5.32 - ZELPHATI Elie-Paul 40 ans

VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

1 - Témoignage de E.J. Zelphati son frère  (paru dans "Un crime sans assassin)
2 - Témoignage de Henriette Roques une voisine (paru dans "le Livre interdit")

(Pendant ce temps les C.R.S. ...)

1 - Témoignage de E.J. Zelphati

Mars 1962, venant de traverser l’avenue Pasteur, je me trouvais rue d’Isly , lorsque la fusillade a éclaté. (1)Je me suis réfugié avec d’autres personnes dans un couloir d’immeubles de la rue d’Isly (2). Lorsque le calme est revenu, nous sommes sortis et avons été  horrifiés par le spectacle qui s’offrait à nos yeux.

Avec d’autres personnes, nous avons aidé au transport des blessés jusqu’à la clinique Lavernhe (avenue Pasteur, à 100 m environ du monument aux morts).

Mon frère, Elie-Paul  Zelphati  habitait  avenue Pasteur, dans l’immeuble faisant l’angle, face au Monument aux Morts (au-dessus du café de Paris), au cinquième étage.

Vers 16h15, de retour à la clinique Lavernhe, je montai chez mon frère afin de téléphoner à mon épouse pour la rassurer. C’est ma belle-sœur qui m’a ouvert la porte. J’ai été surpris de voir arriver mon frère quelques instants plus tard car je le savais en voyage (il était représentant de commerce). Il m’expliqua qu’ayant appris qu’une manifestation devait avoir lieu ce jour-là, et inquiet de savoir son épouse et son fils seuls au cœur d’Alger, il avait décidé de venir les rejoindre, par l’avion arrivant à 12 heures en provenance de Constantine. Après les embrassades, nous étions sur le pas de la porte-fenêtre du balcon, lorsque plusieurs coups de feu ont claqué dans notre direction. Une balle s’écrasa à 30 cm de ma tête, contre le mur de la fenêtre, une deuxième passa à quelques millimètres au-dessus de ma tête et s’écrasa contre le mur de la salle de séjour, et la troisième balle atteignit mon frère en pleine tête (derrière l’oreille) faisant éclater la boîte crânienne.

Il venait d’être tué sur le coup, sous les yeux de sa femme et de son fils âgé de cinq ans et demi et de moi-même. Ma belle-sœur a poussé un cri que tout le quartier, à 500 mètres  à la ronde, a entendu. Avec des bénévoles, nous l’avons transporté immédiatement à la clinique Lavernhe (surtout pour l’enlever à la vue de sa femme et son fils). Là il lui a été mis des bandages autour de la tête. Les autorités voulaient l’emmener avec les autres corps, à la morgue de l’hôpital Mustapha.

J’avais un ami qui était ce jour-là de permanence au Commissariat central à Alger et qui me donna l’autorisation de transporter mon frère chez lui, le faisant passer comme blessés (car il était interdit de garder les victimes chez soi pour les veiller).

Nous l’avons veillé toute la nuit avec mes parents et le lendemain matin 27 mars, à huit heures, un  4-4 de l’armée est venu prendre le corps pour le transporter à la morgue de l’hôpital Mustapha rejoindre les autres victimes du massacre de la Grande Poste et de la rue d’Isly. Comme pour les autres victimes, son corps nous fut rendu le 28 mars 1962, pour être enterré, à la sauvette, au cimetière d’Hussein-Dey. Ma belle-sœur et moi avons déposé plainte auprès du Procureur de la République, car il s’agissait d’un assassinat perpétré par les forces de l’ordre plus d’une heure après la fusillade de la Grande Poste et de la rue d’Isly. Naturellement, tout a été étouffé.

Mon frère Eli-Paul venait d’avoir 40 ans. Il avait été mobilisé en 1942 dans la première Armée Française et avait participé à la libération de la France de depuis le débarquement en Provence en 1944 jusqu’à la prise d’Ulm en Autriche le 8 mai 1945. Il avait été blessé lors de la libération de l’Alsace.

(1)Témoignage paru dans « Un crime sans assassin ». Francine Dessaigne ajoute :
« J’ai interrogé au téléphone ce monsieur, à propos du déclenchement du feu. Il me dit qu’un hélicoptère est passé, monsieur Zelphati a entendu un bruit sourd, ressemblant à une explosion de grenade, et immédiatement ensuite (5 secondes environ après) le feu s’est déclenché. Monsieur Zelphati se trouvait alors à la hauteur du n° 51 de la rue d’Isly.

(2) Monsieur Zelphati avait donc dépassé l’avenue Pasteur et la rue Chanzy, et le second barrage de la rue d’Isly, barrage sans obstacle.


2 - Témoignage d'Henriette Roques une voisine (paru dans "le Livre interdit")

Dans les jardins du Monument aux morts, des CRS, dissimulés dans les massifs étaient munis d’armes automatiques et en position de tir. Il y avait également des automitrailleuses tout au long du boulevard Laferrière et au Forum.
Soudain à 14 heures 50, une fusillade épouvantable se déclencha de toutes parts. Nous eûmes le temps de nous mettre à l’abri dans notre appartement en fermant nos volets. Dix minutes plus tard, mon mari entrouvrit les volets ; aussitôt une balle tirée vraisemblablement du jardin, passa à 80 centimètres de sa tête et traversa le mur au-dessus du chambranle de la fenêtre. Fort heureusement il ne fut pas atteint.

De mon observatoire, c’est-à-dire derrière les volets de ma salle à manger, je pouvais très bien voir ce qui se passait dans le jardin ainsi qu’avenue Pasteur. Je vis donc les CRS ajuster et tirer sur les quelques personnes qui s’enfuyaient, même sur les brancardiers bénévoles qui transportaient les blessés à la clinique.

A un moment, j’entendis un officier, un lieutenant à cheveux blancs, dire à ses hommes : "pas de ménagement".

Vers 16 heures 20, on entendait toujours la fusillade. Soudain, d’un immeuble, 8 avenue Pasteur, des cris de femme s’élevèrent ; quelques instants après, je vis sortir du dit immeuble des infirmiers transportant un blessé couvert de sang. J’appris par la suite,qu’il s’agissait d’un locataire du cinquième étage Monsieur ZELPHATI, tué sur le coup d’une balle qui le frappa à mort et venait certainement du même champ de tir que celle destinée à mon mari.

Henriette ROQUES
15 boulevard Laferrière -
Alger

EMPLACEMENT DES  TROUPES

En H l’escadron de gardes mobiles occupe les jardins Laferrière du Monument aux Morts
En rouge la limite entre le sous-secteur Centre et le sous-secteur Orléans

En bleu, le flux des manifestants dans  l'avenue Pasteur qui passe au pied des Jardins Laferrière et débouche dans la rue d'
Isly vers le Square Bresson et Bab el Oued
Coloriés en vert, les massifs des jardins dans lesquels les C.R.S. étaient dissimulés.

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