2.2 - "26 mars 1962 - Enquête sur une tragedie" de José CASTANO - 2004

XI - Bibliothèque - Investigations - Communications.

Au soir de cette journée meurtrière, le Ministre de l’intérieur, Roger FREY, téléphona au préfet Vitalis CROS et lui dit : « Faites le maximum pour que la stricte vérité soit connue. Tout m’a été expliqué : l’Élysée est au courant et puisqu’il n’y avait pas moyen de faire autrement, soyez en paix, dites le à vos collaborateurs. » S’enorgueillissant de cet encouragement, le préfet s’adressa à la population bouleversée.

« Les commandos de l’O.A.S. ont tiré, non seulement sur le service d’ordre, mais sur les manifestants. Force est restée à la loi ! »Le lendemain, FOUCHET – au mufle de primate – renchérira : «  la cause de l’O.A.S. est archi perdue. Il faut faire confiance à la France ! » Pour sa part, de GAULLE parlera de « l’émeute d’une foule algéroise furieuse de l’arrestation de JOUHAUD et qui ne put être dispersée que par le feu meurtrier des troupes. » (Dans la soirée du 25 mars, le général JOUHAUD fut arrêté à Oran ainsi que le commandant CAMELIN. La veille, déjà, le lieutenant de vaisseau GUILLAUME avait connu le même sort à Tlemcen).

Que d’infamies dans ces déclarations ! .....

Moins de 24 heures après le drame, le 27 mars, le bureau de presse du général commandant supérieur des forces armées en Algérie (AILLERET) rendait – déjà – public les premiers résultats de l’enquête sur les circonstances exactes de « l’ouverture du feu. » Cette enquête qui puait le canular établissait que :

- vers 14 heures 30 un capitaine de régiment de tirailleurs remontant la rampe Bugeaud pour établir un barrage rue d’Isly, subit dans le dos le feu d’armes individuelles provenant à la fois de manifestants et des immeubles situés rue d’Isly, rue Lelluch et boulevard Bugeaud. Trois tirailleurs sont blessés. La compagnie de tirailleurs riposte.

- vers 14 heures 50, le régiment d’infanterie tenant les facultés et la rue Michelet subit le feu d’armes automatiques provenant d’immeubles de la rue Michelet, de la rue Charras, de l’avenue Pasteur et de la rue Berthezène.

- 14 heures 55, le groupement de CRS stationné près de l’immeuble Maurétania subit un tir de pistolet mitrailleur effectué par six individus (dont une femme) cachés dans la foule, puis le feu d’armes individuelles provenant du Maurétania et des immeubles environnants. Un C.R.S. est tué, trois autres sont blessés. Les C.R.S. ripostent.

- vers 15 heures 10, le groupement des gendarmes mobiles placés autour de la Délégation générale subit des tirs provenant de la caserne des douanes, des immeubles du boulevard Lafferrière et de la rue Berthezène.

Ce document appelle un certain nombre d’observations. Outre que le principe même des faits dont il participe est en contradiction avec les innombrables témoignages recueillis, il offre dans le détail certaines invraisemblances. * comment par exemple, est-il possible que des tirs d’armes automatiques provenant de la rue Charras puissent aboutir rue Michelet ou sur les facultés ? Seul un véritable miracle de balistique peut l’expliquer. * comment aussi six individus (dont une femme) (il y avait des milliers de personnes dans les rues !) peuvent-ils être décomptés si facilement et avec une pareille précision ? Comment, moins de 24 heures après les faits, a-t-on pu obtenir les résultats d’une enquête aussi complexe, n’avait-elle pas été préparée à l’avance ?

Il n’y eu AUCUN coup de feu, contrairement à la première affirmation, avant 14 heures 50, heure précise du déclenchement de la fusillade par les tirailleurs. La presse officielle de l’époque a fait état d’un mort et de 14 blessés dans les rangs des forces de l’ordre. Or le seul mort militaire l’a été par un officier ayant abattu un tirailleur qui avait , sous ses yeux, achevé, à terre, une femme blessée. Les militaires blessés, le furent entre eux (balles perdues). Il n’y eu jamais le moindre tué parmi les C.R.S. Enfin, il a été souvent affirmé officiellement que la fusillade avait été provoquée par des tirs d’armes automatiques ou individuelles provenant de terrasses d’immeubles.

