9.2 - Colloque FLN - Nimes 10 mars 2012

XII - 50 ans après - Honte - Outrages - Blasphèmes - Profanations

2 - Un colloque inopportun -  Paru dans "Le Monde", édition du 10 juin 1995

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Les faits

Ce week-end a eu lieu à Nîmes, auditorium du Conseil général, un colloque consacré à "l'histoire de la fédération de France du F.L.N. (Front de Libération Nationale) 1954-1962".

M. Bernard Deschamps était le coordonnateur de ce colloque. Ancien député communiste, il est aussi président d'honneur de l'association France - El Djazaïr ou France - Algérie.

A travers ce colloque il s'agissait pour les organisateurs (un collectif de neuf associations*), je cite : de "faire mieux connaître au grand public la présence et l'action en France, pendant la guerre d'Algérie, de l'organisation clandestine du F.L.N. algérien".

* Amicale des Algériens en Europe (Gard) ; Association des Algériens du Languedoc-Roussillon et de l’Aveyron (A.L.R.) ; Association Républicaine des Anciens Combattants (A.R.A.C.) ; Coup de Soleil Languedoc-Roussillon (France-Maghreb) ; France-El Djazaïr ; France Palestine Solidarité (Nîmes) ; Institut d’Histoire Sociale, CGT-Gard ; Mouvement de la Paix (Nîmes) ; Solidaires 30

La problématique et les points qui posent problème

*- Bernard Deschamps a présenté cette manifestation comme une rencontre entre historiens, universitaires, chercheurs, auteurs, ayant pour objet de relater de manière impartiale l'histoire du F.L.N. en France. L'absence d'invitation aux associations de rapatriés dans une ville, une région, où ils constituent une importante communauté, et à une semaine à peine du cinquantième anniversaire des accords d'Évian, le 18 mars 1962, pose néanmoins problème : il est vrai que l'intitulé même du colloque semble avoir été choisi pour écarter toute possibilité de contradiction. Quid du pluralisme ? De l'échange républicain ? De la confrontation des idées ?

*- Pourquoi M. le Préfet du Gard n'a-t-il pas interdit ce colloque comme le demandait le député de la circonscription, M. Yvan Lachaud (Nouveau centre) ? Vraisemblablement au nom du principe constitutionnel de la liberté d'expression. De plus, en dépit d'une manifestation d'opposants : élus de droite, rapatriés, harkis, anciens parachutistes (quelques centaines de personnes), l'allégation de risques de trouble à l'ordre public était difficile à invoquer.

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Pourquoi le logo du ministère de la Culture a-t-il été utilisé alors que l'État ne subventionnait pas cette manifestation ? La réponse vaut son pesant d'or. M. Deschamps explique en substance qu'il a indiqué par lettre au ministère, en l'occurrence la D.R.A.C. (Direction régionale des affaires culturelles), que l'absence de réponse de l'État vaudrait approbation tacite à la demande de subvention et droit y afférent d'utiliser le logo du ministère

*- L'attribution d'une salle par le Conseil général signifiait-elle que l'institution départementale accordait son soutien au colloque comme des milieux proches de l'extrême droite l'ont annoncé ? Nullement. M. Damien Alary, Président du Conseil général du Gard (majorité de gauche) a été on ne peut plus clair, je cite : « L'institution départementale ne participe pas financièrement à cette manifestation et n'assistera pas aux débats. Le droit de réunion et d'opinion est une règle républicaine. C'est d'ailleurs au nom de ce principe que le Conseil général loue à l'association France - El Djazaïr l'auditorium comme il le fait pour d'autres associations »

*-  Existait-il des arrière-pensées électorales sous-jacentes à cette réunion ? Il est permis de le penser. Pour l'aile la plus radicale du P.C. gardois proche de l'extrême gauche, il s'agissait de s'assurer le leadership sur l'appareil local globalement favorable à l'unité de la gauche, et de gêner par la même occasion le P.S. nîmois, très frileux sur ce sujet, ceci au risque de blesser des consciences.

Élu député sous l'étiquette communiste en 1978, du temps où le secrétaire général du parti était Georges Marchais (1920-1997), il semble que M. Deschamps ait ainsi davantage cherché à commémorer dans le confort de l'entre-soi les noces d'or du communisme stalinien et du nationalisme algérien radical, dénoncé en son temps par Albert Camus :

« En ce moment on lance des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c'est cela, la justice, je préfère ma mère » (cité par Jean Daniel, Avec Camus, Gallimard, 2006) plutôt que d’essayer, par un débat contradictoire, de réconcilier les communautés antagonistes.

Dans ces conditions, et pour les raisons que je viens de développer, ce colloque était particulièrement inopportun à Nîmes ce week-end, comme l'aurait été, j'imagine, un colloque consacré à Alger à l'action et à l'histoire des "soldats perdus" de l'O.A.S. Mais là je pense que les autorités algériennes l'eussent interdit...

Quant à l’internationalisme prolétarien revendiqué par les communistes, il faut l’apprécier au regard de ce témoignage :

« Pendant la guerre l'Algérie, dans les Houillères du Gard, à Alès, à La Grand Combe, la Fédération de France du F.L.N. a été active dans les milieux des travailleurs immigrés algériens. Mais son combat est resté nationaliste et arabo-musulman, sans ouverture internationaliste, ce qui a rendu difficiles les contacts avec les anticolonialistes gardois et notamment avec les plus engagés, qui, eux, avaient une perspective internationaliste et athée. » (cf. Le Monde, édition du 9 mars 2012, article Á Nîmes, tensions autour d'un colloque sur le F.L.N., commentaire sous pseudo "Patagon").

Je viens de relire l’intégralité des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Ce week-end à Nîmes, on n’a respecté ni la mémoire, ni les tombes des Français d’Algérie. L’écrivain Jules Roy (1907-2000) était allé se recueillir devant elles en 1995 au cimetière de Sidi Moussa :

« Enfin apparut une masse de granit gris, "famille" Paris, puis, près de l'ancienne porte où s’amoncelaient grilles et carcasses enchaînées entre elles et cadenassées, d’autres tumulus moins sombres, de solides monuments de taille supérieure au nôtre. Je déposai là une première gerbe de roses, poussai l’autre, au nom de mon ami Jean Pélégri, sur le marbre des siens, en mémoire des colons de la plaine, des Ronda, des Orfila, des Schembri et des Picinbono, des Manint et des Sposito, des Bertaut, des Paris de l’Arba et des Paris de Rovigo, où je ne pouvais pas aller, de tous ceux que j’ai cités, décrits et célébrés dans ma saga Les Chevaux du soleil. »

(Article paru dans Le Monde, édition du 10 juin 1995)

On appelle cela le devoir de mémoire.

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