6.14 - La censure s'abat sur la presse Algéroise

III - Histoire et récits - Mars 1962 : Barbouzes, tortures, attentats, enlèvements, charniers

Marie-Jeanne REY et Francine DESSAIGNE – « Un crime sans assassins » - « Les Algérois au 26 mars 1962 » (Introduction de Marie-Jeanne REY)

La censure s’exerçait depuis longtemps dans la presse locale. Après les barricades de janvier 1960, elle prit une telle ampleur que d’énormes plages blanches remplacèrent tous les articles prétendant informer le lecteur sur ce qu’il ne devait pas savoir ou lui présenter une opinion. Puis comme cela faisait mauvais effet, les « blancs » furent prohibés aussi et les journalistes durent les remplir de textes anodins.

 L’Echo d’Alger bénéficia d’un traitement particulier. Ce quotidien, le plus gros tirage d’Algérie, correspondait, comme l’affirma l’ancien Gouverneur Robert Lacoste au procès de son Directeur Alain de Sérigny, « exactement à la mentalité moyenne des Européens d’Algérie ». C’était là pour le pouvoir une tare rédhibitoire. De plus, en mai 1958, dans l’éditorial resté célèbre « Parlez mon Général », Alain de Sérigny avait le premier fait appel au Général De Gaulle. Cet article eut une grande influence sur le retour de l’homme du 18 juin aux affaires. Dette de reconnaissance sans doute insupportable pour l’orgueil sans limites du Chef de l’Etat. Le Gouvernements usa de toutes sortes de moyens secrets, d’offres, de pressions, de menaces, pour acheter en sous-main l’Echo d’Alger. Le journal tint bon. En février 1960, après la semaine des barricades, Alain de Sérigny se vit intimer le « conseil » discret mais pressant de céder sa place à Maître Poppie, sinon … (lire à ce propos, Les Echos d’Alger – l’abandon – d’Alain de Sérigny – Presses de la Cité – 1974 – très instructif !). Il refusa. Le lendemain il était arrêté et inculpé de complicité d’atteinte à la Sureté de l’Etat, une véritable lettre de cachet. Les griefs retenus contre lui consistèrent dans la quasi totalité des textes parus dans l’Echo d’Alger pourtant tous visés et acceptés par la censure et donc juridiquement inattaquables. L’avocat général convint que chacun de ces articles ne représentait rien de bien répréhensible en soi mais … l’ensemble, la mise en page, la grosseur des caractères … et il requit 5 ans de prison.

Le tribunal permanent des forces armées acquitta Sérigny ainsi que tous les autres accusés présents au procès des Barricades. En conséquence, De Gaulle supprima, par décret, tout de suite ce tribunal qui ne s’était pas plié à sa volonté. Il en instaura un autre dépendant totalement de l’exécutif et qui, pensait-il, lui obéirait sans scrupules inutiles. L’opinion française ne s’émut guère de ce mépris affiché envers le principe de séparation des pouvoirs, garantie essentielle de la démocratie. Monsieur de Sérigny, expulsé d’Algérie, ne retrouva pas son journal qui continua pourtant de paraître. Cet épisode n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de manœuvres souterraines et d’actes arbitraires.

Après le putsch d’avril 1961, l’Echo d’Alger fut anéanti d’un trait de plume.

La presse métropolitaine, bien que déjà censurée, était soumise à un examen de passage des plus difficiles. Ne parvenaient en Algérie que les textes de stricte obédience gaulliste. Certains jours on ne distribua dans les kiosques algérois que Paris-Jour et La Nation.

La télévision et la radio se comportaient avec servilité. Il n’y eut plus d’autre information que celle de la rue.

Le Gouvernement était bien naïf, je crois. En muselant la presse, en privant les Français d’Algérie d’information, en tentant de les tromper, en s’imaginant les influencer, il perdait son temps.

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