout, la plupart refluant vers la rue Michelet, donc en sens inverse de moi. J’ai bien vu quelques personnes à terre. Je vis, comme dans une sorte de rêve, un homme atteint en pleine tête, qui explosa. J’ai compris lorsque j’ai vu cette scène qu’il devait s’agir d’une arme de gros calibre. Des gens hurlaient à mon intention essayant de me faire comprendre qu’il fallait me planquer. Moi j’étais totalement hystérique. Je voyais bien que les gens tombaient comme des mouches, mais il fallait que j’y aille. De fait, totalement fou, je continuais d’avancer et je me souviens que je hurlais : « une arme, donnez-moi une arme », ce qui était le fait d’une véritable débilité mentale ! Arrivé tout au bout de la rue Charles Péguy, je ne pouvais que voir qu’il se trouvait des tas de gens à terre, partout, et entendre une fusillade nourrie. Je gueulais et pleurais en même temps car je savais que mon frère était quelque part dans ce merdier.

A partir de là, un homme qui a eu la présence d’esprit, et surtout le courage de sortir de son abri, courut vers moi pour m’attraper et me forcer à entrer dans un hall d’immeuble, sans doute le dernier côté sud. Je n’ai plus rien vu. Personnellement je n’ai pas fait attention à des soldats. Je ne voyais qu’une sorte de « champ de bataille » avec de la fumée, des gens qui couraient et beaucoup de gens à terre.

Quant à mon frère, c’est mon cousin Emmanuel Ricci qui est venu le chercher. François avait 15 ans et « Manou » réussit à le convaincre de se mêler à la manifestation. Ce n’est qu’après que j’ai pu avoir en détails ce qu’il avait fait. Il en ressort qu’il se trouva séparé de notre cousin et qu’il était alors près de l’arrêt du tram. Il me dit, comme pour moi, finalement, c’est un homme qui l’a fait se coucher par terre contre la bordure d’un trottoir. Beaucoup de gens s’abritaient ainsi, et bien sûr, ce n’était pas une protection très efficace. Du reste, il raconta que cet homme avait pris une balle à sa place. Blessé ou mort, il n’en sait rien.

En revanche, l’un comme l’autre, nous eûmes l’impression que cette fusillade dura très longtemps, car même depuis le boulevard Baudin, donc avant le coup de fil de ma mère, on avait commencé à entendre des coups de feu et même les premières sirènes d’ambulance. Pour son cheminement, il ne l’a pas précisé, mais depuis le bis de la rue Michelet, juste en face de l’ « Automatic ». En tout cas, il était plus loin que je ne l’étais, puisqu’il était à l’arrêt du tram.

Etrangement, quand enfin je pus rentrer chez nous, il venait d’arriver. C’est son calme qui fut stupéfiant. Un gosse de 15 ans … alors que moi, je tremblais encore de tous mes membres, complètement traumatisé par la vision de ces gens qui s’abattaient autour de moi, de tout ce sang par terre …

Ce n’est pas mon aventure que je veux mettre en avant. Bien d’autres l’ont vécue et ne sont pas revenus. Mon témoignage signifie bel et bien qu’il s’agissait d’une embuscade bien préparée. Je suis prêt à témoigner sous serment.

Alain CAVALLE - 02 avril 2014

 

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1 bis Rue Michelet à Alger

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A droite Lycée Delacroix puis les Facultés.
A gauche au 1er étage Appartement André WAROT, au 3ème Appartement Maurice CAVAILLE et Maurice WAROT, au 4ème Appartment de Jacqueline Le Goff.