Lors des débats à l’Assemblée Nationale, le 14 avril 1962, le ministre des armées fut interpellé sur ce point (question n° 14942). Puisqu’il avait été reconnu et prouvé que toutes les terrasses des immeubles avoisinant les lieux des sanglantes fusillades du 26 mars étaient occupées par des éléments du maintien de l’ordre, il lui était demandé quels étaient les effectifs exacts des forces de l’ordre chargées de la surveillance des dites terrasses. Le Journal officiel de la République française du 3 mai 1962 publia à la page 842 la réponse suivante : « Il n’est pas d’usage de rendre public les effectifs exacts engagés dans telle ou telle opération précise ressortissant au maintien de l’ordre. »

Il fut donc établi que les terrasses d’où seraient partis les tirs de provocation (soi-disant de l’O.A.S.) allégués pour expliquer le massacre, étaient occupés par des éléments du service d’ordre en nombre indéterminé. Onze mois après les faits, lors du procès du Petit-Clamart, le chef de corps du 4ème R.T.A., le colonel GOUBARD – futur général – bien qu’absent lors de la tragédie, se ralliera sans vergogne, à la version officielle. Cependant, ce qu’il se gardera bien de dire à la barre, c’est que quelques jours avant le 26 mars, l’arrivée d’un hélicoptère venant d’Alger fut annoncée à BERROUAGHIA où était stationné le régiment.

Le colonel GOUBARD vint personnellement accueillir le général AILLERET. Cette visite du général commandant en chef avait lieu en l’absence du général commandant le Corps d’Armée et du général commandant la Zone. Aucune note de service ne l’avait annoncée. Les deux hommes s’entretinrent, seul à seul, sans autre témoin, durant une heure environ. Quelques jours après, un élément du 4ème T.T.A., rappelé du bled environnant où il se trouvait, partait pour Alger en mission de maintien de l’ordre … Mais à qui donc pouvait profiter ce génocide si ce n’était précisément au pouvoir et par là-même à de GAULLE lui-même ?

Par là il apportait la preuve qu’il ne faiblirait pas et ferait accomplir par tous les moyens les accords d’Évian. De plus, il rendait désormais inopérante l’arme maîtresse des Pieds-Noirs : les manifestations monstres et les opérations de charme qui leur avait toujours réussi jusque-là, capables à elles seules de faire basculer l’armée. En réalité, la vérité sur cette tragique journée fut vite étouffée par le gouvernement. Celui-ci avait eu beau rejeter la responsabilité sur l’O.A.S., il y avait eu trop de témoins, et en particulier de journalistes étrangers qui, dans l’ensemble, contredirent de façon catégorique ces allégations. C’est ainsi que deux mois plus tard, après une enquête minutieuse, un livre blanc fut publié sur ce drame. Dès sa sortie, le pouvoir gaulliste en interdit sa diffusion.

Se savait-il coupable de ce massacre ?

Craignait-il la réaction de ses électeurs, pourtant saturés, amorphes et d’une indifférence tellement ingrate ?

Tous les témoignages seront unanimes : les soldats musulmans paressaient visiblement nerveux, blêmes et menaçants, le canon de leurs armes systématiquement pointé sur la foule, le doigt crispé sur la détente. Ils échangeaient en permanence des propos en arabe indiquant nettement qu’ils allaient tirer. Le colonel des Affaires musulmanes, en retraite, Émile DUZER, témoignera : « Il devenait évident que ces hommes, ayant l’allure et le parler des bergers primitifs de la montagne algérienne, allaient tirer. Soudain, l’un d’eux dit en arabe : Allez ! Tirez sur les chrétiens ! » et un autre : « On nous a dit : Tirez sur les Chrétiens ! » J’ai crié aussitôt : « Ils veulent tirer ! Sauvez-vous ! » Joseph HATTAB PACHA, alors maire de la Casbah d’Alger et Conseiller général, s’adressa aux tirailleurs après leur forfait :

- Pourquoi avez-vous tiré sur une foule pacifique et désarmée ?

