2.11 - SOLIVERES René : Bab el Oued, Barberousse, Beni Messous, Paul Cazelles, menottés ....

VI - Les témoignages - Bâb el Oued - Les assiégés

Bouclage de Bab el Oued ce 23 mars 1962

Envoi de Arlette Lehr-Soliveres.

Mon frère qui était âgé de 24 ans et venait d’effectuer, en tant qu’appelé du contingent, 27 mois de combat dans le djebel, a écrit ce témoignage.
« A Alger, dans le quartier de Bab el Oued, les forces blindées et hommes à pied, étaient composées de CRS, garde-mobiles de la gendarmerie et militaires du contingent.

Après des tirs nourris qui ont duré deux jours, l’ordre a été donné, un matin, de perquisitionner tous les appartements, sans exception. Je me trouvais dans les escaliers du deuxième étage de l’immeuble de mes grands-parents avec quelques voisins, quand un groupe de CRS casqués, armés de Mat 49, menaçants à souhait, nous ont ordonné de nous regrouper dans la rue, soi-disant, pour un contrôle d’identité, sans nous laisser le temps de prendre un vêtement. Mon grand-père me voyant emmené, a décidé de m’accompagner, malgré mes recommandations de rester chez lui. Mais il n’aurait pas réussi à échapper aux griffes des CRS. Nous voilà, tous les hommes, jeunes et vieux, bien encadrés par les CRS qui nous ont dirigés vers le haut du quartier, place Dutertre, où à notre grande stupéfaction, une multitude de personnes dans le même cas que nous, attendaient, près des camions militaires bâchés. Tout le monde a été embarqué.

Première halte : la cour de la prison de Barberousse, où pour aller plus vite les crosses des fusils des gardes mobiles ont frictionné pas mal de côtes et de dos sans distinction d’âge. Au milieu de la cour, une table dressée, où les gardes mobiles relevaient nos identités et nos adresses. Ensuite, ré-embarquement dans les camions, sans savoir où nous allions. Après, environ une heure à une heure et demie, le grand cortège s’arrête enfin, tout le monde descend sous la surveillance étroite des gendarmes. Nous étions arrivés au camp de Béni Messous et là, sans perdre de temps, on nous a enfermés dans plusieurs baraquements du camp. A l’intérieur, des lits gigogne de l’armée, bien alignés, nous attendaient, mais ni matelas ni couverture, rien que de la ferraille. Je ne me rappelle pas si nous avons été nourris, mais je pense que l’appétit n’aurait pas été de la partie tant la surprise et l’angoisse était grandes, surtout après le « speech », clamé par un sous-officier dans chaque baraquement : « chaque personne qui tenterait de sortir risquerait un grand danger ». La Croix Rouge a finalement pu nous passer, à travers les barreaux des fenêtres hautes, quelques couvertures. Nous avons dormi tant bien que mal, je pense deux nuits, sur les lames-ressorts métalliques, et, en collant les lits les uns contre les autres, nous avions un semblant de confort. Ne voyant pas mon grand-père avec nous, à l’ouverture des portes le matin, je l’ai retrouvé les larmes aux yeux. Il souffrait de son ulcère à la jambe, où le tibia au fil des années était visible dans la plaie. Le voyant ainsi, j’ai pu en parler à un officier qui, après examen, a décidé de le relâcher à Béni Messous, dans le village même,bien loin de Bab el Oued et sans argent. Je me pose encore la question, dans quelles conditions il a pu, avec sa jambe malade, rejoindre l’entrée de Bab el Oued ? En arrivant, les barbelés, qui entouraient tout le faubourg de Bâb el Oued l’ont empêché de rentrer chez lui : ni sortir, ni entrer !! Une famille de la « zone libre » l’a recueilli pendant tout le temps du bouclage.

A Béni Messous, à midi, nous avons eu droit à de la nourriture comparable à celle que l’on voit dans les films, dans la cour des « stalags ». Après deux jours de séjour dans ce camp on nous a demandé, après rassemblement, de nous diriger deux par deux vers une longue file de camions bâchés encadrés d’automitrailleuses. Avec un voisin j’ai eu la surprise de découvrir aux pieds d’un garde mobile une grosse caisse garnie de menottes. J’ai tendu le bras gauche, mon voisin le droit, et clic, nous voilà avec des bracelets. J’ai eu quand même la chance d’avoir affaire à un garde mobile qui m’a demandé si ce n’était pas trop serré ? Très sympathique !! Et hop dans le camion, assis au milieu dos à dos. Les bâches ont été bouclées avec interdiction d’y passer même le bout de son nez. La grande question était la destination que nous allions prendre. Dans l’angoisse, quelques avis sortaient ça et là, exemple : « je crois que nous allons au port où on va nous embarquer et nous emprisonner en France ». Nous avons supposé d’autres destinations mais dans le noir, avec l’incertitude et le mutisme de nos chers gardes mobiles, il était difficile de deviner la direction que le convoi prenait. Nous avons roulé toute la nuit. Ce fut un soulagement, pas de bateau. Avec le gros problème qu’était d’uriner, il fallait se lever deux par deux et pousser un peu la bâche pour se soulager. Pour le reste un mouchoir faisait l’affaire et bien ficelé, parait dans la nature, système D !! Certains riaient mais d’autres faisaient triste mine.