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 Obervation des faits depuis cette fenêtre

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En rouge, parcours d'Alain
En bleu, parcours de François
En vert Obervation

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En jaune, zone de tirs possibles pour une mitrailleuse installée sur la terrasse du Gouvernement Général (batiment N°3 sur le plan)
Au N° 10, La Grande Poste

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Cérémonie du 26 mars 1962 commémorée à Saint SEURIN sur L'ISLE le 26 mars 2016.
Au moment de terminer, je suis allé faire deux gros gros baisers à Anne CAZAL et une fraternelle accolade avec Alain AVELIN, que j'aime beaucoup.
Bien entendu, impossible de prononcer une seule parole, donc je me suis sauvé immédiatement.
Chaque fois je m'en veux....mais dire QUOI ?
On a tout dit, et nous pensons et éprouvons TOUS les mêmes choses.
Pour revenir à vous, à votre site :

Mon frère m'a appris avant-hier qu'il avait vu également des soldats avec FM sur les toits des facultés et ceux du lycée Delacroix, prenant ainsi la rue Charles Péguy en enfilade.
Cela, je ne le savais pas, mais explique pourquoi j'avais vu un type à côté de moi se faire exploser la cervelle, car étant au débouché de la rue il ne pouvait être pris depuis le GG.


Dommage qu'à l'époque personne n'ait pu étudier la balistique des impacts et les calibres.
Ce qui est étrange, c'est que chacun de nous n'a retenu que des séquences très courtes, des flashes.
Impossible de faire un film. De plus, on se déplaçait. François me disait qu'il voyait les vitrines tomber sur les gens, mais c'est devant les premières marches de la poste que quelqu'un l'a poussé à terre et s'est couché à côté.


Est-ce qu'il a reflué du début d'Isly vers la poste ?....il ne s'en souvient pas.

Trois flashes : les vitrines, l'homme le jetant à terre, puis en se relevant, cet homme toujours à terre...paniqué, blessé, mort ???

Moi, arrivant de la boulangerie Trollet, je me vois courant à toutes jambes vers la poste en hurlant "une arme, donnez-moi une arme"...débile,

Second flash, un crâne qui explose à côté de moi, je cours, j'entends le bruit d'une grosse fusillade, comme si elle emplissait la rue, j'entends des gens hurler vers moi alors que je vais déboucher sur la place, enfin je me sens attrapé et emmené vers une entrée d'immeuble.


Ce que l'on retient surtout, c'est cet affolement partout, mais aussi ces victimes TOUT AUTOUR de la place.

Cela, à mon sens, démontre bien un encerclement prémédité, car si des tirs de mitraillettes ou de fusils étaient du simple fait de la troupe, celle-ci n'était pas AUTOUR des gens, sinon
plutôt au début d'Isly...elle n'aurait pu atteindre Charles Péguy et surtout faire un tel carnage....
Tout cela est trop loin, et il n'y aura jamais d'enquête !

 


VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

4 - EZEMAR Pierre - la foule grossit, nous avons du mal à avancer 

Guy MAZARD était mon frère ou du moins je le considérais comme tel. Lui aussi était très près de moi. J’étais le cousin germain, fils unique à qui des frères et des sœurs manquaient beaucoup. Il était mon aîné de 4 ans, mais peu importait, nous étions très complices, toujours dans la bonne humeur et vivant séparément nous n’avions pas le temps de nous disputer. Nous nous retrouvions très souvent pour des sorties, des virées et surtout l’été pour des parties de pêche Mémorables

Nous partagions le même amour de notre mer Méditerranée, bénie des dieux, sous ce ciel d’Algérie, de notre pays natal et de notre ville ALGER, la plus belle du monde ! Nous étions libérés de nos obligations militaires. Nous avions tous les deux effectué une trentaine de mois de service en Algérie. Nous assistions impuissants depuis mai 58, alors que la guerre était gagnée, à la dégradation de la situation voulue politiquement et par tous les moyens. Le chef de la France,en avait décidé ainsi, reniant ses engagements et voulant donner l’indépendance à nos départements français d’Algérie, quoiqu’il arrive et même en bombardant le quartier populaire de Bâb el Oued qu’on avait coupé du reste d’Alger.

