4.5 - Stèle des Rapatriés à Nice - Nice Matin 26 mars 2006.

X - Les actions - Les actions auprès des médias.

Dans un élan de solidarité toute la population d’Alger se rassemble au Plateau des Glières pour une marche pacifique vers Bâb el Oued par la rue d’Isly, seule voie restée possible pour s’y rendre. La manifestation est interdite et il faut la briser par tous les moyens : contre une foule désarmée et pacifique se met en place un dispositif de guerre : gendarmes, CRS, troupes du contingent, compagnies de tirailleurs…

Pourquoi alors aucune décision de couvre feu ? Pourquoi la foule n’est pas informée que l’ordre est d’arrêter la manifestation par tous les moyens, au besoin par le feu ? Pourquoi met-on en place des tirailleurs musulmans venus des djebels, transbahutés depuis des jours d’un endroit à l’autre, fatigués, nerveux, n’ayant aucune pratique du maintien de l’ordre en milieu urbain ? Pourquoi enlève-t-on de la rue ceux qui justement ont l’habitude du maintien de l’ordre et des manifestations publiques ? Pourquoi tous les PM et fusils mitrailleurs des barrages sont approvisionnés et armés ? et cela à tous les barrages, dans toutes les rues. 14 heures 50 à l’horloge de la Grande Poste.

Sans qu’il y ait eu provocations, sans sommation, la première rafale mitraille la foule à bout portant et dans le dos. Elle est suivie d’une fusillade généralisée. C’est la tuerie. On tire sur la foule de tous les barrages. Les armes ne sont arrêtées qu’après épuisement des munitions. Plus de 80 morts et plus de cent blessés. Parmi les morts le plus jeune était un bébé dans les bras de sa mère, morte elle aussi, réfugiés dans une pharmacie. Et eux ? Ce qu’ils avaient fait, ils ne voulaient pas que le monde le voie. On s’en prend aux caméramans dont on détruit les films, aux agents de presse qu’on menace de mort, aux journalistes étrangers qu’on fait fuir.

Les preuves sont détruites. Les corps ne seront pas rendus aux familles qui passeront toute la nuit à hurler qu’on leur rende leurs morts. Ils seront enfermés dans leur cercueil, dans la nuit, pendant le couvre feu. Au petit matin ils seront transportés à la sauvette, dans des camions bâchés pour être dispersés dans les cimetières d’Alger. Ils seront enterrés dans des fosses hâtivement creusées, avec une bénédiction hâtive. Il n’y aura aucune autopsie. Les films et les photos ont disparu, les cadavres ont disparus, les preuves médicales ont disparu, les documents officiels sont portés disparus... « Circulez, il n’y a rien à voir, il ne s’est rien passé » !

Ce sera la chape de silence qui dure depuis 44 ans. Pendant 44 ans j’ai refait son chemin. Il laisse la voiture sur les quais à cause des barrages, il remonte le boulevard Laferrière, il arrive sur le plateau des Glières, la place de la Grande Poste et il s’effondre. Je le cherche à l’hôpital Mustapha, parmi les corps nus et ensanglantés. Je le trouve sur une table, un gros pansement à la tête.

Il est mort comme on achève les chevaux ou les chiens enragés, d’une mort indigne et humiliante, lui si fort, si courageux et si généreux, au nom de quelle raison d’État ? Au nom de quel secret défense, encore aujourd’hui il n’en finit pas de mourir. Quand l’indicible vous arrive, vous ne trouvez pas les mots pour le dire, mais aujourd’hui j’y suis parvenue. Merci. Ce soir je lui dirai « Tu vois, ils ne t’ont pas oublié »

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