4.4 - Témoignages des Algériens

XII - 50 ans après - Témoignages

2 - Belmihoub BELACHMI:  "Ahmed était un brave homme, connu dans toute la région pour son courage et son honnêteté"... "Des incultes qui continuent à décider de l’Algérie !" Récit  (suivi images Tiaret) -  (reçu sur le net en 2013 -  SG)

Dans la nuit du 31 décembre 1956 au 1er janvier 1957, la famille d’Ahmed, habitant une chaumière isolée dans la région de Tiaret, dormait paisiblement lorsque des coups se firent entendre sur ce qui servait de porte : « Nous sommes les moudjahidines du front, ouvrez sinon nous fracasseront la porte ! ». Le chef de famille savait ce que cela voulait dire mais les enfants, deux filles âgées d’un et deux ans et un garçon de six ans étaient apeurés et pleuraient de toutes leurs forces. Le père se leva, s’habilla rapidement tout en grommelant :
« si seulement j’avais un fusil ! ». Et il fit face au groupe se tenant dehors. Se déclencha alors une dispute entre Ahmed et ses ravisseurs, mais vu leur nombre, ceux-ci finirent par avoir le dessus et l’emmenèrent avec eux. Pourquoi cette incursion et qui est Ahmed ? La suite le montrera pour comprendre un autre aspect de la guerre d’Algérie.

Ahmed était âgé de quarante-neuf ans. C’était un brave homme, connu dans toute la région pour son courage et son honnêteté. Il avait servi dans l’armée française durant la deuxième guerre mondiale, il savait manier les armes et était bon tireur, on dit même tireur d’élite. Ce qui le destina à travailler comme gardien dans une ferme de colon. Celui-ci était un ami avec qui il avait effectué le service militaire, et, le connaissant pour cette qualité fit appel à lui pour garder la ferme. Il reçut l’ordre des moudjahidines de quitter ce travail. C’était son gagne-pain qui permettait à sa famille de vivre. La misère faisait rage et il était très difficile de trouver du travail à cette époque. Il ne pouvait laisser ses enfants mourir de faim. Il refusa, conscient qu’il ne courait aucun danger vu sa situation sociale qui le préservait des menaces des moudjahidines s’il restait et des colons s’il quittait son travail.

Cette attitude de naïveté a été aggravée par une incartade fatale pour lui. Le jour de marché, un homme avec qui il était en désaccord, s’était présenté comme l’envoyé des moudjahidines, venu lui rappeler l’instruction de quitter sans tarder son travail. Ahmed lui répondit qu’il n’était pas question qu’il quitte son gagne-pain et, devant l’insistance de l’envoyé ou un mot déplacé de sa part, Ahmed lui assène une gifle, ce qui fut fatal pour lui. Car pendant cette guerre, souvent les conflits personnels et les rancœurs subjectives prennent le dessus sur les questions idéologiques et politiques. Beaucoup de pères algériens, indigènes comme les moudjahidines, furent égorgés parce qu’ils faisaient l’objet d’une dénonciation malhonnête d’un rival, pour une question d’honneur… Ainsi une nuit, alors qu’il dormait tranquillement, le drame arriva.

C’était ainsi que la jeune épouse d’Ahmed, âgée de vingt-six ans, se trouva veuve avec trois orphelins et une naissance attendue. La famille était totalement démunie, sans aucune ressource. Les proches voisins auraient bien voulu les aider mais dans le besoin eux-mêmes, ils ne pouvaient pas grand-chose pour nourrir quatre bouches. La veuve fut atteinte d’un délire et les enfants furent recueillis par des personnes si pauvres qu’elles ne pouvaient que leur offrir le minimum. Les enfants et la veuve d’Ahmed furent dispersés dans quatre familles différentes. Deux mois après naquit une fille qui sera adoptée par une autre famille à cause de l’état mental de la maman. Le garçon aîné ne retourna pas à l’école à laquelle son père l’avait inscrit au début de l’année scolaire. Bien que pauvre et habitant la campagne, feu Ahmed avait tenu à inscrire son fils à l’école française et pour cela il l’avait fait héberger chez une tante qui habitait la ville et dont les filles fréquentaient, elles aussi, l’école. Ahmed avait fait le serment que tous ses enfants, le garçon et les filles seraient scolarisés. Les moudjahidines en ont décidé autrement, justement parce qu’Ahmed voulait imiter les Européens malgré sa pauvreté. Imiter les Européens est un crime.

Donc voilà la famille d’Ahmed dispersée et ses membres séparés les uns des autres. Cependant, quelques années plus tard, la mère guérie de sa folie passagère, entreprit de faire des démarches pour l’obtention d’une aide de l’État français sur le conseil de personnes bienveillantes. Mais elle était ignorante, ne connaissait que son douar duquel elle ne s’était jamais éloignée, ne possédait aucun papier, était limitée par un dénuement le plus total. Malgré ses handicaps, il se trouvait toujours des gens qui voulaient l’aider à retrouver ses moyens et à établir des contacts avec l’administration coloniale pour régler son problème. Une année de démarches et de déplacements, de paperasses et de tracasseries administratives… et la veuve réussit à bénéficier d’une pension décente pour faire vivre sa famille. Elle habita la ville de scolarisation de ses enfants qu’elle avait récupérés de chez les familles qui les avaient recueillis. Ils menèrent une vie décente.

Actuellement tous les enfants de l’Ahmed (trois filles et un garçon) vivent en Algérie aisément. Le garçon est médecin, l’une des filles est avocate, les deux autres sont enseignantes et ils aspirent tous à la retraite. Ils continuent de se réunir dans les occasions au moins une fois par an. Ils racontent à leurs enfants les origines des divisions actuelles dans notre société, dans la hiérarchie de laquelle se trouve « la famille révolutionnaire », autrement dit ceux qui nous ont libérés, parce que sans eux nous serions toujours sous l’occupation coloniale. Les membres de « la famille révolutionnaire » exigent reconnaissance et estime pour ce service qu’ils nous ont rendu. Les enfants d’Ahmed, le médecin l’avocate et les deux enseignantes, ne sont que des « enfants d’un égorgé » et, il paraît qu’ils n’ont même pas le droit de vivre en Algérie parce qu’ils auraient dû suivre la France y vivre, ils font partie, d’après « la famille révolutionnaire » du « parti de la France » et doivent être bannis de leur pays. Ce système est traduit dans les textes : ils ne peuvent se porter candidat à aucune élection présidentielle parce que le code électoral stipule qu’ils doivent prouver qu’ils n’aient pas eu « une attitude contraire à la révolution ». Or leur père a été jugé traître par les moudjahidines en… 1956.

Des incultes qui continuent à décider de l’Algérie !

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4.Tiaret

5.le Bureau arabe

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