Une manifestation pacifique avait été décidée pour porter secours aux braves habitants de Bâb-el-Oued, littéralement assiégés et coupés de tout ravitaillement. Rendez-vous avait été donné aux manifestants, ce lundi 26 mars 1962 à 14 heures devant la Grande Poste. Guy et moi avions convenu de nous retrouver avant 14 heures au carrefour de la rue Monge et de la rue Michelet à 200 mètres de la Grande Poste. J’avais également donné rendez-vous à un ami, Jean DANIELE. A deux heures Guy est là, mais pas de Jean. Guy ayant rencontré d’autres amis me laisse attendre Jean et il continue d’avancer vers la Grande Poste. Vers deux heures quinze je vois arriver Jean retardé par des barrages et nous nous dirigeons vers la Grande Poste. Mais durant ce quart d’heure la foule a grossi énormément et nous avons du mal à avancer. Tant pis, nous sommes là, dans la foule, faisant nombre et témoignant de notre solidarité. La foule grossit de plus en plus, nous nous serrons les coudes tout en discutant. Il n’est plus possible de progresser. Tout à coup, à trois heures moins dix, la fusillade éclate, les balles sifflent de tous côtés, les gens s’enfuient, se couchent sur le sol, se mettent à l’abri derrière les arbres, les voitures, les entrées d’immeubles. Je perds Jean de vue. Je suis dans l’entrée d’un immeuble, près du « Coq Hardi ». La fusillade n’en finit pas, cinq minutes, dix, un quart d’heure puis s’arrête et c’est le tour des sirènes de police d’abord, puis des ambulances. J’attends que cela se calme un peu, je jette un coup d’œil dans la rue. Les gens refluent vers le haut de la rue Michelet. Je leur emboite le pas et m’arrête de temps en temps pour avoir des informations, savoir ce qu’il s’est passé. « Ils ont tiré, il y a beaucoup de morts et de blessés ».

Comprenant tout de suite la gravité de la situation, je décide de prévenir ma mère qui doit s’inquiéter car le téléphone arabe a du fonctionner. « Ah mon fils Guy a été blessé, passe rue Courbet pour avoir des nouvelles, je n’arrive pas à les joindre. Je suis encore loin de la rue Courbet et je remonte lentement la rue Michelet parmi des gens tous timides ou apeurés ou furieux. J’arrive à la hauteur de la rue Hoche et m’y engage, à l’écart de la foule pour descendre vers la rue Courbet. Il doit être seize heures trente ou dix sept heures.. Arrivé à vingt mètres de la place Hoche, je vois arriver vers moi un de mes meilleurs amis, René CAPO, en pleurs ; il me serre dans ses bras et m’annonce l’affreuse nouvelle : « Ton cousin est mort, je viens de chez lui ». Je réalise instantanément que ses larmes et mes miennes ont une double signification. Je viens de perdre mon cher cousin et mon cher pays.

Fait à Aucanville,(31), 39 chemin des Bourdettes, le 29 avril 2007
Pierre EZEMAR né le 5 octobre 1937 à Alger.

P.S. Les expressions soulignées  en gras sont de leur auteur, le président de la République de l'époque

 

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Photo Paris Match - les marches de la Grande Poste où devait se trouver Guy Mazard.

 

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

5 - GOSSELIN Marie-Thérèse : je les remercie du fond du coeur 

Bien chère Madame,

Nous habitions à El Biar, près de l’auberge du « Cheval blanc ».

Mon mari et moi, sommes descendus à Alger pour participer à la manifestation en faveur des gens de Bab el Oued. Nous nous trouvions dans la rue Michelet lorsqu’un cordon de militaires nous a barré le passage vers la rue d’Isly. Ils ne nous ont pas laissé passer malgré notre insistance. Pour notre bonheur, ces militaires qui barraient le passage, ne nous ont pas laissé passer ! C’étaient des militaires du contingent, tous des « métros ».

Sans leur barrage nous aurions subi le même sort que tous les autres. Je les remercie du fond du cœur. Je me souviens toujours des quelques paroles que le gradé, qui commandait ces militaires, nous a dites, à ce moment, avec beaucoup de tristesse dans la voix : « rentrez chez vous, ne restez pas là ».

