11.8 - Commentaire de Francine Dessaigne sur le témoignage du Colonel Richarte

VI - Les témoignages - Les militaires, les gendarmes, les policiers

Commentaire de Francine DESSAIGNE (Un crime sans assassins).

"Ce témoignage confirme la précipitation qui suivit la mise à la disposition du CAA, des 4 compagnies du 4ème RT. La 3ème section de la 2ème compagnie en représente un bon exemple. Les tirailleurs passent sans transition et sans repos, de l’opération en cours dans le djebel (col de Ben Chicao : 1230 mètres à 115 kms d’Alger) au maintien de l’ordre en masse urbaine dans une atmosphère enfiévrée.

- Dans leur équipement habituel de campagne ils sont utilisés au centre d’Alger, dans une opération de maintien de l’ordre pour laquelle ils sont totalement inaptes.
- L’aspirant n’a pas reçu d’ordre à propos de l’ouverture du feu
- Comment les tirailleurs ont pu interpréter l’effet écho entre les immeubles et la présence de curieux derrière leurs rideaux.
- Ce qui est personnel aux Français d’Algérie : ses parents et lui-même ont voulu croire aux « garanties » des accords d’Evian. Ils n’ont pu tenir que deux ans dans des conditions certainement difficiles dont le colonel RICHARTE préfère ne pas parler et qui sont, d’ailleurs, hors de notre propos. Après lecture des dépositions des officiers au moment de l’enquête de gendarmerie, de celles entendues au procès du Petit Clamart et des réponses à nos questions, nous allons tenter d’en dégager des éclaircissements sur les trois points principaux : les ordres et leur transmission, le premier coup de feu, le tireur de la rue Lelluch.

Les ordres et leur transmission.

L’ouverture du feu est une consigne extrêmement grave. Les autorités qui l’emploient doivent obéir à des règles strictes : transmission par écrit aux exécutants, avis clairs aux manifestants, par radio ou haut-parleurs circulant en ville, si les délais le permettent, ou sur place par un commissaire de police ceint de l’écharpe de sa fonction et muni d’un porte-voix puis sommations militaires réglementaires ; « Halte ! Halte au feu ! » .

Ces dispositions furent rappelées dans une note du général Ailleret, faisant référence à une instruction interministérielle de mars 1961 et précisant dans son troisième paragraphe, l’éventualité d’une « ouverture de feu sans sommations, en riposte à des éléments séditieux armés, ayant fait usage de leurs armes ».

La population n’a jamais été avertie, de façon claire, d’une possibilité de tir de la part du service d’ordre. Le seul endroit où est apparu un commissaire de police est le carrefour de l’Agha, les manifestants on alors reculé. « Halte au feu »n’a retenti que pour essayer d’arrêter les tirs et personne n’a entendu de sommations, aucun militaire, encadrement ou soldat n’y fait allusion.

Le Capitaine Hardouin-Duparc rapporte au commandant Poupat, de la réunion des officiers dans le bureau du commandant Delmas à la caserne d’Orléans, la consigne verbale d’ouvrir le feu contre les manifestants « si la mission ne peut être remplie par d’autres moyens ». Celui-ci effrayé par sa gravité ne la transmet pas, mais il admet d’avoir autorisé le tir sur le haut des immeubles « en cas d’attaques ».

Cette consigne, devenue le « tir en l’air », fort bien expliqué par le Capitaine Techer, est confirmée par la Capitaine Gilet » … nous devions faire usage de nos armes à toute provocation venant des terrasses des immeubles … » (procès), ainsi que par tous les autres officiers et sous-officiers, au cours de l’enquête de gendarmerie. Dans cette enquête apparaît nettement (tous déposants confondus) qu’aucun officier n’a donné ordre de tirer. Les tirailleurs reconnaissent avoir tiré de leur propre initiative, soit sur des immeubles, soit sur les manifestants. Tous affirment quelque soir leur grade ou leur position dans les rues, qu’ils n’ont fait que riposter à des tirs venus du haut des immeubles.

Le premier coup de feu.