Nous sommes tous des frères ! Tous des Français ! La réponse se fit cinglante – Nous ne sommes pas Français ! Nous sommes la future armée algérienne ! Ainsi, contrairement aux allégations des « hommes du Pouvoir », ce fut à un massacre abominablement prémédité que fut conviée, ce 26 mars, la foule algéroise. Cependant la presse française se garda bien de faire état de cette monstrueuse préméditation et, dans son ensemble, rapporta l’évènement avec une certaine rigueur. Seul le journal l’AURORE se signala par son courage et sa fidélité mais dut se plier aux exigences rigoureuses de la censure … Ce sera à travers la presse étrangère qu’il faudra se tourner pour bénéficier d’une plus « ample » information.

- Du « New York Herald Tribune », on pouvait lire ceci : « Il y a du sang français sur le drapeau tricolore. Des Français ont utilisé leur drapeau comme linceul. Les vivants trempaient leurs drapeaux dans le sang des morts. »

- Du « Daily Express » : « … Dans la porte d’une boutique, deux hommes se réfugièrent, brandissant un drapeau français. Cela ne les sauva point. Un soldat les tua tous les deux, à cinq mètres de distance. »

- Du Daily Herald : « … une rangée de soldats musulmans et européens a ouvert le feu dans le dos de la foule. »

- Du New York Times », Henry Tanner écrivit : « On a vu les soldats tirer à bout portant dans la foule avec des armes automatiques. Les militaires installés sur les trottoirs ont également ouvert le feu. Quelques-uns des soldats ont vidé des chargeurs entiers. D’autres épuisaient le magasin de leur mitraillette et le réapprovisionnaient encore. On vit un officier arracher des mains d’un soldat la bande de cartouches qu’il s’apprêtait à engager. …… Ce fut la journée la plus sanglante qu’Alger ait connu en sept ans de guerre et sept jours de cessez-le-feu.

- Quant à John WALLIS du « Daily Telegraph », il écrivit : « Personne ne semble avoir su qui a tiré. Une chose est sûre : c’est que le premier coup de feu n’est pas venu des manifestants. Les soldats ont ouvert le feu sur la foule placée à quelques mètres devant eux. Certains se retournèrent et mitraillèrent dans le dos des manifestants qui les avaient dépassés. »

- Les envoyés du « Figaro » « écriront le 27 mars : « Des flaques de sang coagulé forment presque une nappe depuis l’angle de la rue Pasteur et de la rue d’Isly jusqu’à la Grande Poste. Le trottoir devant le Crédit Foncier d’Algérie est rouge sur une dizaine de mètres et la façade de la banque est pleine de sang jusqu’à hauteur d’hommes.

- Yves COURRIÈRE que l’on peut pourtant classer parmi les anti-OAS notoires écrira plus tard : « cette journée devait voir se produire l’inimaginable. Le massacre d’une population désarmée. Le comble de l’horreur. »

Mais où étaient donc les articles tonitruants de « L’Humanité », « L’Express », « Témoignage Chrétien » et tant d’autres, toujours prêts à porter secours aux faibles, aux opprimés et à s’élever contre le « despotisme ». Pourquoi ce soudain silence de la part de MAURIAC, de SARTRE et de Jules ROY qui s’étaient découverts, en d’autres temps, une vocation de chantre de race opprimée ? Et quelle aurait été la réaction de la presse française et de la population dans son ensemble, si, dans les chaudes journées de mai 1968, on avait appris que le chars et l’aviation étaient intervenus au Quartier latin, que le service d’ordre avait ouvert le feu dans le dos des manifestants faisant 80 morts et 200 blessés, que l’on avait achevé les blessés, les médecins, les brancardiers, les ambulances et les véhicules de pompiers ? On fut, sans conteste, plus discret pour Bâb el Oued et la rue d’Isly comme on le fut pour toutes les autres situations où il s’agissait de victimes Pieds-Noirs.

José CASTANO - Parc Méditerranée - 34 470 - Perols

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José Castano est né en 1946 à Aïn el Turck 'Oranie). Il sert dans le Bataillon de Joinville et devient "international militaire d'athlétisme". Il quitte l'armée et devient professeur d'éducation physique et sportive en milieu scolaire et universitaire. Puis il devient écrivain et conférencier afin d'accomplir "son œuvre de mémoire" sur la tragédie de l'Algérie française et en hommage aux soldats de la Légion étrangère et du 1er REP, sacrifié et dissous. Il entre dans la Société des Gens de Lettres de France et dans  l'Académie des Sciences d'Outre-Mer, section littérature. Il obtient la Médaille d'Or du Mérite et du Dévouement français..

 

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