Quelques instants plus tard nous avons entendu les rafales des mitrailleuses et des bombes lacrymogènes nous ont fait reculer jusque dans les cages d’escaliers des immeubles. Quand nous sommes sortis de ces immeubles, nous avons appris ce qui c’était passé de l’autre côté de la place de la grande Poste.

Le cordon militaire était toujours au même endroit et maintenait fermement le barrage. Sur le moment nous étions très en colère envers eux, mais avec le recul, je les remercie car sans leur fermeté, et surtout sans celle de leur gradé, nous aurions peut-être subi le même sort que nos compatriotes qui se trouvaient rue d’Isly.

Nous sommes rentrés chez nous et après cette journée plus rien n’a été comme avant.

Nous avons quitté El Biar et nous sommes allés chez des amis à Maison Carrée car nous ne pouvions plus rester chez nous pour des raisons de sécurité.

Le 19 juin, nous avons quitté Alger par bateau, le « Cambodge ».

Marie Thérèse GOSSELIN
Nouvelle Calédonie.

Voir le témoignage de son mari : ICI

 

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Marie-Thérèse quitte El Biar pour se rendre à la Grande Poste en empruntant la rue Michelet. Tout au long de la rue, se trouvaient des barrages établis par des militaires, dissuadant les manifestants de poursuivre leur chemin.

 


VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

6 - SALERIO Michèle : "Michèle, ma chérie, excuse-moi, je ne peux te parler très longtemps, ils nous tirent dessus..."

« Michèle, ma chérie, excuse-moi, je ne peux te parler très longtemps, ils nous tirent dessus … … On essaie de se protéger sous des matelas ! »

Cet appel téléphonique, dramatiquement court et pour cause, échangé avec ma tante Hélène, (qui vivait alors avec sa petite famille chez ses parents -mes grands-parents, rue Livingstone, à Bâb el Oued), fut déterminant sur ma décision.

Je décidai donc de me rendre à la manifestation pacifique du 26 Mars qui devait se dérouler jusqu’aux portes de Bâb-El-Oued encerclé par les forces de l’ordre. Cela en dépit des réticences paternelles, et indignée par les provocations de Christian Fouchet, Haut-Commissaire de France, conseillant à la population algéroise par des communiqués diffusés à longueur de journée sur les ondes, de ne pas se rendre à cette manifestation. J’avais pu convaincre une de mes amies (ancienne élève, comme moi, du lycée Delacroix) de m’accompagner. Nous avions rendez-vous chez elle, à 15heures. Elle habitait au bas de l’Avenue Pasteur, dans une petite rue adjacente, à une centaine de mètres de la Grande Poste. Je n’ai jamais pu la rejoindre.

Après le parcours rue Daguerre – rue d’El Biar – et arrivée boulevard Saint Saëns, je franchis sans problème le premier barrage composé de jeunes soldats calmes et plutôt bienveillants. Ils ne me semblent pas vraiment concernés par l’évènement. Je marche vite, il n’est que 14h 30 et je ne veux pas arriver chez Eve-Marie, avant l’heure convenue. Ces barrages, ces militaires armés, d’un côté et de l’autre, la foule, grave ou débonnaire, en tout cas innocente, voire inconsciente, commencent à faire naître en moi un sentiment d’irrépressible angoisse, prémonitoire de ce qui va se produire 15 minutes plus tard.

Pourtant je me dirige vers le Boulevard Baudin où je croise, Madame Cazaillous et deux de ses filles Jacqueline et Annie. Nous échangeons quelques mots et sourires de connivence. Elles sont mes voisines. Elles habitent presque en face de l’école de la rue Daguerre au 11. J’habite à l’école, au 14. Elles se dirigent vers le plateau des Glières en direction de leur funeste destin.

Moi je décide de poursuivre mon parcours du boulevard Baudin, mais apercevant de loin l’impressionnant barrage de CRS, je ne peux plus, je ne veux plus avancer.

Je revois ces hommes campés sur leurs jambes écartées, leurs boucliers étincelants sous le soleil : c’est la première fois que son éclat aveuglant résonne comme une terrible menace. Leurs armes sont pointées vers une foule informelle et pacifique. Ils me font peur. Je rebrousse chemin et me trouve maintenant à distance d’une cinquantaine de mètres de madame Cazaillous et de ses filles que je viens de croiser.