D’où venait le premier coup de feu et qui l’a tiré ? Il est bien difficile de le dire. La lecture des documents et des déclarations ne le permet pas. En effet, pas plus que les journalistes, comme nous l’avons noté précédemment, aucun officier n’affirme avoir vu lui-même un tireur embusqué et l’avoir localisé de façon précise ; les sous-officiers sont partagés et il faut lire les procès-verbaux des tirailleurs pour découvrir quelques détails visuels.

Une seule exception le lieutenant Ouchène. A sa première audition par les gendarmes, il dit avoir « entendu » la première rafale. Le lendemain il complète : … « j’ai vu au deuxième étage ou peut-être au premier…. Approximativement vers le 60 ou 62 de la rue d’Isly, la fumée des départs de deux coups de fusil… » Or, dans sa première déclaration aux gendarmes, le lieutenant Ouchène indique qu’un FM était situé pratiquement à la hauteur du barrage ». Barrage placé, comme le montrent les photos annexées aux PV, devant le numéro 64. Le lieutenant affirme ensuite que l’immeuble d’où est parti le premier coup de feu « est celui faisant l’angle de la rue d’Isly et du boulevard Bugeaud ».Il ne s’agit donc pas du 62 mais bien du 64. C’est ce qui nous a déterminées à tenter d’en retrouver les habitants.

Le tireur de la rue Lelluch.

Les témoignages à son propos parviennent à être à la fois, concordants quant à son existence et imprécis pour sa localisation, bien que les déclarations et la balistique s’unissent pour le situer dans un immeuble à l’angle de la rue Changarnier et de la rue Lelluch. Maître Tixier-Vignancourt fit sensation au procès du Petit Clamart en lui donnant une identité de « barbouze asiatique ».

Seul le lieutenant Saint Gal de Pons le situe clairement : « j’ai vu d’un immeuble faisant l’angle de la rue Lelluch et de la rue Changarnier un tir de FM ou de PM dirigé en direction de mes éléments de la rue Chanzy ou du boulevard Bugeaud … » (PV). Tout se complique avec après la fusillade, la présence sur un balcon d’un policier(ou deux), en bas d’un immeuble d’une ambulance (ou deux), d’une forme sur une civière … ou pas. La simultanéité entre la fin de la fusillade et la présence de policiers sur un balcon est elle-même troublante. On ne peut s’empêcher de penser qu’ils sont montés bien vite dans ce seul immeuble.

Et s’obscurcit encore plus avec la mort de Monsieur VENGUT. Là nous sommes sûrs qu’un policier s’est montré sur le balcon et que la civière est redescendue vide puisque la famille a eu l’autorisation de conserver le corps. Mais nous sommes également sûrs que ce n’est pas de cette fenêtre d’où on a tire dans la rue Chanzy et d’où le policier a pu montrer des chargeurs vides. La fin de ce pauvre homme est là comme une illustration tragique de la conjugaison du verbe croire qui ponctue les dépositions des tirailleurs. Ils ont mitraillé ses volets et en même temps ceux de son voisin, parce qu’ils « ont cru ». Trente ans après les faits, l'existence de ce tireur reste entourée de mystère dans les documents que nous avons pu consulter. Me Tixier-Vignancourt donne son nom mais le secret de ses sources dont la divulgation nous eût peut-être éclairés, a disparu avecv lui.

01

En bleu le flux des manifestants
En rouge
la limite entre les sous-secteurs
Les croix sont des barrages avec obstacles: rue Lelluch, la Rampe Bugeaud, boulevard Carnot et à moitié rue d'Isly
Les ronds sont des barrages sans obstacle, rue Michelet, rue Charles Peguy, rue Valentin, le tunnel des Facultés, avenue Pasteur, rue Berthezène, boulevard Baudin, rue Monge, rue Charras, rue Zola
Les pastilles rouges de A à M sont les emplacements des troupes.

2.boghari boghar annote

3.fort

4.Gorges de la Chiffa-1
Les gorges de la Chiffa

5.LaChiffa1

6.LaChiffa2

7.LaChiffa5

8

9.boghari001

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