5.11 - FERMI Louis 52 ans

VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

1 - Témoignage du Docteur Kamoun recueilli par Francine Dessaigne

2 - Témoignage de Thierry Rolando Président national du Cercle Algérianiste

Monsieur Louis FERMI était :
Directeur général de la S.A.R.L ETAVINOR et du transit Roubaisien.
Secrétaire-trésorier général de la Ligue d’Alger de natation.
Vice-président de la Bridja Sports.
Membre du Bureau des Ligues.
Fondé de pouvoir de la S.A. DABI.

1 - Le Docteur Kamoun, ancien interne des hôpitaux d'Alger, ex chirurgien des hôpitaux d'Orléans ville de Pau, nous répond :

"Je n'ai pas assisté au massacre du 26 mars. Nous habitions au douzième étage de l'immeuble Lafayette, boulevard Saint-Saëns à Alger. Ma femme, surveillante chef du bloc opératoire du service de chirurgie infantile était de garde dans son service pour cet après-midi du 26 mars. Nous étions au courant, bien sûr, du blocus de Bâb-el-Oued, où plusieurs de nos parents habitaient et nous savions qu'une grande manifestation de soutien était prévue.

Pour voir un peu ce qui se passait, nous avons quitté le Lafayette vers 14 heures et, au lieu de couper par une des rues transversales pour gagner l'hôpital de Mustapha, nous sommes descendus par le boulevard Saint-Saëns vers le tunnel des facultés. Beaucoup de gens, à pied, faisait comme nous.  Au bas du boulevard Saint-Saëns, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de gens avisés par la rue Michelet et se dirigeaient vers la grande poste. Grande animation n'est pas d'excitation, pas de cris hostiles. Devant cet afflux vers la grande poste, nous éprouvions ma femme et moi, une inquiétude demeurant presque incompréhensible. Mais je dis à ma femme écoute, je crains qu'il se passe des choses sérieuses avec un monde pareil. Il vaut mieux que nous soyons dans le service. Et nous sommes remontés par la rue Michelet vers la rue Hoche et l'hôpital de Mustapha.

Évidemment, nous étions tous, personnel de service et nous-mêmes, à l'écoute permanente de la radio. Et c'est vers 14h45 que nous avons entendu la fusillade, les cris, puis très distinctement le cri « Halte au feu… Halte au feu » au milieu des bruits des armes automatiques.

Nous étions atterrés. Je suis descendu immédiatement au pavillon de garde de l'hôpital, où les ambulances amenaient les blessés qui étaient ensuite répartis dans les services de chirurgie, dont le nôtre évidemment. J'ai appris ainsi que plusieurs blessés avaient été conduits à la clinique Lavernhe toute proche de la fusillade. Nous nous sommes mis au travail et il m'est impossible de préciser le nombre des blessés traités à Mustapha dans les différents services.

Vers 18 heures, j'ai appris qu'il y avait énormément de monde devant la morgue de l'hôpital. Celui-ci avait deux  entrées : une en bas donnant sur l'avenue Battandier, une en haut vers le quartier Meissonnier.

La morgue était située à 30 m environ de cette entrée et la porte donnait sur une allée à l'intérieur de l'hôpital. Devant cette porte, une foule immense, certainement plusieurs centaines de personnes venues aux nouvelles et qu'on laissait par petits groupes entrer dans les locaux de la morgue. J'ai été en blouse blanche et je fus immédiatement aperçu par Charles Bardi, président de la ligue d'Alger de natation, que j'avais maintes fois rencontré dans des manifestations sportives où nager mon fils. Il m'a pris qu'il se trouvait là avec la famille de Monsieur Fermi qui était lui-même-même secrétaire général de la ligue. Cette famille était très inquiète et Charles Bardi me pria d'essayer de me renseigner en jouant des coudes et grâce a ma blouse blanche. Je m'approchais de la porte. Je connaissais bien le préposé à la morgue de l'hôpital et dès qu'il entrouvrit la porte pour laisser passer quelques personnes, il aperçut et me fit entrer immédiatement. Je connaissais bien les locaux pour y avoir assisté à des autopsies. Un large couloir, au bout duquel on apercevait dans une petite chambre, une femme musulmane penchée sur un corps. À gauche, la salle principale, l'horreur. C'était une salle rectangulaire avec surtout le tour une « paillasse » semblable à celle des laboratoires. Entre le sol et la paillasse, une étagère. Au milieu de la salle, dans le sens de la longueur, les tables de marbre. Partout des cadavres disposés sur les trois niveaux, paillasse, étagère, sol. On avait instauré un sens unique, et, dans le silence troublé de temps en temps par des gémissements et des pleurs, les gens circulaient lentement, inquiets, horrifiés il y avait certainement plusieurs dizaines de cadavres  (30,40, je ne sais) mais je ne mis pas plus d'un quart d'heure pour reconnaître le cadavre de Monsieur Fermi avec un petit trop sanglant préthoracique. J'avais vu auparavant une jeune basketteuse que je connaissais bien. Je me retirai immédiatement de la file et me précipitai vers la sortie, pâle, épouvanté par ce que je venais de voir. Charles Bardi  m'attendait et je ne pus que confirmer leurs inquiétudes.

Je n'ai jamais oublié et n'oublierai jamais la vision de cette salle sinistre, de ses cadavres qui attendaient leur reconnaissance et de ces gens pâles et silencieux qui tournait lentement. »

01

Informations supplémentaires