Je ne tente pas de les rattraper puisque je dois rejoindre Eve-Marie. J’arrive donc après elles sur la place de la Grande Poste, au niveau des arrêts de tramways et j’ai le temps de lire l’heure à l’horloge de la poste : il est 14h 45. Des coups de feu nourris éclatent, je n’ai que le temps de courir vers la façade qui fait l’angle avec le boulevard Laferrière. Je me tourne vers la Grand Poste, des dizaines de corps sont étendus sur la place. Je ne suis pas la seule à m’être couchée à terre contre ce mur. Je protège illusoirement ma tête avec mon sac à mains.

L’affolement, contagieux, la peur viscérale de finir ici contre ce mur des locaux du Journal d’Alger, me tiennent immobile. Un homme près de moi, m’enjoint de saisir sa main, me fait passer sur le côté du boulevard Laferrière.

Je m’engouffre dans le hall du premier immeuble : celui qui mène aux bureaux du Journal d’Alger, pleins à craquer. Des pleurs, des cris. Le mien sûrement plus strident que les autres. « Ils vont tous nous tuer » me vaut une gifle magistrale et mémorable de la part d’un agent de la circulation qui a dû se sentir investi, à ce moment-là du droit légitime et urgent de calmer les peurs... .

Même sur le moment je ne lui en ai pas voulu. J’ai grimpé jusqu’au dernier étage J’y suis restée jusqu’à 18h, terrassée par l’émotion. J’ai pu trouver un téléphone pour rassurer ma famille.

Je suis enfin rentrée chez moi, exténuée. Mon père n’y était pas : Il avait accompagné notre voisin Monsieur Cazaillous à l’Hôpital de Mustapha où ils trouvèrent Madame Cazaillous touchée à la tête, la moitié du corps paralysé à vie … Ne trouvant Jacquotte, comme nous l’appelions affectueusement dans le quartier, ils se sont dirigés vers la morgue, mon père soutenant le sien.

Annie la plus jeune de ses filles était rentrée chez elle, hagarde, pieds nus, disant à son père : « Des méchants soldats nous ont tiré dessus »

Michèle Salério.

Ecrit le 23 Mars 2014.

 

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En rouge le parcours de Michèle SALERIO

 

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Le point vert est la position de Michèle SALERIO au moment des tirs

 

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Le Plateau des Glières

 

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

7 - FIORETTI Michel - 29 10 2018 - : "J'ai 74 ans aujourd'hui. J'étais avec Charles Ciavaldini ..."
 

J'ai 74 ans aujourd'hui, j'étais avec Charles Ciavaldini qui figure parmi les victimes.

A l'époque j'avais 18 ans, nous allions voir ce qui se passait. C'était un cortège pacifique. Il y avait des femmes, des enfants, des personnes âgées et nous, nous étions quatre avec les frères Andreu.

Quand la fusillade a éclatée, on se trouvait sur la place qui se trouve en face de la Grande Poste, j'étais tétanisé. Charly, qui avait plus d'expérience que moi, il était aussi plus âgé, a réagi immédiatement. Il s'est précipité sur moi pour me coucher au sol, et c'est à ce moment là, qu'il a pris la rafale et il est tombé sur moi.

Nous sommes restés allongés devant un kiosque à journaux et son sang me coulait sur le visage, je ne me souviens plus combien de temps nous sommes restés comme ça. Je ne pourrai jamais oublier. J'en ai très peu parlé, mis à part à ma famille et aux très bons copains que nous avions.

Pour plus de précision, j'habitais dans le quartier de Belcourt au 20 rue Lamartine.

Je me tiens à votre disposition pour toutes infos complémentaires. 

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En rouge la grande Poste
En bleu la position de Monsieur Fioretti

 

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Le 20 rue Lamartine donnant sur la rue Sadi Carnot.
La Grande Poste à droite au numéro 10 - boulevard Laferrière

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