6.11 - Terrorisme - Témoignages

III - Histoire et récits - Mars 1962 : Barbouzes, tortures, attentats, enlèvements, charniers 

11 - Noël 24 décembre 1956 - 19 heures - Mitraillage au Bar Gandillot - Bab el Oued - Témoignage d'Hervé Cuesta - 1er novembre 2011

24 décembre 1956 - Préparation du repas de Noël à Alger Un ami intime de notre famille Raymond MAZOYER, petit-fils du propriétaire de la ferme « Bel-Air » à Dra-El ATTACH, où mon arrière-grand-père et grand-père paternels ont été métayers, est venu dans l’après-midi apporter des grives à notre domicile. Mon père était au travail et je remerciais Raymond pour son attention… Il me dit « ton père va manger des grives d’AÏN-BESSEM ce soir pour le repas de Noël. Tous deux étaient bons chasseurs et amateurs de gibier.

En fin de soirée, avant de rejoindre ma mère, ma sœur (11 ans) et mon petit frère (2 ans) à la papeterie 9 bis, rue DUPUCH, je passe chez MANOUSSE (BAR GANDILLOT), café préféré de mon père qui se situe au coin de notre avenue GANDILLOT et le 28, rue ROVIGO, pour lui dire que pour le repas de Noël, nous avons des « grives de Raymond »… Mon père tout heureux, me dit qu’il va monter tout de suite les plumer… Moins de 10 minutes plus tard, j’arrive au magasin de ma mère et nous nous attendons la fermeture.

Il devait être 19 heures ou plus ? De toutes les façons la nuit était bien noire depuis longtemps… Au bout de quelques minutes nous entendons les claquements secs et puissants d’un mitraillage. Nous le situons aussitôt au CADIX, carrefour célèbre des Tournants ROVIGO. Des crissements de pneus nous parviennent, ainsi que des cris grâce à l’écho du carrefour et notre proximité (moins de 300 mètres ; nous avions l’impression d’être au milieu de la fusillade)…

Ma mère affolée me fait baisser le rideau métallique et nous attendons la fin des coups de feu.

Cela parait interminable, ma mère n’arrêtant pas de dire « et ton père qui est chez MANOUSSE !... » Pour rassurer ma famille, je lui réponds : « il est monté aussitôt pour préparer les grives de Raymond… » En même temps, je me rassure. Au bout d’un moment qui nous a paru long, nous quittons la rue DUPUCH très inquiets. Un silence de mort troublé par les sirènes des ambulances au loin…

Des voisins nous disent « Ils ont mitraillé MANOUSSE ! » La peur nous gagne maintenant et tous quatre nous pensons au pire pour notre père.

En prenant le raccourci des escaliers de la rue MAURICE, nous évitons le carrefour du CADIX pour ne pas passer sur les lieux de la fusillade et aussi pour arriver plus tôt chez nous… Il est facile d’imaginer notre angoisse, puis notre joie quand mon père nous ouvre…

Il avait cessé sa préparation culinaire au moment des coups de feu et nous attendait dans une crainte semblable à la nôtre. Lui aussi avait localisé la fusillade et pensait à ses copains… De la fenêtre de notre salle à manger qui donnait sur le garage POULAILLON le café de MANOUSSE était sur la gauche, mais caché par les immeubles.

Nous n’avons pas mangé les grives ce soir-là, le cœur n’y était plus.

Le lendemain, nous avons appris la mort d’une jeune fille de 17 ans, Mademoiselle LILLO qui sortait de la mercerie mitoyenne pour acheter des boutons pour sa robe de réveillon, et dont la cervelle éclaboussa la façade du café ...

Nous étions en pleine « bataille d’Alger » J’avais 13 ans, et je ne souhaite pas à 5 mes petits-enfants de vivre mon adolescence…

Hervé CUESTA
La Roquette, le 01 novembre 2011

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