Au matin, enfin les camions s’arrêtent, les bâches et les ridelles s’ouvrent et tout étonnés, nous voilà dans le camp de Paul Cazelles bien au sud des gorges de la Chiffa et de Médéa. Un camp avec des baraquements et dans lesquels, chacun avait un lit rustique mais assez confortable. Était détenu avec nous un gardien de prison. Il était en pyjama et faisant les cent pas, il me paraissait très soucieux. La place était chaude, elle venait d’être dégagée par les anciens prisonniers du FLN, libérés après les accords d’Evian. Dans les heures qui ont suivi c’était le moment des recherches. Ne voyant ni mon père ni mon frère, j’ai pensé qu’ils étaient peut-être dans un autre camp. Au bout d’une dizaine de jours d’internement, les camions sont revenus et à l’appel de son nom, chacun prenait place dans le véhicule, mais ce coup-ci, les bâches relevées et non menottés. Direction Bab el Oued, Médéa en repassant les gorges de la Chiffa et Blida sous le regard surpris des villageois arabes, sans aucune animosité. Je n’ose penser à ce qui aurait pu nous arriver si l’un des leurs avait lancé le moindre mot d’ordre contre nous.

De retour chez mes grands-parents, où je vivais, (appartement trop petit chez mes parents) j’ai appris que mon père et mon frère, habitant dans un autre immeuble, ont eu la chance, le jour de la perquisition d’avoir eu affaire à des militaires du contingent. Ceux-ci ont eu la délicatesse de faire un semblant de fouille et ont recommandé à mes parents de rester chez eux. Pour moi, à 150 mètres de chez mes parents, cela n’a pas été la même chose, les CRS étaient très émoustillés ainsi que les gardes mobiles. Ces derniers ne s’étaient pas gênés de casser des vitrines de magasins, crever des pneus, ouvrir des garages pour casser des voitures (j’ai retrouvé ma moto, la selle lacérée de coups de couteau), de couper en deux, dans le sens de la longueur une Panhard PL17 avec la chenille droite d’un char lourd, de tirer à la mitrailleuse de 50. Ils ont également tiré sur une vieille dame, notre voisine un peu curieuse qui voulait voir ce qui se passait dans la rue. Elle s’en est tirée avec une grande peur et un gros trou dans le plafond.

Pendant que nous étions dans le camp, les femmes n’avaient aucune idée de ce que nous étions devenus. Il fallait, soit disant aller voir dans deux cliniques de Bâb el Oued s’il y avait des listes. Elles ont su où nous avions été emmenés quand nous sommes revenus. Il parait que la Croix Rouge distribuait quelques vivres pendant le blocus qui allait du lycée Bugeaud jusqu’à hauteur de Bâb el oued. Mais je ne pense pas que la rafle couvrait cette grande zone. Il me semble qu’il s’agissait surtout d’un large ratissage autour du quartier des Trois Horloges. Quant au nombre d’hommes internés , je ne peux pas l’évaluer. Je sais que nous étions nombreux mais heureux d’être restés dans notre pays. Une aventure qui restera dans ma mémoire à jamais gravée.

J’arrive à l’écrire mais à en parler c’est autre chose. Pendant longtemps, j’avais du mal à l’expliquer, les détails me serraient la gorge et me donnaient des frissons. Plus maintenant.

René SOLIVERES – Alger.

En bleu le bouclage de Bab el Oued
En rouge:
- la rue Curie fait un angle, c'est dans cette rue que résidait Arlette Soliveres, sa sœur
- l'arc rouge de l'avenue de la Bouzarea où habitait René Soliveres
- le triangle rouge indique la place Dutertre à la Basetta (vient de l'espagnol le lavoir) où les CRS ont embarqué avec brutalité jeunes et vieux de 17 à 70 ans

01

La place Dutertre à la Basetta

02

Camp de BENI MESSOUS (Photo prise sur le Net collection G.G.EPAIN)

03

Gendarmerie de Paul Cazelles

04

Clôture du camp (Photos prises sur le net collection G. EPINAT)

05

Le camp vu de loin

06

Le camp en hiver

07

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